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Bien que le serment militaire à cette époque ne paraisse pas avoir été relatif à la fonction, on aperçoit cependant dans quelques cas que l'on invoqua la forme première usitée par les Romains, et qu'indépendamment de l'engagement général, on demanda des engagemens spéciaux, c'est-à-dire relatifs à des individus. Mais il semblerait que cela n'eut lieu que dans des circonstances extraordinaires; au moins on n'en trouve des traces que lorsqu'il s'agissait de s'assurer la fidélité soit des soldats nouvellement acquis, soit de camps nouvellement formés pour garder une province que l'on venait de conquérir. Ainsi les légions campées au bord de la Loire prêtèrent serment aux cités armoricaines et au roi Clovis. Ainsi Charlemagne recevait cet engagement des Marches qu'il avait établies en Lombardie.

les

Bien entendu que nous ne parlons ici que de ce qui constituait l'État légal en quelque sorte, et de ce qui se rapportait à l'institution militaire en général. En effet, dans les guerres civiles tout changeait. Alors, il se prêtait des sermens uniquement relatifs aux personnes, et quelquefois les habitans des villes même étaient reçus à contracter cet engagement. Il faut dire, en outre, que les commandans supérieurs, les rois, ducs et peut-être même les comtes, avaient autour d'eux une espèce de garde personnelle dont ils avaient emprunté l'usage aux Romains; c'était les milites comitatenses de ceux-ci; les hommes, les fidèles chez les Francs. Or, ces soldats étaient nécessairement liés par un devoir spécial envers la personne même qu'ils servaient. C'était parmi eux sans doute que le supérieur choisissait les chefs qui lui étaient immédiatement subordonnés. l'Ecole du Palais, établie par Charlemagne, eut pour but de perfectionner cette institution, en donnant à ces hommes une instruction qui les rendit plus capables de remplir les hauts grades. Nous voyons qu'à cette époque ces gardes étaient divisées en deux catégories, les Tyrones et les Milites ou Caballeri, c'est-à-dire en français moderne les écuyers et les chevaliers. Probablement il en avait été de même dans tous les temps. Or, cet usage nous explique ce qui se passait dans les guerres civiles, où des commandans de camps provinciaux, de bourgs militaires, se faisaient pour un moment les hommes, les fidèles d'un chef de parti, en se liant à lui par un serment spécial, serment qui ne pouvait néanmoins jamais détruire celui qu'ils avaient prêté, au commencement de leur vie, à la fonction militaire, c'est-à-dire au devoir national, qui était alors si nettement défini.

Les armées dites permanentes des rois et des princes, qui furent établies quelques siècles plus tard, ne furent qu'un développement de cette institution primitive que nous venons d'examiner. L'une et l'autre étaient dévouées par leur serment à un service purement personnel; sous les deux premières races, elles se recrutaient de deux manières: d'abord, parmi les fils des hommes déjà revêtus de grades, qui envoyaient leurs enfans à la cour afin qu'ils y reçussent l'instruction et y courussent la chance d'une haute fortune; ensuite, de tous les hommes, de quelque rang qu'ils fussent, que leur courage jetait dans la carrière des armes. Les chroniques constatent en effet que les hommes sortis des Gynécées, des Villa, y acquirent une place.

Lorsque, sous la fin de la seconde race, les fiefs devinrent héréditaires, tout changea. Ce ne fut pas seulement le devoir d'accomplir la profession guerrière qui devint transmissible du père aux enfans, mais ce fut le grade, en sorte que le serment ne lia plus seulement l'homme à la fonction, mais l'attacha à son supérieur immédiat. Les rapports de vassal à suzerain vinrent à naître, et ce fut par une conséquence naturelle de cet état de choses, et comme un complément nécessaire pour former une unité dans cette organisation, que s'établit l'hérédité royale telle que nous la connaissons aujourd'hui. Plus tard il y eut diverses variétés d'en

gagemens et d'hommages; mais toutes revêtirent le caractère général que nous venons de fixer, et à cause de cela il serait aussi inutile que long et fastidieux d'en parler. Dans le système dont il s'agit, la fidélité des inférieurs vis-à-vis des supérieurs était assurée par le seul fait de l'hérédité. Mais il y avait alors, et il ne faut pas l'oublier, un pouvoir spirituel supérieur, qui dominait par la foi, et qui ne cessait d'agir et d'améliorer. Ce fut lui qui introduisit dans l'organisation féodale une discipline qui effaça, amoindrit tous les vices qu'une organisation semblable, établie par la seule fatalité des événemens, n'eût pas manqué d'engendrer. D'abord, le pouvoir spirituel pouvait délier de l'obligation du serment, et ceux qu'il proposait étaient les plus sacrés de tous, les seuls qui fussent irrefragables, ensuite le serment n'obligeait que dans certaines limites, dans celles mêmes du devoir qui était imposé au supérieur, en sorte qu'en définitive le serment donnait toujours à ceux qui le prêtaient le droit de juger les actes de celui envers qui ils étaient obligés, et supposait le droit de se retirer. Cette conséquence logique du fait même de l'hommage fut poussée à tel point que, dans l'intérêt même de la conservation de la hiérarchie, il fut établi un système de justice uniquement relatif aux questions de discipline féodale.

