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jour, il mesure la distance apparente de son bord éclairé, à quelque étoile connue, à une planète ou au soleil; et de là, par des réductions mathématiques qu'il a apprises, il conclut la distance angulaire vraie des centres des deux astres, telle qu'on la verrait directement du centre de la terre, à cet instant que sa montre marine lui a marqué au temps du bord. Supposez que par un hasard heureux, un astronome établi dans quelque observatoire fixe, à Paris, Greenwich, ou Washington, ait justement déterminé cette même distance centrale, en notant aussi l'heure solaire absolue qu'il comptait sous son méridien propre, quand elle s'est réalisée. Supposez encore que, par un art magique, il transmette aussitôt cette heure au navigateur. Elle sera différente de celle du bord; et, se rapportant à un même signal céleste instantané, la différence convertie en arc, fera connaître à celui-ci, l'angle compris entre son méridien local et le méridien de l'observatoire fixe, ou sa longitude comptée de ce lieu connu. Cette longitude étant portée à partir de là sur le parallèle terrestre où il sait être, achèvera d'y marquer sa position précise. Reste à trouver l'observateur toujours prêt à faire l'observation correspondante, et le magicien toujours prêt à la transmettre.

L'un et l'autre se créent artificiellement, par le pouvoir de la science abstraite. Dans les pays qui ont de grands intérêts maritimes, et qui se font une gloire nationale d'assurer le salut de leurs navigateurs par leurs lumières propres, la France, l'Angleterre, les États-Unis d'Amérique, ce soin est confié à une institution spéciale, dirigée par une ou plusieurs personnes versées dans les théories mathématiques et astronomiques, ayant sous leurs ordres un personnel plus ou moins nombreux de calculateurs pratiques, comme sont les commis de la banque ou du trésor, pour ces deux établissements. Prenons la France pour exemple. Le bureau des longitudes y est chargé par une loi de cette direction. Ayant choisi pour base du travail les tables de la lune estimées les plus exactes, on fait calculer plusieurs années à l'avance pour chaque jour et chaque nuit, de trois heures en trois heures, les distances angulaires de la lune au soleil, ainsi qu'aux planètes et aux principales étoiles, qui à ces jourslà ne se trouveront pas absorbées dans la lumière solaire. Les instants où ces distances calculées se réaliseront d'après la table théorique, sont notés en temps de l'observatoire de Paris. Le navigateur muni de ces tables avant de quitter la terre, y trouve, pour chaque jour, des distances lunaires, entre lesquelles celles qu'il observe se trouvent comprises; et comme ces distances théoriques sont assez rapprochées pour que le déplacement de la lune entre deux consécutives puisse être considéré comme sensiblement uniforme, il conclut l'heure de la correspondante

exacte par une opération arithmétique très-simple, que l'on appelle une interpolation. Ainsi, tant que les éphémérides de la lune, qu'il a emportées, demeurent applicables, elles réalisent pour lui la fiction que nous avions imaginée, d'un astronome lointain toujours prêt à observer au même instant que lui, et pouvant lui transmettre aussitôt l'heure solaire que l'on compte alors à la station fixe. Posséder ou ne posséder pas un trésor pareil, dans un voyage de long cours, est, pour le navigateur une question de vie ou de mort1.

Ces éphémérides lunaires font partie des recueils que l'on appelle, en France, la Connaissance des temps, en Angleterre et aux États-Unis d'Amérique, le Nautical Almanac. On y insère encore beaucoup d'autres données astronomiques calculées aussi à l'avance, d'autant plus nombreuses et s'appliquant à des prévisions plus éloignées, selon la quotité de fonds que chaque Gouvernement y consacre. En général, la confection, l'étendue et la publication de ces recueils dépendent d'un seul ressort l'argent. Les deux pays où les allocations les plus considérables sont accordées, pour ce but d'utilité, à la fois maritime et scientifique, sont l'Angleterre et les États-Unis.

