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jetées vous ont peut-être paru insuffisantes, et vous n'en avez pas encore fait le sujet de vos délibérations; les principes qu'ils contiennent vous sont parfaitement connus. Voici les faits.

Le général Custine, à peine entré en Allemagne, vous a demandé s'il devait supprimer les droits féodaux, les dîmes, les priviléges, en un mot tout ce qui tient à la servitude, et s'il devait établir des contributions sur les nobles, les prêtres et les riches, en indemnité des secours qu'ils avaient accordés aux émigrés ; vous ne statuâtes rien sur ces objets; en attendant, il crut ne devoir pas laisser péricliter les intérêts de la République. Il exigea des contributions. On l'a accusé sur ce point, quoiqu'il vous eût soumis les motifs de ces contributions diverses ; et ses ennemis ont voulu en tirer avantage contre lui, notamment par rapport aux 1,500,000 florins qu'il imposa sur Francfort. Depuis ce temps, Francfort a été repris, et vous avez frémi au récit des nouvelles vêpres siciliennes qui ont ensanglanté cette ville.

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Dumouriez, en entrant dans la Belgique, a annoncé de grands principes de philosophie; mais il s'est borné à faire des adresses aux peuples. Il a jusqu'ici tout respecté, nobles, priviléges, corvées, féodalité, etc. Tout est encore sur pied; tous les préjugés gouvernent encore ces pays, et le peuple n'y est rien, c'est-à-dire que nous lui avons bien promis de le rendre heureux, de le délivrer de ses oppresseurs, mais que nous nous sommes bornés à des paroles. Le peuple, asservi à l'aristocratie sacerdotale et nobiliaire, n'a pas eu la force, seul, de rompre ses fers, et nous n'avons rien fait pour l'aider à s'en dégager.

Le général a cru, d'après les instructions du conseil exécutif, devoir respecter sa souveraineté et son indépendance, ne pas lui imposer de contributions extraordinaires; lorsque ses convois passent à quelques barrières ou péages, ils y paient les droits ordinaires. Il a cru ne devoir pas même forcer les habitans à fournir des magasins et des approvisionnemens à nos armées. Ces principes philosophiques sont les nôtres ; mais nous ne voulons pas, nous ne devons pas respecter les usurpateurs. Tous ceux qui jouissent d'immunités et de priviléges sont nos enne

mis; il faut les detruire; autrement, notre propre liberté serait en péril. Ce n'est pas aux rois seuls que nous avons à faire la guerre; car s'ils étaient isolés, ce ne serait que dix à douze têtes à faire tomber; nous avons à combattre tous leurs complices, les castes privilégiées, qui, sous le nom des rois, rongent les peuples et les oppriment depuis plusieurs siècles.

Vos comités se sont donc dit: Tout ce qui, dans les pays où vous portez les armes, existe en vertu de la tyrannie et du despotisme, est usurpation; car les rois n'avaient pas le droit d'établir des priviléges en faveur du petit nombre, au détriment du plus grand. La France elle-même, lorsqu'elle s'est levée, le 17 juillet 1789, a proclamé ces principes: Rien n'était légal, a-t-elle dit, sous le despotisme; je détruis tout ce qui existe, par un seul acte de ma volonté. Ainsi, le 17 juin, lorsqu'elle se fut constituée en assemblée nationale, elle supprima tous les impôts existans. Dans la nuit du 4 août, elle mit le complément à la révolution, en détruisant et noblesse, et féodalité, et tout ce qui tient à la servitude. Voilà ce que doit faire tout peuple qui veut être libre pour mériter votre protection; car nous ne protégerons jamais les priviléges.

Il faut donc que nous nous déclarions pouvoir révolutionnaire dans les pays où nous entrons. (On applaudit.) Nous n'irons point chercher de comité particulier; nous ne devons point nous couvrir du manteau des hommes; nous n'avons pas besoin de ces petites ruses. Nous devons, au contraire, environner nos actions de tout l'éclat de la raison et de la toute-puissance nationale. Il serait inutile de déguiser notre marche et nos principes. Déjà les tyrans les connaissent, et vous venez d'entendre ce qu'écrit à cet égard le stathouder : lorsque nous entrons dans un pays ennemi, c'est à nous à sonner le tocsin. (Applaudissemens.) Si nous ne le sonnions pas; si nous ne proclamions pas solennellement la déchéance des tyrans et des privilégiés, le peuple, accoutumé d'être enchaîné, ne pourrait briser ses fers; il n'oserait se lever, nous ne lui donnerions que des paroles, et aucune assistance effective.

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Ainsi donc, si nous sommes pouvoir révolutionnaire, tout ce qui existe de contraire aux droits du peuple doit être abattu dès que nous entrons dans le pays. (Les applaudissemens continuent.) En conséquence, il faut que nous proclamions nos principes en détruisant toutes les tyrannies, et que rien ne nous arrête dans cette résolution. Vos comités pensent qu'après en avoir expulsé les tyrans et leurs satellites, les généraux doivent, en entrant dans chaque commune, y publier une proclamation pour faire voir aux peuples que nous leur apportons le bonheur, qu'ils doivent supprimer sur-le-champ et les dîmes, et les droits féodaux, et toute espèce de servitude. (On applaudit.)