L'esprit d'égalité et de fraternité fit naître dans le sein de cette population féodale une institution qui en modifia encore plus profondément la puissance : nous voulons parler de la chevalerie. Son origine, comme on le sait, se perd dans l'obscurité même des siècles où le système heréditaire des fiefs, dont nous nous occupons, vint à naître. On n'en a pu fixer la date, et ce qui est certain, c'est qu'il en est question comme d'une chose établie, et nullement nouvelle dans les poèmes du commencement du douzième siècle.

Quant à nous, elle nous semble une modification et en même temps un perfectionnement de ces anciennes milices personnelles, de ces milites comitatenses dont nous parlions il y a un instant. Nous en trouvons la preuve et dans le fait du serment, qui était suivi du don du baudrier et de l'épée, et dans l'épreuve essentiellement militaire qu'il fallait subir, celle de servir comme écuyer avant d'être libre comme chevalier. Mais l'introduction des formes et des devoirs chrétiens changea son caractère primitif à tel point, qu'il est difficile de reconnaître un usage romain dans cette création du moyen âge. Il y avait deux espèces de serment pour le chevalier : l'un était seulement relatif à ses devoirs comme chrétien; il était indélébile, il était pour toute la vie; l'autre était spécial, libre, et n'avait pour résultat que de l'engager à un devoir déterminé quant à son objet et à sa durée. L'acte de se croiser était un acte de chevalerie. Dans les premiers temps, sans doute, cette institution se recrutait à la manière des gardes du palais de Charlemagne, c'est-à-dire parmi les cadets de famille possédant fiefs, et parmi tous les hommes de courage, de quelque lieu qu'ils sortissent. Plus tard elle s'introduisit parmi les possesseurs même des fiefs. Ce fut un honneur pour tout le monde d'en faire partie. Avec elle s'établit parmi les seigneurs féodaux une fraternité, une égalité indépendante du rang héréditaire. Le mérite individuel put montrer sa réelle supériorité et la faire reconnaître. Il se trouva un corps de soldats libres, capables de juger les questions de devoir et d'honneur, dont l'accession donnait la victoire au parti de la justice, qui fournit la matière de ces armées de croisés ou d'aventuriers qui rendirent tant de services dans le moyen âge, et fondèrent tant de royaumes et de duchés, armées dans lesquelles le rang héréditaire ne donnait pas le commandement, mais le mérite. Cette institution, en un mot, fut assez puissante pour annihiler les dangers qu'eût fait courir à la civilisation le principe vicieux qui gouvernait l'organisation militaire du moyen âge.

Mais sous le rapport militaire, la révolution la plus importante, qui eut lieu du onzième au douzième siècle, fut, sans contredit, celle des communes, car ce fut là le passage des temps anciens aux temps modernes. Ce grand événement a été, selon nous, jugé d'un point de vue trop étroit, et jusqu'à un certain point faux, à cause de cela, par la plupart des historiens contemporains. A lire leurs narrations, on croirait qu'il ne s'agissait alors que de conquérir le droit d'administration municipale, ou de le reprendre sur des usurpateurs. S'il en fut ainsi quelquefois, si le plus souvent il en résulta un accroissement de libertés locales, le fait grave, le fait important, celui qui irritait à un si haut point l'orgueil des barons feodaux, n'était point celui-là; ce fut le droit de serment que s'attribuait le peuple des villes. Jamais jusqu'alors, sauf dans quelques circonstances exceptionnelles, les cités n'avaient eu le droit du serment: l'acquérir, c'était devenir soldats, chevaliers, nobles; et, sous ce rapport, les preuves historiques abondent. Examinons, en effet. Il est des cités dont les libertés municipales ne furent jamais contestées; tel est Paris, par exemple. Il n'en est pas, si nous nous en souvenons bien, où elles aient été complétement confisquées dans les désordres du dixième siècle, par les seigneurs ou les évêques qui veillaient à leur conservation. Au contraire, dans cette période, plusieurs bourgs, plusieurs villa qui étaient devenues des villes, acquirent des libertés qu'ils n'avaient pas auparavant. Que leur manquait-il pour participer ainsi que la noblesse aux affaires politiques? Il leur manquait le droit de serment; et cette conquête fut en effet si importante, que plusieurs seigneurs se firent par suite affilier à la bourgoisie de certaines villes. La révolution des Communes, qui de France se propagea en Flandre, en Allemagne, en Suisse, en Italie, eut pour conséquence de créer dans ces contrées, où un travail habile et constant de centralisation n'était pas poursuivi par le pouvoir comme cela avait lieu chez nous; cette revolution, disonsnous, eut pour conséquence de créer des bourgeoisies souveraines, qui se dirent nobles, comme en Suisse, et eurent des vassaux, ou qui se connèrent des chefs, firent la guerre, contractèrent des alliances, comme en Italie, en Flandre, en Allemagne. Dans notre pays, le droit de serment, conquis par les Communes, créa une milice nationale, mue par des passions publiques et par des intérêts autres que ceux de la population féodale, milice qui fut, entre les mains des rois ou de quelques grands capitaines, un instrument à l'aide duquel ils écrasèrent tous les ennemis de l'unité: milice qui sauva plusieurs fois la France du fédéralisme.

