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velie d'Enésidème, chef-d'œuvre de résurrection historique, hérissé de difficultés dont les connaisseurs seront juges. Depuis longtemps épuisée, car elle passa rapidement de chez le libraire dans les bibliothèques particulières, cette thèse est probablement inconnue du plus grand nombre. Je la soumets avec confiance à un second jugement du public. Après vingt ans, je crois qu'elle n'a pas vieilli; car, telle qu'elle a été écrite, elle exprime encore fidèlement l'esprit et la doctrine des leçons faites, il y a trois ans, à la Sorbonne. J'ai pensé que pour l'intelligence du sujet comme pour la réputation de l'auteur, le mieux était de réimprimer purement et simplement cette étude sur le scepticisme dans l'antiquité, plutôt que de donner la suite moins bien ordonnée des leçons M. Saisset, très-sommairement ébauchées sur le papier, et, en somme, d'une moindre valeur.

Je n'avais malheureusement pas à ma disposition des ressources de la même étendue pour ce qui regarde l'histoire du scepticisme moderne; et je tiens à prévenir le lecteur contre toute surprise fâcheuse. Il ne rencontrera d'abord, dans une seconde étude qui a pour titre Le scepticisme de Pascal, qu'une préface trèscourte, où sont seulement indiquées les causes générales et particulières de la renaissance du scepticisme, et où l'auteur a caractérisé en traits rapides les

écrivains du seizième siècle, frères puînés des pyrrhoniens de la Grèce, Montaigne et Charron. C'est là, je ne peux que le regretter amèrement, une lacune que nulle œuvre manuscrite ou déjà parue ne m'a permis de remplir. Pressé d'arriver au scepticisme original du dix-septième siècle, M. Émile Saisset passa outre, dans ses leçons de la Faculté, à ces disciples attardés de Pyrrhon plutôt écrivains que philosophes, se réservant d'en traiter par écrit. Il n'en a pas eu le temps.

Mais, au dix-septième siècle, un sceptique original et des plus redoutables a arrêté longtemps son attention. Je touche ici aux dernières leçons de mon frère à la Faculté des lettres, et je ne peux parler qu'avec tristesse de cette lutte attachante contre le doute de Pascal, suivie avec une singulière faveur par des auditeurs de toutes les opinions, soutenue avec quelle force et quelle sincérité, avec quelle verve et quelle grâce, ils s'en souviennent : improvisations de feu, où il mettait toute son âme, où il laissait échapper les forces et la vie disputées héroïquement à la maladie obstinée. Elles ont été, ces fortes leçons, le suprême effort après lequel il a fallu se rendre, son adieu au public, à ses amis, à ses adversaires, qui l'écoutaient avec respect, novissima verba. Je les donne telles qu'il me les a laissées, écrites de sa main, mais refroidies et dépouillées de l'abondance et des bonheurs de l'improvisation. Je

les ai divisées en six chapitres nettement indiqués par la diversité des considérations sur Pascal, me bornant à les conformer ainsi au plan de la première étude. Sauf la suppression de certaines redites obligées au début de chaque leçon pour raviver les souvenirs des auditeurs, je n'en ai rien omis; et je n'y ai rien ajouté non plus. Après les maîtres de la critique sur ce grand sujet, après M. Cousin et M. Sainte-Beuve, après les apologistes et les adversaires de Pascal, M. Faugère, M. Vinet, M. l'abbé Flottes, M. Frank, M. Havet, en se plaçant au point de vue de son choix, M. Émile Saisset a soumis à une analyse neuve par plus d'un point la pensée complexe et controversée de l'auteur des Pensées. Il en a fait sortir à la fin, sur la valeur et la portée de la philosophie, sur son efficacité pratique, des conclusions que je n'ai pas besoin de signaler beaucoup à l'attention des lecteurs : elles sont faites pour frapper.

Restaient après Pascal les autres sceptiques du dixseptième siècle, Huet, Lamothe le Vayer, Bayle, dont la figure n'est qu'esquissée, et ceux du dix-huitième, Hume et Kant. Mais la vie a manqué tout à coup à mon frère. Son œuvre restait inévitablement inachevée. Que pouvais-je faire, sinon de chercher à combler le vide avec ceux de ses écrits qui pouvaient s'y prêter sans effort? Je n'avais que ce moyen de réaliser son

désir ardent d'attacher son nom par un livre exprès à la réfutation du scepticisme, comme il est attaché déjà à la vulgarisation en France et à la réfutation du panthéisme de Spinoza et de ses récents disciples. Je n'ai trouvé aucun écrit de lui sur la fin du dix-septième siècle, ni sur le premier en date des sceptiques du dixhuitième; mais j'ai été moins malheureux pour celui dont le nom et la doctrine marquent la phase la plus nouvelle dans le développement du scepticisme, Emmanuel Kant. En empruntant à la Revue des DeuxMondes et au Dictionnaire des Sciences philosophiques deux écrits excellents qui se complètent l'un par l'autre, j'ai pu conduire jusqu'à la naissance et à l'influence du criticisme l'histoire des idées sceptiques. J'en ai composé une troisième étude intitulée : Le Scepticisme de Kant. L'œuvre principale de Kant, la Critique de la raison pure, d'où relève tout le scepticisme contemporain, y est jugée d'un regard ferme et pénétrant, et son vice capital mis à jour avec une force de dialectique qui me semble laisser peu à désirer. La nouveauté de l'inédit manque à ces pages, mais elles gardent la solidité.

J'en dirai autant des trois morceaux qui terminent le volume sous le titre de Vues théoriques et dogmatiques, et qui ont été, avec l'agrément du regrettable M. Hachette à la mémoire de qui j'en suis reconnais

sant, détachés du même Dictionnaire des Sciences philosophiques. Nul doute que M. Émile Saisset n'eût donné comme couronnement à son histoire du scepticisme une suite de conclusions en faveur des droits. de laraison et de la philosophie dogmatique. J'ai suppléé sur ce point au défaut de manuscrits par ces morceaux dont les deux premiers surtout renferment, de l'avis des juges les plus compétents, quelques-unes des pages les plus originales et les plus neuves entre les écrits de M. Saisset. Rarement, je crois, l'analyse psychologique a été appliquée avec plus de pénétration et de rigueur à l'étude de nos facultés intellectuelles. On n'y trouvera pas la solution dogmatique de toutes les questions vitales tenues en balance par la philosophie sceptique, mais on aura satisfaction sur trois problèmes fondamentaux, la légitimité des informations de nos sens, l'existence et la connaissance de la matière, la liberté humaine et divine.

En somme, ce volume, quoique bien éloigné de la perfection du dessein de l'auteur, offre trois personnifications du scepticisme aux époques importantes de son développement, trois réfutations successives des idées sceptiques sous une forme originale. En ellesmêmes, je ne vois pas que rien manque à ces grandes figures d'Ænésidème, de Pascal et de Kant. Mais le défaut du livre, sauf en ce qui regarde Ænésidème, c'est

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