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3o Enfin, la cause ne saurait être postérieure à l'effet; car autrement, il y aurait un effet sans cause. Donc, il n'y a ni cause, ni effet possibles.

Voici enfin une argumentation d'un caractère universel, et dont la forme est irréprochable. On accordera aisément qu'entre la cause et l'effet, les seuls rapports de temps concevables, sont la simultanéité, l'antériorité et la postériorité. On accordera aussi sans difficulté que la cause n'est jamais postérieure à l'effet. Mais ne peut-elle lui être antérieure ? C'est une question.

Il est bien entendu qu'il ne s'agit ici que d'une relation dans l'ordre du temps, car, pour l'antériorité ontologique, elle est si nettement impliquée dans l'essence de la cause, qu'il n'y a pas lieu d'hésiter.

Pour résoudre sûrement la question assez délicate du rapport chronologique de la cause et de l'effet, il faut considérer la cause sous deux points de vue, relativement à tel ou tel effet qu'elle produit au moment actuel, relativement à tel autre effet qu'elle contient seulement en puissance.

Dans le premier cas, il est évident, par hypothèse, que la cause et l'effet sont deux choses contemporaines. Dans le second cas, il y a aussi contemporanéité; mais elle est plus difficile à apercevoir. Dans quel sens peuton dire qu'une cause envisagée exclusivement dans son rapport avec les effets qu'elle contient en puissance,. soit une véritable cause? Certes, si vous prenez pour type de l'existence réelle, l'existence actuelle, une

cause en tant qu'elle ne produit actuellement aucun effet, n'est vraiment pas une cause; car, par hypothèse, ses effets sont purement virtuels, et par conséquent, elle ne possède, en tant qu'elle est leur cause, et rien de plus, qu'une existence virtuelle. On dira qu'elle existe en même temps d'une existence actuelle relativement à d'autres effets. Cela est vrai; mais on confond ici les points de vue. Relativement à ses effets actuels, la cause existe actuellement et réellement; mais relativement à ses effets virtuels, que nous considérons à l'heure qu'il est, la cause n'existe que virtuellement; et si l'on prend l'existence actuelle comme mesure de la véritable existence, il est parfaitement clair que la cause virtuelle n'a pas d'existence véritable, et par conséquent elle n'est pas antérieure à ses effets. Que si l'on considère l'existence virtuelle comme une vraie manière d'exister, alors la cause existe sans doute; mais ses effets existent aussi bien qu'elle, de la même existence et au même titre. Donc encore, elle ne leur est pas antérieure.

Ainsi, une cause prise comme actuelle, ne précède pas, et ne peut précéder, dans l'ordre du temps, ses effets actuels; et une cause, prise comme virtuelle, ne peut davantage être antérieure à ses effets virtuels. Donc, d'aucune façon, la cause n'existe avant l'effet.

A moins, je le répète, qu'on ne considère la cause actuelle A de l'effet actuel a relativement à l'effet virtuel b. Alors, sans doute, on peut soutenir en un sens que la cause est antérieure à l'effet; mais c'est un abus de mots, car on entend le mot cause au sens de l'existence ac

tuelle, et le mot effet au sens de l'existence virtuelle, confondant ainsi deux choses entièrement différentes.

Leibnitz répétait sans cesse: Il n'y a pas de force sans action. « C'est bien vainement, ajoute un disciple original de ce grand homme, qu'on cherche à confondre le rapport de succession avec celui de causalité. Toute force productive est essentiellement simultanée avec l'effet ou le phénomène en qui et par qui elle se manifeste.» (Maine de Biran. Ed. Cousin, p. 376.)

Notre débat avec Enésidème porte donc tout entier sur ce seul point : la cause peut-elle être contemporaine de l'effet? car nous lui abandonnons tout le reste.

Si l'effet coexiste avec la cause, dit-il, l'effet n'a donc pas besoin de la cause pour exister. Il n'est donc pas un effet, et la cause n'est plus elle-même. Notre subtil adversaire a pensé, sans doute, qu'on lui laisserait dire que la simultanéité de deux termes implique leur indépendance réciproque, et il ne s'est pas donné la peine de le démontrer.

Sans doute, si l'on supposait, comme Ænésidème incline toujours à le faire, que la cause et l'effet sont deux termes non-seulement distincts, mais séparés l'un de l'autre, et, qui plus est, deux termes matériels; et si l'on cherchait, à l'aide des sens, à découvrir un rapport de causalité entre ces deux termes, j'accorde qu'on n'y parviendrait pas, et qu'il faudrait encore une fois donner gain de cause au scepticisme.

Mais laissons les hypothèses et les sens; portons nos regards sur la cause qui est le plus près de nous, c'està-dire sur nous-mêmes; contemplons dans la conscience

le modèle primitif dont toutes nos idées sur les causes sont des copies, nous verrons s'évanouir aussitôt les subtilités d'Enésidème. Je médite en ce moment sur la notion de causalité. Il faut pour cela un certain effort de réflexion. Cet effort, c'est moi qui l'accomplis. Voilà une cause, le moi, et un effet, le nisus interne du moi, dont l'existence est irrécusable. Or, la cause et l'effet, ici, coexistent dans le temps, et cette coexistence est nécessaire, car le moi n'est cause qu'en tant qu'il agit, qu'il fait effort, et son action, son effort, ne sont rien, s'il n'existe lui-même. Maintenant quel homme de sens pourra dire que l'effort du moi est indépendant du moi, et l'effet de la cause? La question n'est pas de savoir si tous deux existent ensemble, mais s'ils existent au même titre. Et il est clair, il est certain, certissima scientia et clamante conscientia, comme ne cessait de le dire Maine de Biran, que l'effort a une autre existence que l'existence du moi, puisque le moi produit, crée à chaque instant l'effort, et qu'à chaque instant l'effort est produit, créé par le moi. En un mot, le moi est cause et n'est pas effet; l'effort est effet, et n'est pas cause. Il n'y a pas ici à définir et à raisonner. Il suffit de conduire un adversaire de bonne foi à mettre le doigt, pour ainsi parler, sur un fait de conscience.

Ce fait, si simple, et que la vie ramène à chaque point du temps, ce fait qui est la vie même, voilà l'écueil où tous les arguments du scepticisme viendront toujours se briser.

QUATRIÈME ARGUMENT.

Ou la cause produit son effet par sa seule vertu, ou elle a besoin d'une matière passive qui concoure à son action.

Dans le premier cas, elle devrait toujours produire son effet, puisqu'elle est toujours elle-même et ne perd rien de sa vertu; ce qui est contraire à l'expérience. Dans le second cas, puisque l'agent ne peut rien produire sans le patient, le patient est aussi bien cause. que l'agent, puisqu'il n'y a pas plus d'agent sans patient que de patient sans agent. Donc il n'existe point de

cause.

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Nous retrouvons ici sur l'action des causes une alternative déjà discutée; examinons les preuves nouvelles qu'elle fournit à Ænésidème. Et d'abord, nous admettons expressément qu'il est de certaines causes qui n'ont besoin pour se développer que de leur activité propre. Cela est impossible, dit Ænésidème. Notre première réponse est un fait, le fait de la volonté humaine accomplissant une détermination libre. Si ce fait est réel, il faut bien qu'il soit possible. Mais à l'expérience, notre habile pyrrhonien oppose l'expérience ellemême. S'il existait une cause douée d'autonomie, dit-il, elle ne pourrait cesser d'agir, ce qui est démenti par l'observation.

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Je suppose la conséquence bien déduite. Il reste à

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