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rai-je que les tiens applaudirent avec fureur ces paroles impatiemment attendues? Dirai-je que pour terminer dignement ce discours vandale, tu parus amèrement regretter, à cause des mauvais choix que faisaient les départemens, et dont les nouvelles nous arrivaient de toutes parts, qu'il ne dût pas se trouver dans la Convention un plus grand nombre d'hommes doués d'une ignorance assez crasse, pour ne pas même savoir parler leur langue? Dirai-je?... Non, mon intention n'est pas d'affliger sans nécessité qui que ce soit ; et je pense que l'homme qu'il te plut d'indiquer après Marat, ne méritait pas la honte de se trouver à ses côtes. Mais ce que je ne puis taire, c'est que vainement plusieurs républicains indignés demandèrent la parole avec moi. Vainement, comme eux, je brûlais de venger le philosophe anglais, et de démasquer le Français indigne. Tu avais prudemment décidé qu'on ne parlerait point après toi; tu ordonnais que la discussion, qui réellement n'était point ouverte puisqu'on n'avait pas entendu de contradicteurs, fût fermée; elle le fut. Tu nous donnas despotiquement l'appel nominal. O honte !... mais du moins ce n'est pas la nôtre ce n'est pas, je le jure, celle du peuple de Paris: la vertu perdit presque toutes les voix ; le crime nous échut.

Mais, pour essayer de pallier l'ignominie et le despotisme de tes élections, tu oses dire et imprimer que les choix ont été discutés et ratifiés par les sections. Eh bien! je ne te réponds que par deux mots, et Paris tout entier, que je puis appeler en témoignage, les répétera : Tu mens, tu mens, tu mens trois fois. Lis Condorcet, il te dira : « Il a fait entendre que ce choix avait › été confirmé par les assemblées primaires, mais il n'a pas dit › que cette résolution, prise dans le corps électoral, n'avait point › eu d'exécution, et que ceux qui avaient provoqué cet arrêté, › quand ils croyaient cette exclusion utile pour écarter les hom› mes qu'ils haïssaient, l'ont abandonné quand ils ont prévu › qu'elle ne frappait que sur leurs amis. > Lis Gorsas, il te dira, page 120 du numéro du jeudi 8 novembre: « Quand on est venu › dire au corps électoral qu'une ou deux sections avaient rayé

> ou voulaient rayer Marat, Fréron ou Robespierre: Eh bien ! > s'est-on écrié, nous verrons s'ils l'osent. »

Enfin, sur toute ta conduite dans l'assemblée électorale, lis un homme dont le témoignage est accablant contre toi, car dévant la France, qui n'ignorait pas quelle intime et sainte amitié vous unissait jadis, son silence eût maintenant suffi pour t'accuser. A la page 17 de son discours, sur l'accusation intentée contre toi, il te dira : « Il est vrai que cette assemblée ( électorale) » était influencée, dominée par un petit nombre d'hommes ; > qu'on ne pouvait choisir que leurs partisans ; que les élections › étaient préparées par des listes qui furent exactement suivies, à de légères exceptions près.

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est vrai encore que cette assemblée était devenue une lice toujours ouverte aux dénonciations, aux déclamations les plus > emportées. Des orateurs, par leurs discours, entretenaient » dans le peuple une agitation violente, et nous exposaient sans > cesse au renouvellement de ces scènes d'horreurs dont nous » venions d'être témoins. >

