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dernière faiblesse, qui, perçant dans tous les actes de sa vie publique, a pu faire croire que Robespierre aspirait à de hautes destinées, et qu'il voulait usurper le pouvoir dictatorial.

Quant à moi, je ne puis me persuader que cette chimère ait sérieusement occupé ses pensées, qu'elle ait été l'objet de ses désirs et le but de son ambition.

Il est un homme cependant qui s'est enivré de cette idée fantastique, qui n'a cessé d'appeler la dictature sur la France, comme un bienfait, comme la seule domination qui pût nous sauver de l'anarchie qu'il prêchait, qui pût nous conduire à la liberté et au bonheur ; il sollicitait ce pouvoir tyrannique; pour qui? Vous ne voudrez jamais le croire, vous ne connaissez pas assez tout le délire de sa vanité; il le sollicitait pour lui, oui, pour lui, Marat. Si sa folie n'était pas féroce, il n'y aurait rien d'aussi ridicule que cet être que la nature semble avoir marqué tout exprès du sceau de sa réprobation.

Ce projet insensé est déjà loin de nous, il ne reparaîtra plus; mais, législateurs, je vous déclare que, dans ce moment même, de vils esclaves en méditent un non moins absurde et non moins criminel. Oui, on ose penser à relever vos tyrans abattus; on jette quelque intérêt sur leurs personnes; on apitoie sur leur sort; leurs crimes sont des égaremens qu'on attribue à des conseils perfides; la générosité est la vertu d'une grande nation; l'oubli du passé nous préparera un heureux avenir; nous aurons la paix au dehors, l'abondance au dedans : ces idées manuscrites circulent dans des lettres; elles se propagent; on parle d'employer tout à la fois la ruse et la force pour favoriser l'exécution du projet; on parle d'un mouvement populaire, et de la facilité de profiter de ce trouble. J'ai reçu des avis multipliés sur des fabrications d'armes qui ne sont qu'à l'usage des scélérats. Des étrangers sont dans nos murs, et paraissent soudoyés par nos ennemis. On m'a dénoncé des hommes qui sont eux-mêmes des dénonciateurs de profession, mais que je crois néanmoins incapables de tremper dans ce projet infâme et extravagant.

Il est très-inutile, je pense, de chercher à calmer vos inquiétu

des sur une trame aussi follement atroce. La France ne courbera jamais sa tête altière sous le joug d'aucun tyran. Nous n'avons à redouter que nous-mêmes. C'est à la Convention nationale dont l'exemple est si puissant sur toute la République, à éloigner d'elle toutes ces petites passions, toutes ces personnalités avilissantes, qui dégradent la majesté d'une assemblée. Nous ne pouvons avoir qu'un sentiment, celui de la liberté. Il n'est plus là de roi ni de liste civile pour corrompre ; notre ouvrage ne sera qu'un projet, la nation l'examinera. On parle de partis ! Je vois des haines, des préventions, des chocs de vanité et d'amour-propre ; mais qu'on m'indique ici quel est le parti qui ne veuille pas la république, qui ne veuille pas l'unité, qui ne veuille pas la fraternité de tous les Français.

Je connais tels de ceux dont on forme des chefs de parti, qui sont les hommes les plus étrangers aux intrigues, qui sont les hommes les plus vertueux, et les plus indépendars.

Expliquons-nous ici franchement ; que nos explications tournent au profit de la chose publique, qu'elles soient les dernières. Si quelqu'un connaît dans cette assemblée un traître, qu'il le nomme s'il connaît une faction qui conspire contre la liberté, qu'il la dénonce. Que ce ne soit pas dans l'ombre du mystère qu'il distille la calomnie; que ce ne soit pas au moment même où un orateur est à la tribune, qu'on décrie sa personne pour décrier son opinion, qu'on se permette des confidences astucieuses, des insinuations perfides.

Qu'on n'ait pas non plus la lâcheté coupable, lorsqu'on a gardé le silence devant lui, d'aller travestir ailleurs ce qu'il a dit, et de calomnier jusqu'à ses intentions.

Demandez à ces hommes euvieux, si prompts à diffamer ceux qui leur déplaisent, ceux dont les talens et les vertus les offusquent, demandez-leur quelle preuve ils ont que celui qu'ils accusent soit un fourbe, un scélcrat.

