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de mespilus, à peine reconnaissable en nèfle; uller, qui représente ululare, défiguré dans hurler, tant par l'h aspirée que par l'intercalation vicieuse d'une r, qu'on trouve dans certains textes anciens (par exemple arme pour âme); hierre, de hedera, dépouillé de cet article barbare que l'usage a fondu dans le mot actuel; et papou, qui jette quelque lumière sur une difficulté étymologique. Papou, qui signifie pavot, est une transformation régulière de papaver, qui, ayant l'accent sur la pénultième, a donné papou, comme clavus a donné clou, ou le bas latin travum a donné trou. Le patois wallon a pavoir, qui est aussi une dérivation satisfaisante: la finale voir représente non pas ver, qui, n'étant pas accentué, n'a pu fournir une syllabe accentuée, mais paver qui, devenant, suivant l'habitude, paer, s'est changé en voir, avec un v pour le p, comme dans pauvre, de pauper, poivre de piper. Cette forme wallone me fournit une correction dans le Livre des métiers de Paris, texte d'ailleurs peu correct, on lit, p. 59: «Huile de paveez. » Paveez ne rentre dans aucune analogie, mais pavoir a, dans le parler de Paris, paveir pour correspondant; et c'est paveir qu'il faut lire dans notre passage. Papou, pavoir, paveir, tous déduisibles de papaver, montrent que pavot en vient aussi. Pourtant je dois dire que la finale ot reste inexplicable pour moi; et elle est ancienne, car, dans un texte très-correct du xi° siècle, je trouve: « Fleurs de paot, broiies en oile d'olive. » Paot, au lieu de pavot, suivant l'affection que la vieille langue avait pour la rencontre des voyelles.

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Ce qui explique les patois sert aussi à expliquer tantôt le français ancien, tantôt le français moderne, et, dans tous les cas, complète le système entier de la langue d'oïl. M. le comte Jaubert a noté le mot attolée, qui signifie repas long et prolongé, et il se demande si ce ne serait point une corruption du mot attelée. Dans mon opinion, une telle substitution de voyelle n'est pas justifiable dans ce dialecte, et elle me semble d'autant moins admissible, qu'une autre explication plus satisfaisante pour la forme et aussi pour le sens peut en être donnée. Attolée doit s'écrire attaulée, qui est une forme bourguignonne pour attablée (nous n'avons pas attablée, mais nous avons s'attabler, se mettre à table). En bourguignon table se dit taule, et généralement les mots en able se transforment en aule; cela se voit aussi dans les anciens textes qui proviennent de cette province. Il n'y a rien d'extraordinaire à trouver quelques formes bourguignonnes dans le Berry, qui, du côté de l'orient, s'approche de la Bourgogne. Chiaule, rejeton, chiauler, pousser des rejetons, viennent, suivant moi, de capitulum, petite tête, ce qui s'applique très-bien à ce qu'on appelle, d'après une autre analogie, œil ou ailleton. Capitulum, ayant l'accent sur pi, a donné chapitre, ce qui est

une dérivation correcte; mais, si l'on suppose que le p ait été supprimé, genre de suppression qui frappe si souvent les consonnes intermédiaires dans le passage du latin au français, il n'en pourra résulter que chiaule, ou un mot très-analogue, comme de situla, seau, a résulté seille dans l'ancien français et dans les patois. Canutus, blanc, n'est donné que par des gloses; la latinité du bon usage n'avait que canus; mais les langues romanes, qui ont beaucoup pris à la latinité de l'usage vulgaire, ont laissé canus et adopté canutus, d'où chenu en français, canut en provençal, canuto en italien (l'espagnol a cano). C'est dans ce bas latin que canutus a donné un verbe canutire, d'où proviennent le provençal canuzir, blanchir, et le mot du Berry chenousir ou chenosir, moisir. Je rattache à un verbe bas latin, tiré pareillement d'un adjectif, le verbe berrichon caduire, qui signifie affaiblir, flétrir, faner. M. le comte Jaubert le dérive de cadere; mais, outre que cadere ne peut pas avoir le sens actif, il ne peut non plus fournir la finale uire. Cette finale mène à un verbe bas latin caducere, dérivé de caducus, et qui a fait caduire, comme ducere, duire, conducere, conduire, etc.

