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si différens, quoique si voisins en apparence, est une des plus rares qualités de ce grand écrivain.

Telles sont les principales lois de l'élocution oratoire. On trouvera sur ce sujet un plus grand détail dans les ouvrages de Cicéron, de Quintilien, etc. surtout dans l'ouvrage du premier de ces deux écrivains qui a pour titre l'orateur, et dans lequel il traite à fond du nombre et de l'harmonie du discours. Quoique ce qu'il en dit soit principalement relatif à la langue latine qui étoit la sienne, on peut néanmoins en tirer des règles générales d'harmonie pour toutes les langues.

Nous ne parlerons point ici des figures sur lesquelles tant de rhéteurs ont écrit des volumes: elles servent sans doute à rendre le discours plus animé : mais la nature ne les dicte pas, elles sont froides et insipides. Elles sont d'ailleurs presque aussi communes, même dans le discours ordinaire, que l'usage des mots pris dans un sens figuré est commun dans toutes les langues.

Je finis cet article par une observation qu'il me semble que la plupart des rhéteurs modernes n'ont point assez faite; leurs ouvrages calqués, pour ainsi dire, sur les livres de rhétorique des anciens, sont remplis de définitions, de préceptes, et de détails nécessaires peut-être pour lire les anciens avec fruit, mais absolument inutiles et contraires même au genre d'éloquence que nous connoissons aujourd'hui. « Dans cet art, comme dans tous les autres, dit » très-bien M. Fréret, il faut distinguer les beautés réelles » de celles qui, étant arbitraires, dépendent des mœurs, » des coutumes et du gouvernement d'une nation, quel» quefois même du caprice de la mode, dont l'empire » s'étend à tout, et a toujours été respecté jusqu'à un certain » point. » Du temps de la république romaine, où il y avoit peu de lois, et où les juges étoient souvent pris au hasard, il suffisoit presque toujours de les émouvoir, ou de les rendre favorables par quelque autre moyen; dans notre barreau il fant les convaincre. Cicéron eût perdu à la grand'chambre la plupart des causes qu'il a gagnées, parce que ses clients étoient coupables; osons ajouter que plusieurs endroits de ses harangues, qui plaisoient peut-être avec raison aux Romains, et que les latinistes modernes admirent, sans savoir

pourquoi, ne seroient aujourd'hui que médiocrement

goûtées.

(M. D'ALEMBERT.)

SOCIETÉ

ENFANS sans souci.

OCIÉTÉ singulière formée, à l'exemple de la mère folle ou infanterie dijonnaise, vers les commencemens du règne de Charles VI, par quelques jeunes gens de famille, qui joignoient à beaucoup d'éducation un grand amour pour les plaisirs, et les moyens de se les procurer: ces circonstances réunies, il ne pouvoit manquer d'en naître quelque chose de spirituel; aussi donnèrent-elles lieu à l'idée badine, mais - morale, d'une principauté établie sur les défauts du genre humain, que ces jeunes gens nommèrent sottise, et dont l'un d'eux prit la qualité de prince. Ce prince des sots ou de la sottise marchoit avec une espèce de capuchon sur la tête et des oreilles d'âne; il faisoit tous les ans une entrée à Paris, suivi de tous ses sujets.

Cette plaisanterie, dit l'auteur du théâtre français, étoit neuve, et les moyens qu'on employa pour la faire connoître ne le furent pas moins. Nos philosophes enjoués inventèrent, mirent au jour, et représentèrent eux-mêmes aux halles et sur des échafauds en place publique des pièces dra matiques qui portoient le nom de sottises, et qui en effet peignoient celles de la plupart des hommes. Ce badinage passa de la ville à la cour, et y fit fortune. Les enfans sans souci (car c'est ainsi qu'on nomma ces jeunes gens lorsqu'ils parurent en public) devinrent à la mode. Charles VI accorda au prince des sots des patentes qui confirmèrent le titre qu'il avoit reçu de ses camarades. Cette première société se renferma dans de justes bornes; une critique sensée et sans aigreur constitua le fond des pièces qu'elle donna; mais cette sage attention eut un court espace. La guerre civile qui s'alluma en France, et dont Paris ressentit les plus cruels effets, occasionna du relâchement dans la conduite des

enfans sans souci, et cette société devint celle de tous les libertins de la ville.

Le prince des sols donna la herté aux clercs de la basoche de jouer des soties ou sottises, et en échange il reçut d'eux celle de représenter des farces et moralités; arrangeinent qui en fit faire un autre avec les confrères de la passion qui, pour soutenir leurs spectacles dont le public commençoit à se lasser, associèrent à leurs jeux le prince des sots et ses sujets. Leur chef avoit une loge distinguée à l'hôtel de Bourgogne, pour assister aux représentations des pièces de théâtre qui étoient données par les confrères de la Passion, acquéreur de cet hôtel. Des comédiens étrangers, voulant donner de la vogue à leurs jeux, s'associèrent aussi les enfans sans souci. Ils ne reprirent le nom de comédiens que par la suite, et lorsqu'ils furent en possession de l'hôtel de Bourgogne.

