Page images
PDF
EPUB

consultées par MM. Berville et Barrière, et nos lecteurs ont pu voir comment et dans quel esprit. Il est d'autres archives, d'autres collections, qui n'avaient jamais été visitées, et ici nous devons adresser de sincères remercimens aux hommes honorables qui ont bien voulu nous servir de guides, et mettre sous nos yeux les richesses qu'ils avaient péniblement amassées ou découvertes. Ne serions-nous pas coupables, ne manquerions-nous pas à nos devoirs d'historiens, si, par une pensée misérable de spéculation; si, pour tenter, par l'amoindrissement du volume et du prix, la faiblesse de quelques acheteurs, nous ne profitions pas, pour compléter l'histoire de la révolution, de circonstances qui peutêtre ne se représenteront plus, car les collections particulières pourront être dispersées par la mort de leurs propriétaires, et il est des pièces uniques qui peuvent être égarées; tant d'autres, et par milliers, ont déjà disparu! Ajoutons que le meilleur d'assurer la conservation des documens rares, moyen c'est certainement une œuvre telle que la nôtre, qui donne un prix à des choses, en apparence indifférentes, uniquement en les mettant à leur place.

Ces explications doivent rassurer ceux de nos souscripteurs qui, de plusieurs parts, viennent de nous exprimer la crainte de nous voir tronquer notre travail. Nous ne sacrifierons rien à une brièveté qui rendrait notre oeuvre stérile, tout en nous efforçant d'éviter une redondance qui la rendrait fastidieuse la probité historique et le but que nous poursuivons nous en fout une loi. Sous ce rapport, M. Paulin, notre éditeur, partage complétement nos intentions et nos convictions. Il commença cette entreprise plutôt dans une pensée d'utilité que par

esprit de spéculation. Il la tenta dans un temps où, en librairie, toutes les chances étaient contre les ouvrages sérieux, où toutes les faveurs du feuilleton et des annonces appartenaient aux oeuvres amusantes d'imagination. Le succès a couronné ses bonnes intentions; maintenant qu'il ne s'agit plus que de marcher, il ne nous proposera d'autres bornes que celles que nous nous imposerons nous-mêmes.

Nous terminons ici cette note, que la nécessité de parler de nous nous a rendue difficile, et nous reprenons nos habitudes philosophiques.

PRÉFACE.

Considérations sur les institutions militaires.

Parmi les modifications que la révolution introduisit dans l'organisation sociale en France, l'une des plus grandes et des plus graves est, sans contredit, celle qui résulte des changemens que subirent à cette époque les institutions militaires, autant par suite de l'insurrection de 1789 que par les nécessités de la guerre. Il est difficile d'en apprécier la valeur d'un simple coup d'œil, surtout aujourd'hui que nous vivons dans la ferveur de cette conquête nouvelle, et que nous la disputons encore aux prétentions qui veulent nous la ravir. Mais elle est, au fond, d'une portée telle que dans quelques siècles elle sera probablement considérée comme d'une importance égale à celle de la révolution des communes. Aussi nous croyons utile de consacrer quelques pages à examiner la valeur politique de ce système nouveau auquel nous tenons plutôt par sentiment que par raison; bien entendu qu'il ne s'agit point ici de traiter la question en militaire, mais de l'étudier sous son aspect historique et philosophique.

L'institution militaire, la constitution du mariage, l'institution industrielle, sont les trois modes principaux par lesquels s'opère la conservation matérielle des nationalités et, par suite, de toute société parmi les hommes. Les progrès accomplis par les populations, autant dans l'ordre du développement moral que dans l'ordre politique, peuvent être mesurés par l'état même de ces institutions et par les formes qu'elles revêtent. C'est sous ce rapport que nous allons examiner l'histoire des systèmes d'organisation militaire.

