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traindre la Convention à décréter de prime abord une question si profonde et si délicate, que ceux-là même qui avaient adopté leurs opinions se rétractèrent aussitôt qu'ils connurent la vérité.

La première question consiste à savoir si la Convention peut retirer à un de ses membres les pouvoirs qu'il tient du souverain.

La seconde consiste à savoir si un individu, par cela même qu'il est d'une famille de tyrans et de traîtres, doit être banni d'une société qui a juré l'égalité et l'abolition des despotes.

Philippe Égalité est, du choix libre du peuple, son représentant à la Convention nationale. Les pouvoirs dont il est revêtu sont en tout semblables aux vôtres; quand il les reçut, ses commettans, la nation, ne virent en lui, comme en chacun de vous, qu'un homme, qu'un citoyen, qu'un Français; et quand la nation aurait vu dans Philippe Égalité un descendant des Bourbons, si elle l'eût jugé digne de sa confiance, si elle l'eût voulu pour son représentant, quelle autorité aurait pu s'opposer à l'exercice de ses droits? De qui la nation aurait-elle reçu des ordres?

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Vous l'avez dit, citoyens, et j'invoque ici vos sermens, veraineté réside essentiellement dans le peuple. Eh bien, c'est le peuple, c'est le souverain qui a placé Philippe Égalité au poste qu'il occupe. Le souverain seul a droit de le rappeler; autrement, si la majorité de la Convention veut voir comme dangereux au bonheur de la patrie trois cents de ses membres, elle pourra donc successivement les éloigner. Je ne crois pas, citoyens, qu'il y ait ici quelqu'un qui ose soutenir que vous avez le droit de dire à un envoyé du souverain: Nous ne voulons pas de toi.... Si vous croyiez avoir ce droit, je gémirais sur le sort de ma patrie; je verrais en vous des usurpateurs de la souveraineté ; j'y verrais des despotes; et avez-vous oublié que le peuple a juré de les exterminer tous? (Applaudissemens des tribunes.)

Je dis que non, et si Philippe Égalité était assez lâche pour oublier le serment qu'il a fait de mourir ici en défendant les droits de ceux qui l'ont envoyé, je voterais alors pour que Philippe Égalité fût à jamais banni du sein d'une société qu'il aurait trahie. (Mêmes applaudissemens.) Je le répète, il existe au-des

sus de vous une puissance qui ne se vend ni ne se prête, c'est la souveraineté du peuple. (Les applaudissemens continuent.) C'est lui seul qui peut rappeler ses mandataires, ainsi donc Philippe Égalité, mandataire du peuple, ne peut être méconnu par vous. Maintenant Philippe Égalité, considéré comme descendant des Bourbons, doit-il être chassé du territoire de la République?

Depuis l'origine de la liberté en France, il s'en est montré l'ami et le défenseur; il n'est pas de sacrifices qu'il n'ait faits pour elle; eh bien, des hommes prévenus ont aussitôt pensé que chaque acte de bienfaisance de Philippe Égalité était un degré qu'il montait pour arriver au trône. Citoyens, s'il fallait juger les hommes sur des préventions', je prononcerais, moi, contre ceux qui se préviennent si facilement.

Quels crimes impute-t-on à Philippe Égalité? Sa naissance. O nature! ô philosophie! quel outrage on vous fait! Quoi! les crimes seraient héréditaires! et vous avez dit que les vertus ne l'étaient pas !... (Applaudissemens d'une partie de l'assemblée et des tribunes.)

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Ma patrie! c'est toi qu'on invoque; c'est toi qu'on prétend sauver par un acte indigne! On veut que ta liberté dépende de l'absence d'un individu! Répondez, Français, seriez-vous assez faibles pour craindre l'influence d'un homme? Les colonnes de la République pourraient-elles donc être renversées par les mains d'un enfant?

On a cru, en vous citant l'exemple des Romains, entraîner votre décision; mais, citoyens, voyez ce qu'était la république romaine lorsque les Tarquins en furent chassés, et voyez ce qu'est la républicaine française au jour où l'on vous propose de chasser les Bourbons.

A Rome il suffisait alors d'avoir assez d'or, de crédit ou de talens pour se gagner trente mille individus; et la liberté cessait

d'être.

Ici, il faudrait séduire treize millions de Français: et ceux-là qui ont proposé le bannissement des Bourbons savent bien que la chose est impossible. Les Français seront toujours républi

cains; ils ont juré le maintien de leur souveraineté, et la mort plutôt que l'esclavage.... (Applaudissemens.)

Citoyens, après vous avoir parlé des intérêts généraux, je dois vous mettre sous les yeux la position terrible dans laquelle vous jetez un citoyen, qui n'est accusé que d'être trop ami de la liberté de son pays.

Lorsqu'il était encore incertain si la révolution opérée en 1789 produirait des résultats tels que ceux dont vous jouissez, Philippe Égalité se montrait révolutionnaire.

Lorsque tous les puissans de la France se rangeaient en bataillons-sur vos frontières, et menaçaient votre liberté naissante, Philippe Égalité était ici, et ses enfans défendaient les droits du peuple, le mousquet sur l'épaule. (Applaudissemens vifs et répétés des tribunes. — Je demande, s'écrie Bazire, qu'on ne s'occupe pas des personnes, mais des principes. L'assemblée applaudit.) Je ne puis m'empêcher de vous rappeler que lorsque presque tous les gouvernemens, devenus vos ennemis, se coalisaient pour vous asservir, Philippe Égalité partageait vos destinées; comme vous, il attendait la mort en homme libre.