Les pièces des enfans sans souci étoient publiées par une espèce de cri ou annonce en vers que faisoit publiquement la mere-solte, seconde personne de la principauté de la sottise. Celui qui remplissoit cet emploi étoit chargé du détail des jeux représentés par les enfans sans souci, et de l'entrée que le prince des sots faisoit tous les ans à Paris. On peut voir dans l'histoire du théâtre français un de ces cris ou annonces, avec lextrait d'une sottise à huit personnages, assez ingénieuse pour le temps (1511). Les enfans sans souci profitoient de la protection que le bon roi Louis XII accorda aux différens théâtres, en leur permettant de reprendre librement les défauts de tout le monde, sans vouloir être excepté; on y trouve un trait de satire contre ce prince, qui lui fait beaucoup d'honneur, puisqu'on y traite d'avarice la juste économie avec laquelle il ménageoit les finances de son royaume, et que les meilleurs princes, comme Henri IV, ont toujours préférée aux prodigalités et aux dépenses superflues. (M. BEGUILLET.)

ENFLUR E.

VICE du discours et des pensées, fausse image du grand, du pathétique que le bon sens réprouve : Tout doit tendre au bon sens.

L'on peut distinguer deux sortes d'enflure: l'une consiste dans des pensées qui n'ont rien d'élevé en elles-mêmes, et qu'un esprit faux s'efforce de rendre grandes, ou par le tour qu'il leur donne, ou par les mots dont il les masque; c'est le nain qui se hausse sur la pointe des pieds, ou qui se guinde sur des échasses pour paroître d'une plus haute taille.

L'autre sorte d'enflure est le sublime outré, ou ce que nous appelons assez communément le gigantesque. Les choses qui vont au delà du ton de la nature, que l'expression rend avec obscurité, ou qu'elle peint avec plus de fracas que de force, sont une pure enflure.

L'enflure est dans les mots ou dans la pensée, et le plus 'souvent dans l'un et dans l'autre ; c'est ce que quelques exemples vont faire sentir.

Médée, dans la tragédie de ce nom chez Sénèque, s'excitant elle-même à se venger de Jason et des complices de son infidélité, s'écrie: « Quoi! l'auteur de notre race. le » soleil voit ce qui se passe, il le voit et se laisse voir! It » parcourt sa route ordinaire dans le ciel, qu'aucun nuage » n'obscurcit; il ne retourne pas en arrière, et ne reporte » pas le jour aux lieux qui l'ont vu naître. O mon père! » laisse, laisse-moi voler dans les airs; confie les rênes de » ton char à mes mains; permets qu'avec tes guides enflam→ » més, je conduise tes coursiers qui portent le feu de toutes » parts. » On sent par ces puérilités que Médée débite avec bien plus d'emphase dans l'original que dans cette traduction, ce que c'est que l'enflure du style.

Dans la Pharsale, Codrus couvre d'une pierre la fosse dans laquelle il vient de brûler à demi le corps de Pompée. Là-dessus Lucain s'écrie.: « Il te plaît donc, ô Fortune!

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» d'appeler le tombeau de Pompée cet indigne endroit où » son beau-père même aime mieux qu'il soit enfermé que s'il manquoit de sépulture. O main téméraire ! pourquoi bornes-tu Pompée dans un sépulcre? Pourquoi renfer» mes-tu ses mânes errantes? Il gît dans l'univers, et le » remplit jusqu'où la terre manque à la vue de l'Océan qui » l'entoure. Renverse ces pierres accusatrices des dieux. » Si le mont Æta tout entier est le sépulcre d'Hercule; si » Bacchus a pour lui celui de Nise, pourquoi le grand » Pompée n'a-t-il qu'une seule pierre? Il peut remplir » toutes les campagnes de Lagus, pourvu qu'aucun gazon » n'offre son nom aux yeux des voyageurs. Peuples, éloi»gnons-nous, et que par respect pour ses cendres, mes » pieds ne foulent aucun endroit des sables arrosés par le » Nil. »

Voilà ce que c'est que l'enflure du style et des pensées; voilà de plus des jeux de mots qui y sont réunis, et dans quelques endroits des non-senses, si je puis me servir d'un terme anglais qui nous manque. En effet, le corps d'un homme est nécessairement borné dans un tombeau de six à sept pieds d'étendue, et celui de Pompée ne pouvoit remplir toutes les campagnes de Lagus. Mais Pompée, le grand Pompée avoit rempli l'univers du bruit de ses exploits, et l'immortalité de son nom étoit assurée dans la mémoire des hommes. C'est donc là le monument que Lucain devoit faire valoir dans son ouvrage à la gloire du héros.

Ce que ce poète dit dans un vers au sujet des Romains tués à la bataille de Pharsale, dont César voulut qu'on laissât pourrir les corps sur la terre : le ciel couvre celui qui n'a point de sépulcre, a fourni une réflexion judicieuse au P. Bouhours. « Cette pensée, dit-il, a un éclat qui frappe » d'abord; car c'est quelque chose de plus noble en appa»rence d'être couvert du ciel que d'être enfermé dans une » tombe; mais au fond, le seul usage des monumens est de » couvrir des cadavres pour les garantir des injures de » l'air et des animaux; ce que ne fait pas le ciel qui est » destiné à tout autre ministère. »

Balzac, qui fonda le premier un prix d'éloquence, et qui en a si bien connu la partie qui consiste dans la cadence des mots et l'harmonie des périodes; Balzac, dis-je, tombe

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