La discussion de l'étymologie d'un mot est souvent fort difficile. Nous avons, pour caillou, caille, substantif masculin, dans le berrichon, et chail dans le saintongeais. Ces mots nous débarrassent provisoirement de la finale ou, et nous placent plus près de l'origine, pour laquelle on songe aussitôt à calculus. Mais M. Diez n'accorderait cette dérivation qu'à grand'peine, attendu que la disparition complète de la première l, sans aucune trace, est contre la règle : il faudrait cauille au lieu de caille, ou chauil au lieu de chail. Ou bien on est obligé de supposer une abréviation de calculus en caclus. J'avais pensé à callum, qui, dans la latinité, a signifié, par déduction, toute espèce de partie dure. Mais je me réserve de montrer, dans l'article sur le patois wallon, que calculus a véritablement pu donner caille ou chail. Aussi je rejette ou l'étymologie germanique, qui le rattache au hollandais kai ou kei, de même signification, ou la conjecture de M. Diez, qui cherche à y voir le latin coagulum; coagulum donnant caille, comme coagulare, cailler. Le sens est trop éloigné pour que, sans autre indication, on suppose une telle assimilation. Reste à expliquer la terminaison ou, qui existe aussi dans le provençal sous la forme au, calhau. M. Diez n'en cherche pas l'interprétation; il se contente de remarquer qu'elle est singulière, ne se rencontrant, du reste, que dans les noms géographiques Anjou, Poitou. Elle se rencontre ailleurs, et elle est o dans l'ancien français: clo, clou, clavus; tro, trou, bas latin travum; papoa, papaver. On voit qu'elle représente, dans ces mots, comme aussi dans Andegavus, Pictavus, une terminaison latine

qui est employée à exprimer une dérivation. C'est de la sorte qu'à mon avis on a fait de calculus un dérivé calculavus, d'où caillou, ancien français caillo, chaillo, provençal calhau.

Des difficultés non moins grandes sont suscitées par le mot du Berry dôter, doûter, qui est dans le limousin sous la forme dousta, et qui signifie ôter. Il n'est pas douteux que dôter et ôter sont au fond un même mot; et, suivant M. le comte Jaubert, le d dans dôter est simplement euphonique et destiné à éviter la rencontre des voyelles. C'est, je crois, le seul exemple que présenterait le patois berrichon d'un d euphonique placé en tête d'un mot, et un seul exemple ne peut se servir d'interprétation à lui-même. Dans le fait, ce d fait corps avec le verbe, et conduit à la fabrique primordiale des mots français. Öter, ancien français oster, provençal ostar, est étranger aux autres langues romanes et se ramène directement, par la forme, au latin obstare. Mais comment s'y ramènet-il par le sens? M. Diez a jugé la difficulté si grande, que, malgré son habileté à retrouver dans l'original latin les significations romanes, même éloignées, il y a renoncé pour cette fois. Il a donc eu recours à un bas latin haustare, qui, d'ailleurs, lui a été fourni par Ménage, assez mauvaise autorité en ces sortes de formations; haustare est le fréquentatif de haurire. Mais les objections abondent d'une part, le sens n'est pas tellement naturel entre haurire ou haustare et ôter, que cela seul suffise pour forcer l'assentiment; et, d'autre part, haustare, qui, d'ailleurs, ne se trouve ni dans la latinité, ni dans le bas latin, n'est pas non plus restitué, comme cela arrive pour tant d'autres, par le mot roman qui fournit en retour les éléments de son original perdu; ni le vieux français oster ni le provençal ostar ne montrent trace de l'h et de l'au de leur radical supposé; c'est leur faire une violence non permise que de leur imposer des lettres qui leur sont étrangères. Ainsi, avec haustare, le sens laisse beaucoup à désirer, et la forme est réfractaire, au lieu que, avec obstare, la forme est parfaitement correcte et le sens peut être ramené légitimement au sens roman. C'est Ducange qui a indiqué cette étymologie, et, quand on lit les exemples qu'il a recueillis sur l'usage d'obstare dans le bas latin primitif, on n'éprouve pas de difficulté à admettre que obstare ait pris le sens actif de empêcher, d'où l'on passe à celui d'ôter, ce qui empêche pouvant être facilement considéré comme ce qui ôte. Si ôter est obstare, dôter du Berry est deobstare; à la vérité M. Diez déclare que cette combinaison est un non-sens; mais, obstare ayant pris dans le bas latin le sens d'empêcher, deobstare est une composition très-légitime, qui implique directement, et non plus par déduction comme pour óter, l'idée d'enlever. En même temps, cette

composition nous reporte à l'époque où les éléments latins se remaniaient pour constituer les langues modernes; et ici le patois du Berry est comme une médaille antique qui garde encore la fleur du coin.

