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publique! auxquels il ne semblait pas prendre garde. Il a perdu de son embonpoint; sa barbe un peu longue, son extérieur négligé, auraient intéressé pour lui la multitude, si son air d'insouciance n'avait pas détruit les dispositions généreuses dans lesquelles se trouve habituellement le peuple, bon de sa nature; mais son visagé, étranger pour ainsi dire à la scène dont il était le principal personnage, semblait dire aux spectateurs : Eh bien! me voilà. Quoi que vous disiez, quoi que vous fassiez, je suis toujours votre roi. Eussiez-vous encore plus de griefs contre moi, vous n'oserez toucher à ma personne ; j'en serai quitte pour quelques mauvais complimens; ce printemps j'aurai mon tour, et je prendrai ma revanche.

› Quoi qu'il arrive, Louis Capet ne manifestant aucune crainte, et se trouvant à son aise dans tout le cours de la journée de son premier interrogatoire, fait l'éloge des Parisiens et de l'excellent esprit qui les anime. Cela servira à prouver aux départemens et à nos voisins que nous ne sommes pas une horde féroce, toujours prête à substituer le poignard de la vengeance au glaive de la justice. Cela prouvera que, malgré les agitateurs, dont on dit cette grande ville toute pleine, la sauvegarde de la loi est une égide sacrée que nous respectons.

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› Mais en même temps, il faut le dire, le peuple ne se montre ainsi disposé que dans le ferme espoir où il est que justice se fera il la veut, il l'attend. Il la veut exemplaire, il l'attend sans de nouveaux délais ; et il n'exige rien de trop; il faudrait pas le décevoir encore long-temps. Depuis quatre mois, c'est un modèle de courage et de patience, mais tout a son terme. Accablé de privations en tout genre, gémissant sur le sort de ses frères sous les armes, livrés aux brigandages des fournisseurs avides, au gaspillage des malintentionnés; peu tranquillisé sur l'état des finances, qu'enveloppe le crêpe du mystère; mal rassuré sur les subsistances, qui circulent à si grands frais et avec tant de peine; le peuple supporte tout cela avec résignation, persuadé que la cause première de tous ces désordres est au Temple. Du fond de la tour, l'ex-roi impuni, c'est l'épée de Damoclès, suspendue

par un cheveu sur la tête du peuple. Tant que Louis XVI existera, jugé ou non, il se dira roi, et trouvera des gens pour le croire. En ce moment un piége adroit est tendu au peuple, mais il s'en doute. Les aristocrates (car si le mot a vieilli, la chose ne l'est pas) se coalisent avec les patriotes modérés ou peu instruits, à l'insu peut-être de ceux-ci, pour presser le jugement de Capet. Ils vont jusqu'à publier que c'est un monstre, assurément cent fois digne de mort; mais en même temps ils ajoutent qu'il serait digne de nous de lui faire grace. Ainsi, on ne presse son jugement que pour hâter sa délivrance, et lui rendre la faculté de servir d'étendard à une contre-révolution à laquelle on n'a pas encore renoncé. Déjà la Chronique cite avec complaisance les noms de Vilette, Manuel et Gorsas, lesquels, dit-elle, votent pour le bannissement de Louis Capet; et elle ajoute impudemment: une grande partie du peuple paraît partager ces opinions. Peuple, c'est ainsi qu'on fait les honneurs de ta personne et qu'on juge de l'opinion publique, d'après Gorsas, Manuel et Vilette, l'ex-marquis. L'opinion publique est et doit être que justice se fasse, que le niveau de la loi se promène sur toutes les têtes coupables. Point de grace à un chef de brigands, pas plus qu'à ses complices.

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- Les rapports suivans compléteront l'historique que nous avons commencé :

› Rapport du maire et du procureur de la Commune sur leur mission au Temple. Du 11 décembre. - Arrivés au Temple, nous y avons attendu très-long-temps le décret de la Convention qui fixait l'époque de la translation. Ce retard a inspiré quelques inquiétudes aux citoyens. Ils nous ont députés, afin de s'informer pourquoi nous différions si long-temps de nous remettre en marche. Ils ne nous ont pas dissimulé qu'ils craignaient que la translation n'eût pas lieu. Nous leur avons expliqué les raisons de nos délais, et ils se sont retirés. Nous nous sommes ensuite rassemblés pour dissiper ces germes d'inquiétude, et pour disposer la force armée. Sur ces entrefaites, le décret est arrivé. Je suis alors 'monté dans l'appartement de Louis, et avec la dignité qui con

vient à un représentant du peuple, je lui ait signifié son mandat d'amener.-Je suis chargé, lui ai-je dit, de vous annoncer que la Convention nationale vous attend à sa barre, et qu'elle m'ordonne de vous y traduire. Je lui ai demandé ensuite s'il voulait descendre. Après avoir fait plusieurs questions auxquelles je n'ai pas cru devoir répondre, il est descendu sans beaucoup de difficultés. Lorsqu'il a été de retour, il m'a demandé si on lui donnerait un conseil ; je lui ai répondu que je n'étais chargé que de le conduire à la barre de la Convention, et que ma mission était remplie. Malgré cette réponse, il m'a encore rappelé lorsque j'étais au bas de l'escalier pour me réitérer la même question. - La Convention, lui ai-je dit alors, vous fera connaître sa volonté. Nous nous sommes ensuite transportés dans la salle du conseil ; nous y avons demandé décharge; elle nous a été accordée, et nous nous sommes retirés. Chaumet n'a rien ajouté à ce rapport, sinon que Louis Capet avait reçu une leçon terrible; que des cris de mort avaient été portés contre lui. Ceci était pardonnable, a-t-il dit, parce que les citoyens ignoraient encore ce qui se passerait à la Convention. Mais à présent nous attendons de Paris le même calme, la même tranquillité que lors de l'arrivée et de l'exécution des émigrés. Louis est de retour au Temple, peut-être n'en sortira-t-il que pour être traduit de nouveau à la barre de la Convention, et de là au supplice. - Nous vous invitons, citoyens, à vous rappeler qu'il n'appartient plus au peuple, mais à la loi, qui doit seule le frapper.

