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civile, ont formé la majorité dans le comité, ont rempli plus des trois quarts de leur mission: ils nous ont procuré l'initiative du décret, ce qui est un commencement très-favorable, et l'on ne peut douter que leur besogne n'ait été extrêmement difficile, puisqu'ils y ont employé quatre ou cinq séances très-chaudes et prolongées fort avant dans la nuit; puisque enfin le comité a été constamment complet, et qu'ils ne l'ont emporté qu'à une majorité de douze contre neuf. Cette première victoire est due au zèle de M. Dufresne-Saint-Léon, qui n'a pas craint de se compromettre en contractant directement avec eux.

» Quant aux membres qui doivent soutenir le décret dans l'assemblée, et se distribuer les argumens les plus persuasifs; ils ont déjà rendu de grands services; ils ont fortifié le conseil exécutif en lui faisant renvoyer plusieurs affaires. Ces membres sont, sans contredit, les plus forts du côté gauche, et les plus accrédités parmi les membres prétendus patriotes. Si on différait le paiement, je me trouverais dans un très-grand embarras. J'en ai déjà vu plusieurs dans l'opinion que Sa Majesté ne différait ce paiement que parce qu'elle méditait un projet de départ, ou quelque autre destructif de l'assemblée même. D'ailleurs ils peuvent penser qu'on n'a cherché qu'à avoir la mesure de leur vénalité pour les perdre; et la crainte d'être divulgués va les rendre jaloux de se signaler dans les opinions les plus exagérées. Pour éviter ces embarras et ces inquiétudes, un seul moyen se présente : il consiste à distribuer dès à présent le tiers de la somme promise: cet acte de loyauté les rassurera et leur fera même sentir la nécessité de travailler à mettre dans l'assemblés des dispositions plus calmes, afin d'accélérer le paiement des deux autres tiers. La foi d'hommes de cette trempe est encore quelque chose, au moins il est quelquefois bon de paraître s'y abandonner. On peut même croire que, encouragés par ce premier paiement, s'il était possible qu'au moment de la décision l'assemblée fût mal disposée, ils emploieraient tous leurs soins à mettre la question principale en réserve, en l'ajournant à un moment plus favorable. ›

On lit une autre lettre de Sainte-Foix au roi, en date du 9 août 1792, à 10 heures du matin.

⚫ Sire, vous savez que le faubourg Saint-Antoine est en marche, et qu'il va arriver aux Tuileries avec du canon; mais on m'apprend en même temps que l'intention du roi et de la reine est de se réfugier dans le sein de l'assemblée nationale; cette mesure est tout-à-fait mauvaise et fausse; elle peut avoir des suites désastreuses, en ce qu'elle annoncerait un défaut de courage, qu'elle pourrait dégoûter la garde nationale, qui est dans ce moment en querelle ouverte avec l'assemblée législative, et qui se montrera bien mieux quand il s'agira de défendre Vos Majestés dans vos propres et royales demeures ; il vaudrait mieux faire nommer une députation de deux cents membres pour entourer Votre Majesté : c'est ce que je vais conseiller, tant aux ministres qu'aux membres influens. >

Rabaud-Pommier fait lecture des interrogatoires subis dans le comité par Dufresne-Saint-Léon et Sainte-Foix; ils contiennent, à quelques modifications près, l'aveu de toutes les charges qui résultent contre eux des pièces lues dans le rapport de Rulh. La Convention décrète successivement d'accusation DufresneSaint-Léon, Sainte-Foix et Talon.

Barrère. La première de mes demandes est que l'assemblée entende la lecture de la partie de la lettre dans laquelle mon nom est prononcé. Il est essentiel que l'assemblée se fixe sur le degré de l'imputation qui m'y est faite.

Voici le passage de la lettre de Laporte :

⚫ M. Duquesnoi m'a fait dire que M. Barrère, qui est dans les meilleures dispositions, ferait son rapport sur les domaines la semaine prochaine.

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D'autres présidens de la Convention ont quitté leur place pour faire des rapports brillans; moi je l'ai cédée avec tranquillité pour expliquer ma conduite.

Un citoyen romain disait : « Je voudrais que ma maison fût ouverte à tous les regards, afin que tous mes concitoyens pussent être les témoins de mes actions. Et moi aussi, j'eusse desiré

avoir une maison semblable; que ceux qui se montrent si enclins à accueillir les soupçons et à appeler la défiance sur ma tête, fassent le même vou, peut-être dans quelques jours, ils trembleraient de le voir accomplir.

Au mois d'août 1790 (je prie l'assemblée de faire attention aux époques), l'assemblée constituante chargea ses comités des domaines et de féodalité d'un rapport sur les domaines à réserver à l'usage du roi. Déjà, par un enthousiasme dont je m'efforçai alors d'arrêter les effets irréfléchis, elle avait abandonné au roi le droit d'indiquer les maisons, parcs et domaines qu'il désirait conserver. Le rapport me fut attribué; je ne sais par quelle fatalité, je sentis que c'était un poids pour un ami de la liberté, qu'un travail qui avait tant de rapport avec la cour. Cependant de grands malheurs éclatèrent à Versailles et à Fontainebleau, les Communes de ces villes prirent les armes, et vinrent faire entendre aux comités leurs réclamations et leurs plaintes. Qui fut leur protecteur? moi. Qui fit décréter que le roi serait restreint dans le nombre des domaines réservés à son choix? moi. On me pardonnera bien sans doute de parler souvent de moi, dans une occasion où c'est moi qu'on inculpe aussi directement.