Le cornouiller se nomme dans le Berry fuselier, que M. le comte Jaubert, avec raison, je pense, tire de fusel, attendu que cet arbre fournit un bois, dont on fait des fuseaux. Mais je ne puis être de son avis quand il dérive aumaille, mot collectif qui signifie bêtes à cornes, d'armentum. Comment trouver dans armentum les éléments nécessaires? Aumaille vient d'animalia, plusieurs neutres pluriels ayant fourni au français des féminins, par exemple mirabilia, merveille : la règle de l'accent et la correspondance des lettres sont le point de départ de toute recherche étymologique. Abrier, c'est-à-dire abriter, ne peut venir de arbre, même prononcé abre comme dans le Berry, attendu que, arbre étant la forme générale, et abre une forme locale, on trouverait dans les textes arbrier à côté d'abrier, qui est à la fois vieux français et patois; or cela n'est pas; abri vient d'apricus. Itou est à tort attribué à etiam; etiam a l'accent sur l'antépénultième, et aurait donné, s'il avait passé dans le français, un mot comme ece ou iece; pour retrouver itou, il faut chercher un mot qui ait l'accent sur la syllabe répondant à tou. Itou est en patois ce que itel est dans le vieux français, et dérive de hic talis. Le Berry dit un chevau et des chevals, un bestiau et des bestials, un animau et des animals. « Si cette interversion de nombre, dit M. le comte Jau«bert, n'avait lieu qu'accidentellement, elle pourrait être critiquée, « même exclue du Glossaire; mais c'est un système suivi dont il faut << tenir compte. » L'interversion de nombre n'est qu'apparente, ou, du moins, elle peut être aussi bien attribuée au français littéraire qu'au patois. En effet, pour juger ces désinences, il faut se reporter au vieux français, qui avait des cas. On disait, au singulier, chevaus pour le sujet et cheval pour le régime; et, au pluriel, cheval pour le sujet et chevaus pour le régime. On voit que le français a pris pour le singulier le régime, et le patois le sujet, tandis que pour le pluriel c'est le contraire le français a pris le régime, et le patois le sujet. Cette remarque enseigne qu'il faut écrire, dans le patois, des cheval, des bestial, des animal, sans s; le pluriel étant marqué suffisamment par la désinence al. Il a, dans le Glossaire, se mettre à la coi, qui signifie se mettre à l'abri. Cette locution ainsi écrite est un solécisme, même dans le patois; l'article la ne peut convenir avec un adjectif masculin, et il faut dire à lá coie, ou plutôt à l'acoi, ce qui se trouve justifié par une autre forme de cette même locution: à l'écoi.

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y

Je ne puis feuilleter ce glossaire sans y faire d'excellentes rencontres.

Echarnir y veut dire singer; c'est l'ancien français escharnir, provençal et espagnol escarnir, italien schernire, se moquer, qui viennent de l'ancien haut allemand skërn, moquerie. J'éprouve un véritable plaisir quand un vieux mot, que je n'ai jamais connu que mort et immobile dans des textes poudreux, vient, prononcé par un paysan ou inscrit dans un glossaire patois, frapper mon oreille ou mes yeux; c'est une sorte de résurrection du passé dans ce qu'il a de plus fugitif, les sons et la prononciation. M. le comte Jaubert cite des vers en ancien français où enosser est employé :

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Et se la male mort l'ennosse,

Je le condui jusqu'en sa fosse.

(Jean de Meung.)

Quar pleůst ore au vrai cors Dié

Que un chien en fust enossé.

(Du Pescheor de Pont-seur-Saine, fabliau.)

Évidemment enosser veut dire mettre un os dans la gorge, et, par suite, étrangler, étouffer. Sans ces citations, on resterait fort incertain sur l'étymologie du mot patois ennosser, qui signifie gêner la respiration, suffoquer. Mais les rapprochements que fait M. le comte Jaubert déterminent le sens primitif du mot, et fournissent ces intermédiaires sans lesquels la recherche d'origine est souvent fort conjecturale. Nen, pour la négation non, se trouve dans le patois du Berry, du moins en une locution: nen plus; «vous ne voulez pas y aller, eh bien moi nen plus. » M. le comte Jaubert écrit n'en plus, comme si cela venait de ne et en; mais il a été trompé par une fausse orthographe de Roquefort, dans une citation :

Qui n'a argent, l'on n'en tient compte,
N'emplus que d'une vieille pelle.

Lisez nemplus. Le manuscrit n'avait point d'apostrophe, et il n'en faut pas: nen a été dit pour non, par une tendance qu'a eue la langue de substituer en bien des cas la voyelle a à la voyelle o, et la voyelle an à la voyelle on, Fleuri, fleurie, se dit, dans le Berry, d'un bœuf, d'une

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