Encore un fait cependant sur cette assemblée électorale, un fait qui pourrait fournir à de nombreuses réflexions, et sur lequel je n'en veux faire aujourd'hui que très-peu. Qui donc, après la révolution du 10 août, s'occupa du soin de rappeler l'attention publique sur un homme que, dans toutes les suppositions possibles, il était sage de laisser dans ses palais? Qui donc eut la funeste maladresse et le cruel pouvoir de le faire représentant du peuple? Que signifie cette précaution de l'avoir nommé le dernier, le vingt-quatrième? Que signifie surtout cette impertinente comédie par laquelle les Cordeliers, qui venaient de faire cette élection, eurent l'air d'en être étonnés, et de vouloir revenir contre, sans doute afin de persuader aux bonnes gens que c'étaient nous qui l'avions faite. Et comment l'aurions-nous pu, nous qui nous étions trouvés trop faibles pour porter l'homme irréprochable, Priestley? nous qui, toujours écrasés par la faction, n'avions pu conquérir sur elle, et par une espèce de surprise encore, que le respectable Dussault, et trois ou quatre au

tres nominations précieuses pour nous, pour eux insignifiantes? Comment surtout l'aurions-nous voulu, nous, purs jacobins, que le fantôme d'un monseigneur effarouche? Philippe, malgré tes services dans la révolution de 89, et peut-être aussi à cause d'eux, je ne puis avoir confiance en toi, je ne puis oublier que tu naquis au sein des grandeurs; que tu reçus l'insolente éducation réservée aux gens de ta sorte ; que ta jeunesse respira l'air empoisonné des cours; que la soif de dominer servait à toutes les passions dans les individus de ta caste; qu'elle doit couler dans tes veines avec ton sang. Tes enfans..... Loin de moi l'odieux dessein de flétrir leur jeune courage et d'arrêter leurs dispositions sans doute louables; mais je crains que, pour leur entière régénération, ils n'aient tout à faire par eux-mêmes. A quelle époque, en effet, auraient-ils été formés pour l'austérité de nos mœurs républicaines? Adèle et Théodore, la Religion considérée, etc., et plusieurs autres ouvrages qui ne respirent que fa natisme de toute espèce, fanatisme religieux, superstition nobiliaire, haine de Voltaire, de Rousseau, de nos plus grands philosophes et de toute la philosophie, me sont-ils de bons garans que la gouvernante de tes fils ait voulu sincèrement leur mettre au cœur l'amour de cette égalité sainte, dont il est au moins étrange que tu aies usurpé le nom pour le leur passer ? Tes enfans! je me défie des crimes de leurs ancêtres, et je voudrais me défier de leurs propres vertus. Je me défie surtout et je m'indigne de l'espèce d'enthousiasme avec lequel ces mèmes hommes, qui n'ont pas craint de t'élire, affectent d'applaudir, jusque dans la Convention, à chaque nouvelle des succès que ces jeunes gens obtiennent. Tes enfans, je les plains. Ils auront longtemps encore à travailler, avant d'avoir effacé la tache de leur origine : ils sont nés d'un Bourbon! Philippé, Philippe, je te le dis, et le dis tout haut: quoique, malgré tes amis, il soit entré Beaucoup de vrais républicains dans la Convention, je suis toujours surpris qu'au milieu de ces premiers plenipotentiaires de ma patrie enfiti tout-à-fait plébéienne, toujours surpris, dis-je, et quelquefois inquiet, de voir assis non loin de moi un homme

qui fut prince. Philippe, Danton, Robespierre et Marat, vous tous et tous vos Cordeliers, prenez garde, nous serons unis contre vous, j'espère; nous vous observerons jusqu'à notre chute, fûtelle prompte, inévitable et violente; sûrs que du moins elle enfanterait des vengeurs à la République, nous vous combattrons; car, pour ce qui me regarde, mes commettans m'ont fait jurer, et je l'avais juré déjà, que, dussions-nous périr, nous ne souffririons plus, sous quelque nom que ce pût être, la honte et le fardeau de la royauté.