La constitution militaire fut toujours considérée, après celle du mariage, comme la plus importante dans l'ordre matériel. En effet, elle se rapporte directement à la conservation du corps social lui-même, tandis que l'industrie est plutôt relative à la conservation des individus. L'œuvre du soldat est à un haut degré une œuvre de sacrifice et de dévouement, tandis que celle de l'industriel est très-souvent un simple calcul d'égoïsme. Aussi, selon cette loi, qui bien que tardivement proclamée n'en est pas moins une nécessité qui domine toujours parmi les hommes, savoir, que le droit découle du devoir, les droits furent accordés selon les devoirs accomplis. Celui qui remplissait la fonction guerrière, la fonction la plus difficile, fut toujours privilégié, vis-à-vis de celui qui n'obéissait qu'au devoir d'un travail sans péril. C'est à l'histoire

de nous apprendre quels furent ces priviléges, comment et pourquoi, après avoir été le partage du petit nombre, ils devinrent successivement celui de tous.

Afin de suivre régulièrement ces changemens jusqu'aux temps où nous sommes, on est obligé de remonter jusqu'à l'organisation militaire des Romains; car de ce système naquit celui qui fut en vigueur sous les deux premières races de nos rois, et qui est le point de départ de toutes les modifications apportées par la civilisation moderne. Chez les Romains, dans les premiers temps de la république, la ville n'etait qu'un camp; la hiérarchie entre les tribus du peuple n'était fondée que sur la hiérarchie des fonctions militaires, sur la valeur du rôle que chaque classe de citoyens remplissait dans la guerre. Le sénat était le pouvoir spirituel, et le chef de ce corps. Lorsque Rome eut étendu ses conquêtes, ses citoyens acquirent, vis-à-vis des peuples soumis, la position d'une caste guerrière et souveraine. Ils n'eurent plus alors qu'une fonction, celle de soldat : c'était parmi eux qu'on levait les légions destinées à maintenir l'obéissance, et à garder ou à étendre le domaine de la république. Parmi les priviléges dont ils jouissaient, nous n'en examinerons et nous n'en suivrons qu'on seul, celui du serment; il nous paraît comprendre et résumer tous les droits dont la jouissance était attachée au devoir militaire. En effet, celui qui a le droit de prêter serment possède aussi le droit de refuser l'obéissance; c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il a une part quelconque dans la décision des affaires politiques. Cela était vrai chez la nation que nous examinons: le peuple participait en effet au gouvernement par l'élection des magistrats, et à la formation des lois par ses votes. Mais ce qu'il y avait de remarquable à Rome, c'est que le serment militaire ne se prêtait pas une seule fois pour toute la vie.

Le serment n'engageait l'enrôlé que pour une seule expédition, ou plutôt envers un seul chef. S'il survenait un nouveau général, il y avait aussi lieu à un nouvel engagement de la part du soldat. Sans doute, lorsqu'un citoyen était appelé, il arriva rarement qu'il refusât de donner cet engagement; ce fait pouvait la plupart du temps être considéré comme une rebellion, puisque c'était en quelque sorte résister à la volonté de la majorité qui avait élu le consul qui présidait à l'appel. Cependant chacun pouvait faire valoir ses raisons, bonnes ou mauvaises, de refuser et de se retirer, de telle sorte qu'il arrivait quelquefois qu'un général parvenait assez difficilement à former une armée, tandis que dans d'autres circonstances les historiens nous apprennent que le peuple courait avec empressement se faire enrôler. Enfin, il y a quelques exemples d'un refas général de prêter le serment militaire, et ce fut pour répondre à des cas pareils que fut imaginé le pouvoir dictatorial. Tout ce que nous venons de dire prouve seulement une chose, c'est que le privilege de prêter serment emportait la faculté de le refuser, et la participation au gouvernement des affaires publiques; que le serment n'engageait jamais au-delà d'un certain devoir bien spécialisé, et par la situation politique, qui était connue de tous, et par le caractère de l'homme que l'élection avait élevé au commandement.