Ils commenceront par vous dire qu'on ne peut pas raisonnablement exiger de preuves matérielles et écrites; s'étant mis ainsi à l'aise, ils rassembleront quelques faits, vrais ou faux, des con

jectures plus ou moins vagues, et bâtiront sur le tout un système de calomnie plus ou moins vraisemblable. Quel est l'homme, je parle du plus intègre, dont la réputation puisse résister à cette étrange preuve? Cette manie d'attaquer sans cesse et indistinctement tous les hommes publics, d'appeler sur leurs têtes les vengeances d'une multitude égarée, n'est favorable qu'aux fripons, puisqu'ils se trouvent sur la même ligne que les gens de bien; elle n'est propre qu'à décourager la vertu et à enhardir le vice; elle met le peuple dans une situation pénible, dans cette incertitude cruelle de ne savoir à qui remettre sa confiance.

Laissons à l'écart toutes ces injustes défiances, toutes ces idées de parti; voyons moins les hommes, voyons plus les choses. Quand une vérité nous est offerte, qu'importe la main qui la présente? Qu'importe la source d'où elle découle, et les motifs qui l'ont inspirée? Ne nous passionnons que pour le bien. La nation attend de nous son bonheur; ne fatiguons pas plus longtemps son impatience. L'Europe vous contemple, la postérité vous jugera.

Je demande donc que nous nous occupions des grands intérêts de la République.

Lettre de Jérôme Pétion à la société des Jacobins.

Depuis quelque temps, dans cette société, on me porte des attaques plus ou moins directes, plus ou moins vives. Jusqu'ici je n'ai pas cru devoir répondre ; mais il est temps d'arrêter ce système d'intrigues et de calomnies. Je n'aime pas à parler de moi; je ne me suis jamais permis de dire en public un seul mot des services que j'avais rendus; je le dois aujourd'hui, je vais le faire, et sans affecter une fausse modestie.

J'ai aimé et cultivé la liberté avant qu'elle fût née dans mon pays.

Je me suis livré à l'étude des lois et des gouvernemens, et j'ai fait, avant la révolution, des ouvrages qui respirent l'amour de l'égalité et de la liberté.

T. XXI.

8

J'ai défendu avec constance et courage les droits du peuple dans l'assemblée constituante.

J'ai sauvé cette société lors de la fameuse scission. J'ai vu un instant où elle était composée de trois membres de l'assemblée nationale, et de vingt à trente autres citoyens. La terreur avait dissipé le reste; elle avait dissipé plusieurs des hommes qui y jouent aujourd'hui les plus grands rôles. Des trois membres de l'assemblée l'un était peu connu. Robespierre, qui avait une réputation faite de patriotisme, ne jouissait cependant pas de ce genre de considération que donnent la sagesse et la mesure dans la conduite des affaires publiques. J'ai vu Robespierre tremblant, Robespierre voulant fuir, Robespierre n'osant se montrer à l'assemblée... demandez-lui si je tremblais.

J'ai sauvé Robespierre lui-même de la persécution, en m'attachant à son sort, lorsque tout le monde l'abandonnait.

J'ai sauvé plus d'une fois Paris, et j'ai épargné le sang du peuple.

Je n'ai pas peu contribué à amener la journée du 10 août.

Je n'ai plus eu depuis la même influence sur les événemens; on jugera si cela a été plus utile que nuisible au bonheur de cette ville et à la tranquillité de ses habitans.

J'espère encore servir ma patrie.

Je déclare que je n'appartiens et que je n'appartiendrai jamais à aucun parti.

Je déclare que je ne connais point de faction Brissot; que, malgré l'aveuglement général et l'acharnement à cet égard, cette faction est une chimère, et qu'il n'est pas d'homme moins propre à être chef de parti que Brissot.

Je déclare que la société des Jacobins a rendu les plus grands services, qu'elle peut en rendre encore d'importans, et que je la défendrai de toutes mes forces, mais sans prévention; que j'adopterai ses opinions quand je les croirai bonnes; que je les combattrai quand je les croirai mauvaises.

Lorsqu'on considère quelques-uns de ces hommes si ardens patriotes en apparence, de ces fanfarons de liberté qui étaient

jadis esclaves, et qui demain le seraient encore sous un roi, de ces hommes qui ont l'insolence de ne trouver personne à leur hauteur, cela dégoûterait du patriotisme si cette yertu n'était pas gravée profondement dans le cœur.

Quant à moi, je suis aujourd'hui ce que j'ai toujours été : inébranlable dans mes principes; je réponds que, quelque chose qui arrive, je mourrai libre.

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