-L'on a entendu ensuite le procès-verbal dressé par le secrétaire-greffier Colombeau, dont voici l'extrait :

Extrait de la translation de Louis Capet du Temple à la barre de la Convention nationale, et de la Convention au Temple.Le procureur de la Commune a observé que la rue du Temple était étroite, et qu'il y avait à craindre qu'il n'arrivât quelque accident au moment du départ. Il a requis en conséquence que le commandant du poste fût invité à se rendre pour prendre les mesures convenables.... Il a été arrêté que Louis Capet ne sortirait point du Temple que le décret de la Convention nationale ne fût

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notifié.... L'assemblée a décrété à une heure moins un quart que ce décret serait sur-le-champ notifié à Louis Capet, et qu'il partirait à l'instant même. En conséquence, le maire et le secrétairegreffier sont montés à la chambre de Louis; le maire a annoncé le sujet de sa mission, et le secrétaire-greffier a lu de suite ces mots : Décret de la Convention nationale, du 6 décembre, ar› ticle V. Louis Capet sera conduit à la barre de la Convention, › pour répondre aux questions qui lui seront faites seulement › par l'organe du président. Après cette lecture, le citoyen maire a demandé à Louis Capet s'il voulait descendre; celui-ci a paru hésiter un instant, et a dit : « Je ne m'appelle pas Louis Ca› pet: mes ancêtres ont porté ce nom, mais jamais on ne m'a ap› pelé ainsi. Au reste, c'est une suite des traitemens que j'éprouve › depuis quatre mois par la force. Le maire, sans répondre, l'a invité de nouveau à descendre, à quoi il s'est décidé. Monté en voiture, ila gardé le silence presque tout le temps de sa translation. (Ici sont détaillées les questions qui lui ont été faites à la barre, et ses réponses.) Après son interrogatoire, il s'est retiré dans le lieu où les députations attendent; il a accepté un petit morceau de pain, en observant qu'il était à jeun. Il était alors cinq heures. Bientôt il est remonté dans la voiture du citoyen maire; mais il a peu parlé à son retour. La multitude était innombrable sur son passage: tant en allant qu'en revenant, la force armée a gardé le plus grand ordre, et les citoyens ont généralement observé le silence. A son retour, le soir, on a été moins tranquille. Louis a entendu plus d'une fois l'arrêt de sa mort mêlé aux cris de vive la nation, vive la République ! Il a été remis dans sa cham bre à six heures et demie ; il a fait rappeler le citoyen maire au moment de son départ, et lui a demandé avec instance de lui faire passer très-promptement le décret qui doit lui accorder le conseil qu'il a demandé, et qu'on ne refuse à personne. Le citoyen maire lui a répondu qu'il n'était chargé que de sa translation à la Convention nationale, et de la Convention au Temple; mais que la Convention sans doute lui ferait connaître sa volonté.

Résumé du rapport du commissaire Albertier, Le ci-devant

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s'est levé à sept heures. Quoique sa barbe fût longue (1), sa toilette a été courte. Sa prière a été à peu près de trois quarts d'heure. A huit heures, le bruit du tambour l'a fort inquiété ; il m'a demandé ce que c'était que ce tambour, et a ajouté qu'il n'était point accoutumé à l'entendre de si bonne heure.-Je l'ignore, ai-je répondu. — Croyez-vous que ce ne soit pas la générale? Je l'ignore encore. Il se promène un instant dans sa chambre, et écoute attentivement. Il me semble que j'entends le trépignement des chevaux dans la cour. - Je ne sais pas ce que c'est. Un instant après l'on a servi le déjeuner. Louis a déjeuné en famille; la plus grande agitation régnait sur tous les visages. Le bruit et le rassemblement, qui à chaque instant devenait plus nombreux, ont continué à beaucoup l'alarmer. Après le déjeuner, au lieu de la leçon de géographie qu'il a coutume de donner à son fils, il a fait avec lui une partie au jeu de Siam. L'enfant, qui ne pouvait aller plus loin que le point seize, s'est écrié : Le nombre seize est bien malheureux! Ce n'est pas d'aujourd'hui que je le sais, a répondu Louis XVI. Le bruit cependant augmentait. J'ai cru qu'il était temps de l'instruire ; je me suis approché de lui. Monsieur, je vous préviens que dans l'instant vous allez recevoir la visite du maire. Ah! tant mieux, a répondu Louis. Mais je vous préviens, ai-je reparti, qu'il ne vous parlera pas en présence de votre fils. Louis, faisant approcher son fils: Embrassez-moi, mon fils, et embrassez votre maman pour moi. Ordre est donné à Cléry de sortir; il sort, et emmène avec lui le jeune Louis. Louis XVI m'a demandé ensuite si ce maire est un homme petit, grand, gros, gras, jeune, vieux. Je lui ai répondu que je ne le connaissais qu'imparfaitement, mais que je croyais qu'il était d'un âge et d'une grosseur ordinaires, maigre et assez grand. Louis, après avoir resté un quart d'heure à se promener, se place dans son fauteuil, en me demandant si je sa

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(4) Ce M. Albertier fait aussi de l'esprit; tout le monde s'en mêle. Condorcet a bien tort de dire que nous retournons à grands pas vers la barbarie. Mais est-il permis de faire de l'esprit aux dépens d'un prisonnier à la veille d'étre jugé à mort? (Note de Prudhomme.)

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