Cependant vous n'auriez rien fait si vous vous borniez à ces seules destructions. L'aristocratie gouverne partout; il faut donc détruire toutes les autorités existantes. Rien ne doit survivre au régime ancien lorsque le pouvoir révolutionnaire se montre. Si nous avions, dès le commencement de la guerre, adopté ces principes, nous n'aurions peut-être pas à pleurer sur la mort de nos frères assassinés à Francfort. Les magistrats anciens existaient dans cette ville, et vous vouliez que ce peuple fût Jibre! Il faut que le système populaire s'établisse, que toutes les autorités soient renouvelées, ou vous n'aurez que des ennemis à la tête des affaires. Vous ne pouvez donner la liberté à un pays, vous ne pouvez y rester en sûreté, si les anciens magistrats conservent leurs pouvoirs; il faut absolument que les sans-culottes participent à l'administration. (De nombreux applaudissemens s'élèvent dans l'assemblée et dans les tri unes.) Déjà, citoyens, les aristocrates des pays qu'occupent nos armées, abattus au premier instant, ont conçu de nouvelles espérances; ils ne dissimulent plus leur joie féroce; ils croient à une Saint-Barthélemy, et il ne serait pas difficile de prouver qu'il existe déjà, dans la province de la Belgique, quatre ou cinq partis. Les aristocrates versent de l'or pour égarer le peuple et conserver leur ancienne puissance; on n'y voit que les nobles, le clergé, les états, et le peuple n'y est rien, il reste abandonné à luimême; et vous voulez qu'il soit libre! Non, il ne le sera

jamais si nous ne prononçons plus fortement nos principes.

Vous avez vu les représentans de ce peuple venir à votre barre; timides et faibles, ils n'ont pas osé vous avouer leurs principes; ils étaient tremblans; ils vous ont dit: Nous abandonnerez-vous? Vos armées nous quitteront-elles avant que notre liberté soit assurée ? Nous livrerez-vous à la merci de nos tyrans? Nous ne sommes pas assez forts. Accordez-nous votre protection, vos forces.... Non, citoyens, vous ne les abandonnerez pas; vous étoufferez le germe de leurs divisions et des malheurs qui les menacent. (On applaudit.) En Savoie, le peuple s'est prononcé plus fortement : il a commencé par tout détruire pour tout recréer. Alors son vœu n'a plus été douteux; il s'est montré digne d'être libre, et vous a donné un exemple que vous devez porter chez les autres peuples. Suivons donc cette marche dans les pays où nous serons obligés de faire naître les révolutions; mais donnons sûreté aux personnes et aux propriétés. (On applaudit.)

Vos comités ont cru qu'en proclamant la destruction des abus des autorités existantes, il fallait que, de suite, les peuples fussent convoqués en assemblées primaires, et qu'ils nommassent des administrateurs et des juges provisoires pour faire exécuter es lois relatives à la propriété et à la sûreté des personnes. Ils ont cru, en même temps, que ces administrations provisoires pouvaient nous être utiles sous plusieurs autres rapports.

En entrant dans un pays, quel doit être notre premier soin? c'est de prendre pour gage des frais de la guerre les biens de nos ennemis ; il faut donc mettre sous la sauvegarde de la nation les biens meubles et immeubles appartenant au fisc, aux princes, à leurs fauteurs, adhérens, participes, à leurs satellites volontaiaux communautés laïques et régulières, à tous les complices de la tyrannie. (On applaudit.) Et pour qu'on ne se méprenne pas sur les intentions pures et franches de la république française, vos comités ne vous proposent pas de nommer des administrateurs particuliers pour l'administration et régie de ces biens, mais d'en confier le soin à ceux qui seront nommés par le

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peuple. Nous ne prenons rien, nous conservons tout pour les frais de la guerre.

Vous sentez qu'en accordant cette confiance aux administrations provisoires, vous aurez alors le droit d'en exclure tous les ennemis de la République qui tenteraient de s'y introduire. Nous proposons donc que personne ne puisse être admis à voter, ni être élu, s'il ne prête serment à la liberté et à l'égalité, et s'il ne renonce par écrit à tous les priviléges et prérogatives dont il pourrait être pourvu. (Applaudissemens.)

Ces précautions prises, vos comités ont pensé qu'il ne fallait pas encore abandonner un peuple peu accoutumné à la liberté absolument à lui-même qu'il fallait l'aider de nos conseils; fraterniser avec lui; en conséquence, que, dès que les administrations provisoires seraient nommées, la Convention devait leur envoyer des commissaires tirés de son sein, pour entretenir avec elles des rapports de fraternité. Cette mesure n'est pas même suffisante. Les représentans du peuple sont inviolables; ils ne doivent jamais exécuter. Il faudra donc nommer aussi des exécuteurs. Vos comités ont donc pensé que le conseil exécutif devait envoyer, de son côté, des commissaires nationaux qui se concerteront avec les administrations provisoires pour la défense nouvellement affranchi, pour assurer les approvisionnemens et la subsistance de nos armées, et enfin se concerter sur les moyens qu'il y aura à prendre pour payer les dépenses que nous aurons faites ou que nous ferons sur leur territoire.

du pays

Vous devez penser qu'au moyen de la suppression des contributions anciennes, les peuples affranchis n'auront point de revenus; ils auront recours à vous, et le comité des finances croit qu'il est nécessaire d'ouvrir le trésor public à tous les peuples qui voudront être libres. Quels sont nos trésors? Ce sont nos biens territoriaux, que nous avons réalisés en assignats. Conséquemment, en entrant dans un pays, en supprimant ses contributions, et lui offrant une partie de nos trésors pour l'aider à reconquérir sa liberté, nous lui offrirons notre monnaie révolutionnaire. (On applaudit.) Cette monnaie deviendra la sienne;

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