L'insurrection de 1789 acheva ce qu'avait commencé la révolution des Communes. L'institution de la garde nationale donna à tous les Français le devoir des armes et le droit du serment militaire. Il suffit pour l'affir mation de ce fait de rappeler, et la première fédération du Chamr Mars, et le Champ de Mai, dans les Cent-Jours, en 1815, et la même qui nous gouverne aujourd'hui, dont la conservation est au courage de tous les Français. Mais depuis que l'obligation i est devenue, par suite de la révolution, un des devoirs co. imposé à tous les membres de la société, on a maintenu les usa temps où le service guerrier était une fonction exceptionnelle, et en quelque sorte un privilege. En cela on a obéi à des habitudes établies, et l'on n'a pas un seul instant pensé à rechercher s'il y avait lieu à introduire, dans le fait même de la prestation du serment, quelque modification correspondante à celle que la constitution sociale avait éprouvée. Quant à nous, nous croyons que la question est changée; que les occasions et le but du serment ne sont plus les mêmes. Dans une prochaine preface, nous nous occuperons de l'examen de ce problème.

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

NOVEMBRE 1792 (suite).

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COUP D'OEIL SUR LA PRESSE.

Les passions qui depuis la séance du 5 faisaient à peu près silence à la Convention, on se cachaient sous des questious législatives, se manifestaient, avec toute leur énergie, dans la presse quotidienne. Nous allons en recueillir les preuves; mais nous ferons oix seulement des articles qui contiennent quelques éclaircie mens, et nous ne citerons non plus que les journaux qui jouaient un premier rôle dans chaque opinion. Il serait d'ail lieurs inutile et impossible de conserver toutes les phrases où l'hostilité mortelle des deux partis se témoignait, et qui se trouvent semées jusque dans le compte-rendu des séances de l'assemblée.

Le Patriote Français se distingue, parmi les journaux girondins, par l'habile té des commentaires interlinéaires dont il ac

T. XXI.

1.

compagne les moindres discours, par l'habileté de ses citations. Une société populaire vient-elle de lancer un manifeste contre Robespierre, et le nombre de ces sortes d'attaques fut assez grand, il s'en empare. Y a-t-il un article quelque part qui lui paraisse bien personnellement incisif; il le réimprime. Ainsi il emprunta à la Chronique celui que nous donnons ici en partie.

« On a remarqué, dit la Chronique, que l'on avait amené beaucoup de femmes à la séance du 5; les tribunes en contenaient sept à huit cents, et deux cents hommes tout au plus, et les passages étaient obstrués de femmes. Paris était tranquille : nul groupe, nul mouvement; un groupe seulement de cinquante personnes sur la terrasse des Feuillans, et deux ou trois hommes à la porte, avec des tripes, pour les faire manger, disaientils, à ceux qui auraient voté contre Robespierre.

› On se demande quelquefois pourquoi tant de femmes à la suite de Robespierre, chez lui, à la tribune des Jacobins, aux Cordeliers, à la Convention? C'est que la révolution française est une religion, et que Robespierre y fait une secte: c'est un prêtre qui a ses dévots; mais il est évident que toute sa puissance est en quenouille. Robespierre prêche; Robespierre censure; il est furieux, grave, mélancolique, exalté à froid, suivi dans ses pensées et sa conduite. Il tonne contre les riches et les grands; il vit de peu et ne connaît pas de besoins physiques ; il n'a qu'une seule mission, c'est de parler, et il parle toujours; il crée des disciples; il a des gardes pour sa personne; il harangue les Jacobins quand il peut s'y faire des sectateurs; il se tait quand il pourrait exposer son crédit; il refuse des places où il pourrait servir le peuple, et choisit les postes où il peut le gouverner; il paraît quand il peut faire sensation ; il disparaît quand la scène, est remplie par d'autres; il a tous les caractères non pas d'un chef de religion, mais d'un chef de secte; il s'est fait une répu tation d'austérité qui vise à la sainteté ; il monte sur des bancs; il parle de Dieu et de la Providence; il se dit l'ami des pauvres et des faibles; il se fait suivre par les femmes et les faibles d'esprit. Il reçoit gravement leurs adorations et leurs hommages, dispa-,

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