:

Par l'exposé qui précède, on voit que l'évaluation des longitudes en mer, au moyen des distances lunaires, se fonde sur deux opérations, dont l'exactitude y est également nécessaire. Elles consistent à déterminer les heures solaires absolues, vraies ou moyennes, que l'on compte à bord et dans l'observatoire fixe choisi pour point de départ, au moment où chaque distance se réalise dans le ciel. La première de ces déterminations s'effectue pratiquement par le navigateur, avec d'autant plus de précision qu'il y emploie de meilleurs instruments. La seconde s'effectue théoriquement par le calcul, d'après les tables lunaires, avec une exactitude proportionnée à leur justesse. L'idée de la méthode est en elle-même fort simple et on l'a de très-bonne heure imaginée2. Mais,

1

Voyez à ce sujet la singulière négociation qui eut lieu dans un port de la mer Pacifique, entre les commandants de deux navires qui avaient épuisé leur approvisionnement de Nautical Almanacs, et le capitaine Basile Hall, qui, parti plus récemment d'Europe, s'en trouvait encore pourvu. (Journal des Savants, année 1844, p. 482.) Elle se présenta aux astronomes dès le commencement du xvi° siècle. Apian, professeur de mathématiques à Ingolstadt paraît avoir été le premier qui, dans un traité de cosmographie publié en 1524, proposa l'observation des distances de la lune aux étoiles, comme un moyen de déterminer les longitudes. Gemma Frisius reproduisit la même proposition en 1530 dans un ouvrage également de cosmographie, où il enseignait à réaliser graphiquement l'opération sur un globe. Kepler recommanda aussi ce mode de détermination des longitudes en 1527, dans ses Tables Rudolphines. Il fut de nouveau mis au jour et réduit en méthode mathéma

pour apprécier l'utilité dont elle peut être, et savoir à quelles conditions elle est pratiquement applicable, il faut se rendre compte de l'influence que les erreurs commises dans les deux opérations qui la composent doivent avoir sur la position estimée du navigateur. Cette appréciation est l'objet d'une note mathématique que je dois à l'obligeance de mon ami M. Caillet, examinateur de la marine. Je la rapporte au bas de cette page 1; j'en présenterai seulement ici le résultat général.

tique en 1634 par Morin professeur de mathématiques au Collège royal, qui en fit le sujet d'un traité spécial, et le présenta comme de son invention au cardinal de Richelieu, lequel le fit examiner par une commission de savants, du nombre desquels était Pascal. La commission reconnut que la méthode proposée était bonne, mais que l'idée n'en était pas nouvelle, et que les tables de la lune usitées alors étaient trop imparfaites pour qu'on pût l'appliquer. Cette difficulté trop réelle ne fut levée que par l'apparition des tables de Mayer. Lacaille, dans son voyage au cap de Bonne-Espérance, constata alors l'utilité pratique de la méthode, la perfectionna, et dans l'introduction à ses éphémérides, de 1755 à 1765, il proposa d'en faciliter l'usage, en publiant pour les marins, sous le titre d'Almanachs nautiques, des tables où l'on trouverait d'avance les distances de la lune aux principales étoiles toutes calculées d'avance de quatre heures en quatre heures, ou pour des intervalles de temps moindres. Maskeline, ayant eu aussi l'occasion de répéter les mêmes épreuves, dans un voyage qu'il fit à Sainte-Hélène en 1761, adopta l'idée de Lacaille, et fit depuis lors insérer les distances lunaires calculées de trois heures en trois heures, dans le recueil annuel devenu depuis célèbre sous le titre de Nautical Almanac, dont le premier volume parut en 1767. Lalande en 1774 obtint que l'on transportât dans la Connaissance des temps ces tables anglaises de distances, l'usage n'étant pas encore venu de donner aux astronomes français les secours d'argent que le bureau des longitudes d'Angleterre accorde à l'astronome royal pour payer des calculateurs dont il n'a qu'à diriger et vérifier le travail. On a depuis institué en France le même genre de dépenses, dans des limites proportionnées à l'utilité que le Gouvernement leur suppose. Tout ceci offre un exemple du travail incessant que les sciences ont à faire pour transformer leurs conceptions abstraites en applications.