Citoyens, et quand Philippe Égalité met en avant des actes de civisme qu'aucun de vous, peut-être, ne saurait produire, vous le condamnez au plus cruel des supplices, à n'être plus Français !

Vous voulez donc qu'il regrette de n'avoir pas connu le crime?... Citoyens, je le répète, voyez sa position.

Ennemi de tous les rois, qu'avec vous il a osé combattre, Philippe Égalité ne sait où reposer sa tête. S'il eût émigré, s'il se fût ouvertement déclaré votre ennemi, sa punition serait moins cruelle. Il n'est donc plus de différence entre le crime et la vertu !...

Je me résume. Comme représentant du peuple, Philippe Égalité ne peut être banni par la Convention nationale; je l'ai prouvé. Comme descendant des Bourbons, il ne peut l'être sans qu'au préalable vous lui fassiez son procès. C'est dans ce cas seulement, et après être bien convaincu que lui et les autres

Bourbons sont coupables, que je voterai pour l'exil. Il faut être juste. (Applaudissemens de quelques membres.) D'ailleurs, je le déclare, je me défie, et de la proposition, et de ceux qui l'ont faite....

Dimanche, ici, des membres de l'assemblée invoquèrent la souveraineté du peuple et la représentation de Philippe Égalité. Quelqu'un osa dire que Louis XVI était aussi représentant du peuple et qui lui donna cette qualité, si ce n'est vous, réviseurs de la Constitution? Louis XVI a-t-il obtenu d'autres suffrages de ses concitoyens que ceux que vous lui prodiguâtes?..... Ce sont vos expressions qui m'ont rendu défiant ; je crains que vous ne frayiez un chemin aux Bourbons coupables..... et d'ailleurs, citoyens, quel est celui de vous qui voudrait condamner aux mêmes tourmens le traître d'Artois et Philippe Égalité ?

Citoyens, je ne suis point ici le panégyriste des Bourbons, ni l'intime de Philippe Égalité; je ne connais ce dernier qu'autant qu'il faut le connaître pour être son assassin s'il cessait d'être le même. Oui, Philippe Égalité, je te jure que ce n'est ni toi ni les tiens que je défends, c'est la justice. Songe bien que si tu étais assez audacieux pour vouloir un jour t'élever au-dessus du reste des Français....... songe, te dis-je, que la faux de l'égalité est là......

Ces motifs, ceux que vous avez tous sentis, et que je n'ai pas exprimés, suffiront sans doute pour vous déterminer à adopter la proposition suivante.

Je demande que la Convention rapporte le décret que l'enthousiasme lui arracha dimanche, et qu'elle passe à l'ordre du jour sur le surplus du projet présenté par Barrère.

On fait lecture de la lettre suivante :

< Nicolas Chambon, maire de Paris, au président de la Convention nationale. J'ai l'honneur de vous annoncer que les commissaires des quarante-huit sections, que j'ai celui d'accompagner, attendent les ordres de la Convention pour lui présenter une adresse relative au rapport du décret rendu dimanche. (Quelques applaudissemens des tribunes.)

De toutes parts l'ordre du jour est réclamé.

L'assemblée passe à l'ordre du jour.

Le ministre des affaires étrangères demande la parole.

Bazire. Comme membre du comité de surveillance... (Le président: Bazire, tu n'as pas la parole... Plusieurs membres se soulèvent contre le président.) M'étant aperçu... (Le président : C'est le ministre qui a la parole... Je te rappelle à l'ordre. Nouveaux murmures.) Consultez l'assemblée pour savoir si je serai entendu.

L'assemblée accorde la parole à Bazire.

Bazire. Comme membre du comité de sûreté générale, m'étant aperçu qu'il y avait dans les cou'oirs un plus grand nombre de citoyens qu'à l'ordinaire, je m'y suis rendu ; ils m'ont annoncé qu'ils venaient présenter une pétition pour obtenir le rapport du décret concernant la famille des Bourbons. Je leur ai répondu que cette démarche était inutile, qu'il y avait des orateurs inscrits pour et contre, que l'assemblée ne connaissait d'autre ascendant à cette tribune que celui de la raison. (On applaudit.) Nous le croyons bien, m'ont-ils dit; cette démarche nous a été suggérée par des hommes qui nous sont suspects; c'est Chambon surtout qui tient à ce que nous soyons admis; et vous savez avec qui Chambon a des relations. (Applaudissemens et murmures.)

Robespierre. Je demande la parole pour dénoncer un complot contre la tranquillité publique. Citoyens, l'intérêt pressant du salut public m'oblige à vous parler avec franchise. Il vous importe d'entendre avec attention et sans prévention ce que je vais dire. Ceux qui ne voient dans la délibération qui nous occupe qu'une question de principes n'en voient pas le véritable point. Toute la question est dans les circonstances et dans les conséquences qu'on veut en faire naître. Cette motion n'a été proposée que pour amener un événement, et si vous voulez m'entendre je vais vous faire toucher au doigt la vérité de mon assertion. (Plusieurs voix: Parlez, parlez donc.) Les principes ici sont clairs; ce n'est pas là ce qui peut jeter le trouble au milieu de nous; les personnes nous sont à tous indifférentes; la délibération dange

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