C'est ce rapport sur lequel ce décret fut rendu, que je fis précéder de cette épigraphe : La loi n'est rien si elle n'est un glaive tranchant qui se meul sur un plan horizontal, et qui tranche tout ce qui s'élève au-dessus. C'est dans ce rapport que je disais :

Les propriétaires des fonds enclavés dans les parcs qui sont réservés au roi, peuvent-ils exercer le droit de chasse et détruire ou faire détruire le gibier sur leur terrain?

> Autant vaudrait-il demander si les propriétaires enclavés dans les parcs sont citoyens français comme les autres habitans du royaume; car, si la loi est égale pour tous les citoyens, les habitans du parc de Versailles ou de Compiègne doivent jouir de tous les avantages, de tous les droits de la propriété, comme les habitans des Alpes ou des. Pyrénées; ce ne sera pas pour

celui que vous avez chargé d'exécuter la loi que vous la violerez; vous ne réduirez pas les Français à regarder comme un fléau le voisinage du prince.

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C'est d'après ce rapport que je fis décréter que le roi ne pourrait chasser que sur son propre terrain; que tous propriétaires des fonds enclavés dans les parcs et domaines du roi pourraient détruire le gibier et les bêtes fauves qu'ils trouveraient sur leurs propriétés ; que le roi serait tenu de faire clore ses parcs à ses frais; enfin, qu'il en acquitterait l'impôt comme les autres citoyens.

Ce n'est que le 23 de septembre que l'on put me déterminer à faire ce rapport, et je dois rappeler ici une particularité qui est restée ignorée ; j'ai été par trois fois sommé par le président du comité de le soumettre à l'assemblée.

Dans un autre rapport sur les domaines nationaux à réserver au roi, je m'exprimais ainsi: Je ne sais flatter ni l'avarice, ni les prodigalités des rois.

Dans les jours du règne des réviseurs, c'est-à-dire dans la décrépitude de l'assemblée constituante, j'étais un mauvais sujet, un factieux; je recevais les injures des Beaumetz, des Lameth et autres visionnaires, parce que, inflexible au poste que le peuple m'avait confié, j'y demeurais fidèle à ses intérêts et à mes devoirs. Si ce sont là des crimes, je les avoue et je m'en glorifie. La voix du véritable honneur ne m'en reproche pas d'autres. Je demande pour réponse à l'inculpation contenue dans la lettre dont on vous a fait lecture, l'autorisation de réimprimer les deux rapports dont je fus chargé, le 13 septembre 1790, et le 26 mai 1791.

Ces observations de Barrère ont été accueillies par des applaudissemens unanimes, et il a été invité à reprendre le fauteuil.

Guadel. Je commencerai par faire une motion qui tient aux décrets d'accusation que vous venez de rendre. Talon est, parmi ceux que vous avez décrétés, celui qui peut jeter le plus grand jour sur cette affaire ; cependant il n'est point à Paris; on assure

qu'il est dans l'armée de Dumourier. Je demande que le ministre de la justice soit tenu de prendre les mesures les plus promptes pour le faire arrêter, et qu'il soit expédié sur-le-champ un courrier extraordinaire à cet effet.

Cette proposition est adoptée.

Guadet reprend. Maintenant, citoyens, je crois devoir à la Convention quelques explications sur les soupçons qu'on a cherché à élever contre moi. (Il s'élève quelques murmures dans une partie de l'assemblée.) Je n'avais point été nommé dans les diverses pièces qui ont été lues par les rapporteurs de la commission des Douze, et quand bien même on eût lu mon nom à côté de ceux de Barrère et de ceux de quelques autres membres, il ne m'eût pas été difficile de détruire la calomnie directe; cependant j'eusse cédé aux mêmes sentimens de délicatesse qui ont déterminé Barrère à quitter le fauteuil. Un membre de cette assemblée, le citoyen Chasles, a cru pouvoir appeler le soupçon sur ma tête; et, par un raffinement de méchanceté que je ne veux pas caractériser (Il s'élève quelques murmures et quelques applaudissemens.), c'est mon amour-propre que ce prêtre a cherché à intéresser pour assurer le succès de sa diffamation; c'est en me rangeant parmi les seize membres de la législature qui ont montré à la fois quelque courage et quelque constance dans la défense des bons principes, qu'on a cherché à jeter la défaveur sur ma conduite. Je ne suis pas monté à cette tribune pour faire valoir mes travaux comme législateur. J'ai rempli mon devoir; et certes, si ma constance, mon courage, ont pu être remarqués, ce n'a jamais été pour défendre ni Louis XVI ni la royauté. (On applaudit.) Je crois au contraire avoir acquis le droit de dire que nul plus que moi n'a plus imperturbablement, plus courageusement défendu, depuis le premier jour de la législature jusqu'au moment de la formation de la Convention nationale, les droits du peuple. (Mêmes applaudissemens.)

Il est au reste aisé de remarquer que le foyer de la corruption dont il est question dans les pièces qui ont été lues, avait principalement pour objet de s'assurer des voix de ceux qui étaient ini

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