Sous les empereurs, la constitution de la répub'ique romaine changea: car ce fut sous leur règne que commença et s'acheva rapidement l'œuvre dont la fin fut d'effacer toutes les petites divisions hiérarchiques que la conquête avait conservées comme un moyen de gouvernement, et de les réduire à une seule, celle qui partagea les hommes en hommes libres et en esclaves. Alors les armées ne forent plus seulement composées de Romains, mais de levées opérées dans toutes les parties du territoire de la république, on en majorité de barbares, selon l'expression de quelques historiens. L'usage du serment resta; mais il se prêtait à l'empereur, c'est-à-dire à un homme qui devait régner pendant toute

la durée de sa vie, à un homme revêtu par ce titre même d'imperator du commandement militaire universel et supérieur. Il paraît cependant qu'il y eut long-temps, si ce n'est toujours, deux espèces de serment; celui dont nous venons de parler et qui se rapportait au chef militaire de toute la république, et en outre un serment spécial qui se rapportait au commandant d'un corps d'armée, ou d'un camp. Quoi qu'il en soit, l'engagement n'avait plus le même caractère que dans les premiers temps de Rome; il avait déjà en partie la signification usitée dans nos armées modernes. Ce privilège du serment entraîna celui de le refuser et de le rompre; en sorte qu'il arriva que les troupes firent les emperears, et formèrent la seule classe de citoyens qui, par le moyen de ces élections, conservât une influence sur le gouvernement du monde romain. Il est à remarquer en effet que, sauf dans quelques cas qui devinrent de plus en plus rares à mesure que l'on avance dans l'histoire des empereurs, il n'était demandé aucun engagement semblable aux habitans des cités.

Nous franchissons ici l'espace de plusieurs siècles, afin d'arriver sous nos rois de la première race. La constitution des armées avait éprouvé quelques changemens sous les derniers empereurs ; la difficulté de trouver des soldats et la nécessité d'assurer des gardiens à une ligne de frontières d'une étendue immense, les avaient obligés de rendre le devoir militaire en quelque sorte héréditaire et force. Nous renvoyons, à cet égard, nos lecteurs à notre introduction sur l'histoire de France. Ils y trouveront des détails suffisamment étendus sur l'organisation des armées provinciales dans les derniers temps de la domination romaine. Le serment avait subi des changemens analogues. Il se prêtait pour toute la vie non plus seulement à un homme, mais à la fonction elle-même. On l'appelait le serment du Baudrier, parce que, en le prêtant, on ceignait un baudrier et une épée. On le prononçait d'abord à dix-sept ans. Les fils de soldats étaient appelés les premiers, et, en contractant l'enrôlement, ils acquéraient le droit de succéder au manoir de leur père. Mais ils pouvaient le refuser, ils pouvaient fuir, et l'on ordonna que le serment serait déféré dès l'enfance, c'est-à-dire à l'âge de onze ans. On assura ainsi le recrutement de l'armée en rendant la fonction héréditaire de fait. Cette situation étant établie, il en résulta que l'importance du serment fat plutôt relative au devoir d'obéir qu'à la personne de celui qui commandait. Il y avait donc alors deux espèces d'hommes libres : les habitans des cités, qui devaient seulement le cens, et n'avaient pas le droit de serment (1), et les habitans des camps et bourgs militaires qui le possédaient, mais devaient le service guerrier. Ce fut dans cet état que nos rois de la première et ceux de la seconde race prirent la France, et ce fut ce système qu'ils répandirent sur le sol de l'Europe.

Si la fonction militaire comme la fonction civile étaient héréditaires, les grades ne l'étaient pas. Dans les villes, les citoyens conféraient par élection les magistratures; dans les camps, c'était la volonté du commandant en chef qui formait les rangs de la hiérarchie. A cette époque l'héredité royale elle-même n'était pas assurée comme de nos jours. Le roi n'était que le chef suprême de l'armée, et, à ce simple titre, il ne pouvait donner à ses enfans la succession de sa couronne qu'en les appelant de son vivant à occuper les premiers grades militaires après lui, de telle sorte qu'ils se trouvassent naturellement à sa mort les premiers dans l'ordre de la hiérarchie. Nous renverrons encore à cet égard à notre Introduction sur l'histoire de France.

(1) H paraît cependant que, dans quelques cas, on demanda le serment aux babitans des cités; mais les exemples que l'on peut citer se rapportent tous à des circonstances exceptionnelles, à des guerres civiles.

« PreviousContinue »