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détail : ce que nous avons dit jusqu'ici fur le ftyle, fuffit pour donner l'idée jufte de cette régle. Nous nous fommes affez étendus fur cette matiére dans le ler. Volume ( a ).

Un acteur qui parle feul, fait ce qu'on appelle un monologue; & quand plufieurs parlent, & qu'ils parlent l'un à l'autre, c'est un dialogue.

Toute perfonne qui parle, doit avoir une raifon, au moins apparente, pour parler.

Tout monologue doit être court, la raifon eft, qu'il eft prefque hors de la nature. S'il eft long, il faut que l'acteur foit dans une agitation violente. Un homme tranquille fe contente de penfer, de réfléchir : ce n'est que quand il fent un grand trouble au-dedans de lui-même, qu'il éclate, qu'il marche à grands pas, qu'il fait des geftes, & prononce des mots. Tel eft le monologue de Médée dans P. Corneille. Tel eft celui d'Agamemnon dans Racine, lorsqu'il délibére tout (a)-III. Partie, Chap. 4 & 6.

haut avec lui-même, s'il immolera ou non Iphigénie. Il y a alors une efpéce de dialogue de deux hommes en un feul. Le roi & le pere fe difputent leurs droits entre eux. L'un veut immoler, l'autre ne le veut pas.

Pour éviter les longs & fréquens monologues, on a inventé les confidens, dans le fein defquels les héros dépofent leurs chagrins & leurs deffeins; mais le rôle de ces confidens elt ordinairement fi froid, que le reméde ne vaut guéres mieux que le mal.

Dans le dialogue, il faut confidérer la parole comme un bien commun auquel tous les interlocuteurs ont droit, & qu'ils doivent fe partager felon leur intérêt, & felon la décence. On doit toujours fentir la raison pourquoi elle paffe d'une bouche à l'autre. Cette diftribution demande d'autant plus d'art que cet art ne doit nullement paroître. Il faut que les idées & les intérêts fe mêlent, s'uniffent, fe relévent, fe croifent, fe

choquent, fe pénétrent, fe repouffent d'une façon libre, & aifée, & prompte. Perfonne n'a été plus favant en cette partie que Corneille & Moliére.

CHAPITRE VI,

Idée de la Décoration Théatrale des Anciens, de leurs Habits, de leur Déclamation.

TOUTE action fe passe en un lieu;

& ce lieu doit être convenable à la qualité des acteurs. Si ce font des Bergers, la fcène eft en païfage: celle des Rois eft un palais, ainfi du refte,

Pourvu qu'on conferve le caractere du lieu; il eft permis de l'embellir de toutes les richeffes de l'art; les couleurs & la perfpective en font toute la dépenfe. Cependant comme les mœurs des acteurs doivent être peintes dans la fcène même; il faut qu'il y ait une jufte proportion entre la demeure

& le maître qui l'habite; qu'on y remar que les ufages des temps, des pays, des nations. Un Américain ne doit être ni vêtu, ni logé comme un François, ni un François comme un ancien Romain, ni même comme un Espagnol moderne. Si on n'a point de modèle, il faut s'en figurer un, conformément à l'idée que peuvent en avoir les fpec

tateurs.

C'est ici le lieu de donner une idée du théâtre des Anciens. Comme les Romains ont pris des Grecs tout ce qu'ils avoient en ce genre, il fuffira de parler du théâtre tel qu'il étoit chez

les Romains.

Le théâtre chez les Romains étoit un lieu vafte & magnifique, accompagné de longs portiques, de galeries couvertes, & de belles allées plantées d'arbres, où le peuple fe promenoit, en attendant les jeux.

Pour en avoir une idée plus précife, il faut y confidérer trois parties; 1. L'échaffaut ou la fcène, que nous appellons aujourd'hui le théâtre. 2o.

L'orchestre, que nous appellons le parterre. 3. L'amphithéâtre. L'échaffaut étoit appuyé contre une façade enrichie de trois ordres d'architecture, ayant une grande porte ceintrée au milieu, & deux plus petites à côté. Cet échaffaut avoit quinze toifes de longueur, & trente de largeur, & portoit des deux côtés des feuillets ou couliffes, à peu près comme les nôtres, & rangées de même felon l'art de la perspective,

Au bas de l'échaffaut fe traçoit un demi - cercle, dont il étoit la bafe, ou le diamètre. C'eft l'intérieur de ce demi-cercle qu'on appelloit l'orcheftre. C'étoit dans ce lieu que les bouffons, les farçeurs, les fauteurs jouoient leurs plaifanteries. Enfuite s'élevoient les dégrés de l'amphithéâtre en demi-cercle, jufqu'au niveau du fecond ordre des colonnes de la façade, & c'eft ce qui s'appelloit cavea. Au-deffus de ces dégrés régnoir un long portique, foutenu de colonnes qui fymmetrifoient avec le troifiéme

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