Passons au conseil-général. Tu fais l'éloge de la conduite qu'il tint dans ses premiers jours. Je ne l'ai pas attaquée, j'ai dit au contraire qu'alors j'étais un de ses membres. Mais ensuite, uniquement dirigé par toi, dont le despotisme éloignait le maire, écartait d'anciens et dignes administrateurs (1), entraînait la majorité, peut-être bien intentionnée, écrasait une minorité respectable; tout-à-fait animé de ton esprit désorganisateur, loin de déposer son pouvoir, il l'étendit; il méconnut les sections qui l'avaient envoyé, le conseil exécutif qu'il entravait dans sa marche, l'assemblée législative qu'il insultait jusqu'à sa barre, et les communes environnantes, sur le territoire desquelles ses commissaires allèrent exercer des actes de tyrannie. Tu régnais déjà, Robespierre, et pourtant le 2 septembre n'était pas encore venu. Ce fut, je crois, le 25 août que la section des Lombards, connue pour avoir constamment veillé contre l'aristocratie, tandis que le grand nombre des sectious paraissait dormir, la section des Lombards, incapable aussi de fléchir sous ta tyrannie démagogique, prit le vigoureux arrêté par lequel, déclarant le conseil-général usurpateur, elle lui retirait ses commissaires et invitait les autres sections à en faire autant. Aussitôt toute la cohue des petits rois de se mettre en campagne. Tallien dans sa

(1) Bidermann, Chambon, Osselin, Thomas, et plusieurs autres, qu'on ne laissait plus administrer; trop heureux qu'on leur permit d'avoir encore voix délibérative. Et qui voulut-on faire administrateurs? des hommes dont quelquesuns savaient à peine lire; mais qui, en revanche, savaient calomnier l'assemblée, dénigrer Pétion et louer Robespierre: de vrais Cordeliers.

section, Lavaux à celle de l'Oratoire, à celle de Mauconseil Lhuilier, et, dans plusieurs autres, tous les affidés de cette espèce me dénoncèrent dans les termes les plus violens. Que dis-je, le dictateur en personne, toi-même, Robespierre, feignant de me croire l'auteur de cet arrêté, que tu trouvais contre-révolutionnaire, et auquel j'avoue que je n'avais pas eu l'honneur de contribuer; toi-même, du haut de ta tribune, tu appelais sur moi les licteurs. Au milieu de tes groupes, il n'était question de rien moins que de marcher sur la section des Lombards; sous les fenêtres de la maison commune, un peuple égaré demandait ma tête, tandis que d'adroits émissaires venaient répandre jusque dans mon quartier le bruit que j'étais arrêté; et tout cela, faisait-on dire encore, parce que Pétion se conduisait mal depuis que j'étais son ami. Son ami! J'aurais pu désirer qu'il m'eût jugé digne de l'être. Mais son conseiller! De quoi mes avis auraient-ils pu servir à son expérience? A cette époque, il y avait peut-être quinze jours que je ne l'avais vu, et je ne crois pas qu'il ait reçu jamais une lettre de moi. Les calomniateurs le savaient bien sans doute; mais que leur importait, pourvu qu'ils préparassent l'opinion publique à la fin violente et prochaine qui m'était apparemment réservée, comme à tous les vrais républicains; nous touchions à l'époque terrible, remarquez; et surtout, surtout, pourvu qu'ils parvinssent à dépopulariser cet incommode Pétion... Qu'en auraient-ils fait par la suite? C'est ce que je laisse à penser.

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Tu dis: On vous entretient d'intrigans qui s'étaient intro› duits dans ce corps ; je sais qu'il en existait quelques-uns. › Ici, Robespierre, me voilà fort de ton propre aveu. Mais ces intrigans, voyons quels ils étaient, et de quelle espèce. C'est Pétion qui va parler. Beaucoup de ces membres (du conseil de la Commune), et en général les plus effervescens, étaient dispersés, ils remplissaient des missions dans plusieurs parties de l'empire; et ces missions, à quel titre les remplissaient-ils ? en qualité de commissaires du pouvoir exécutif. Mais comment le pouvoir exécutif avait-il choisi les plus effervescens? Ce n'était pas le pouvoir

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