1Influence de l'erreur d'une distance lunaire sur la longitude du navire.

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Soient Z le zénith, HO l'horizon, B le lieu apparent du centre de la lune, B' son lieu vrai, A le lieu apparent du centre du second astre, A' son lieu vrai.

Les distances lunaires, comme tous les arcs de grands cercles célestes, s'évaluent en parties appelées degrés, minutes et secondes, que je supposerai appartenir à la division sexagésimale de la circonférence.

Nommons ▲ la distance apparente des centres déduite de l'observation,
A' la distance vraie correspondante,

8 l'erreur dont la distance A est affectée,

S' l'erreur résultante sur A';

=

Nous aurons AB — ▲ + ♪, A' B' A'+d', et si l'on appelle

=

b la hauteur apparente BO du centre de la lune,

b' sa hauteur vraie B'O,

a la hauteur apparente AO du second astre,

a' sa hauteur vraie A'O,

Les deux triangles ZA'B' et ZAB donneront

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D'où l'on tire, en développant la valeur de d' suivant les puissances croissantes de det en se bornant au terme du premier ordre,

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Par suite, ' diffère très-peu de d; c'est-à-dire que l'erreur de la distance apparente se reporte en entier sur la distance vraie.

Pour obtenir l'erreur y qu'elle produit sur l'heure de Paris ou, sur la longitude, représentons par D la variation en 3 heures, des distances données par les éphémérides; nous aurons proportionnellement

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Les valeurs de D oscillent entre les limites extrêmes 1° 17′ et 1° 55', selon les phases de mouvement où la lune se trouve. On aura donc entre ces limites :

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c'est-à-dire y > 23 d et < 35 d. (Voyez le Traité de navigation de M. Caillet, n° 311.)

Supposons, par exemple d = 30"; il viendra y > 11',5 et < 17',5

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Nous sommes en droit d'admettre que l'erreur de la longitude ne devra jamais dépasser 15' environ, quand les observations seront faites avec soin. De là résulte le tableau inséré dans le texte, indiquant la plus forte erreur dont la position du navire peut être affectée dans le sens parallèle à l'équateur. (Note de M. Caillet.)

Chaque minute d'erreur dans l'évaluation théorique ou pratique d'une de ces distances, se reporte agrandie sur la longitude qui s'en déduit; et, selon la phase de mouvement où la lune se trouve, l'erreur résultante varie de 23' à 35'. Si le navire parcourt l'équateur terrestre, chacune de ces minutes d'arc produit sur sa position une différence d'un mille marin, dont trois composent une lieue marine de vingt au degré. Il en résulte donc un déplacement total de 23 à 35 milles, ou en lieues de 7 à 11. L'effet est moindre sur des parallèles moins distants du pôle, mais je prends l'équateur pour exemple. Or, les premières tables de la lune calculées par Halley d'après la théorie de Newton comportaient des erreurs qui allaient jusqu'à sept ou huit minutes; ce qui entraînait sur la longitude équatoriale des déplacements de soixante à quatre-vingt-dix lieues. Les erreurs des distances optiquement mesurées à la mer, au moyen des instruments qu'on avait alors n'étaient guère moindres. Avec des procédés théoriques et pratiques aussi imparfaits, l'évaluation des longitudes à la mer par la mesure des distances lunaires, bien loin d'être utile, aurait été pleine de dangers. Voici maintenant ce qu'est devenue cette méthode après un intervalle de 150 années. Aujourd'hui, on peut généralement admettre que l'erreur de la longitude évaluée à la mer ne dépassera pas 15' quand les observations auront été faites avec soin. L'erreur qui en résultera sur la position du navire dans le sens du parallèle qu'il décrit, se voit dans le tableau suivant :

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