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rejeter ou d'accueillir. Ce sont des faits réels, fondés sur des déductions numériques auxquelles on ne peut se soustraire. L'arrangement qu'elles décèlent est matériellement reproduit dans le calendrier égyptien qui nous est parvenu. Il est essentiellement lié à sa marche absolue; et ayant lieu, entre les mouvements vrais, il ne s'y est réalisé dans la série des siècles qu'à cette seule époque de -1780, quelque loin que l'on veuille faire remonter numériquement l'année de 365 jours. Lorsque le calcul me fit découvrir ces étonnants rapports, il y a dix-sept ans, on n'avait encore trouvé les épagomènes que sur des monuments postérieurs à la xvir dynastie. On pouvait donc présumer, conformément à l'assertion du Syncelle, que l'année de 365 jours avait été instituée à cette époque même de 1780, où les phases lunaires se trouvent réparties entre les 12 mois avec tant d'adresse. Maintenant que M. de Rougé a trouvé les cinq épagomènes inscrits sur des monuments bien antérieurs, on ne peut plus admettre à cette époque qu'une restauration du calendrier primitif, pour laquelle on saisit habilement l'occasion qui s'offrit d'y encadrer les phases lunaires avec tant de symétrie. Si l'on se représente bien l'irrégularité des mouvements vrais de la lune, et la rapidité de leurs discordances avec ceux du soleil, on sentira qu'il ne fallait pas manquer d'une seule année l'époque où un tel concours s'opérait entre eux. Ce fut sans doute une œuvre de sagacité merveilleuse que de le reconnaître et de l'appliquer au moment où il se réalisait. Mais la simple astronomie des yeux suffit alors pour le constater. Aucune science théorique, pas même la nôtre, n'aurait pu le faire prévoir à quelques années de distance, aussi précisément que le cours naturel des deux astres l'a produit.

Une conséquence fatalement nécessaire des faits que je viens d'établir, c'est que le calendrier vague de 365 jours qui fut rétabli en Égypte dans l'année julienne-1780, après l'expulsion des Hycsos, n'est pas immédiatement consécutif au calendrier de même forme qui était usité avant leur invasion. Par l'effet de cette disjonction, l'histoire du premier empire égyptien ne peut plus être chronologiquement rattachée à celle du second, d'après les dates que l'on trouverait inscrites sur les monuments qui leur ont appartenu. Elles ne se suivent point. On ne pourrait réussir à combler l'abîme qui les sépare que si l'on découvrait, dans les inscriptions ou les documents écrits de ces deux périodes, la mention de phénomènes célestes instantanés, comme des éclipses soit de lune, soit de soleil, dont la science moderne pourrait retrouver les dates absolues. Ce sont là les seules données auxquelles nous puissions aujourd'hui recourir, pour connaître avec certitude, jusqu'à quelle

profondeur l'antique civilisation égyptienne remonte dans la nuit des temps.

(La suite à un prochain cahier.)

J. B. BIOT.

1° LEXICON ETYMOLOGICUM LINGUARUM ROMANARUM, ITALICE, HISPANICE, GALLICE, par Friederich Diez. Bonn, chez A. Marcus, 1853, 1 vol. in-8°.

2° LA LANGUE FRANÇAISE DANS SES RAPPORTS AVEC LE SANSCRIT ET AVEC LES AUTRES LANGUES INDO-EUROPéennes, par Louis Delatre. Paris, chez Didot, 1854, t. Ier, in-8°.

3° GRAMMAIRE DE LA LANGUE D'OÏL, ou Grammaire des dialectes français aux x11 et x111a siècles, suivie d'un glossaire contenant tous les mots de l'ancienne langue qui se trouvent dans l'ouvrage, par G. F. Burguy. Berlin, chez F. Schneider et comp. t. Ier, 1853, t. II, 1854 (le troisième et dernier est sous presse). 4o Guillaume d'ORANGE, Chansons de geste des xr et x11 siècles, publiées pour la première fois et dédiées à S. M. Guillaume III, roi des Pays-Bas, par M. W. J. A. Jonckbloet, professeur à la Faculté de Groningue. La Haye, chez Martinus Nyhoff, 1854, 2 vol. in-8°. 5° ALTERANZÖSISCHE LIEDER, etc. (Chansons en vieux français, corrigées et expliquées, auxquelles des comparaisons avec les chansons en provençal, en vieil italien et en haut allemand du moyen âge, et un glossaire en vieux français sont joints), par Ed. Mätzner. Berlin, chez Ferd. Dümmler, 1853, 1 vol. in-8°.

DOUZIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

Résumé.

Arrivé à la fin d'un travail qui s'est tant prolongé, je ne veux et même je ne puis le laisser aller sans y joindre une sorte de conclu

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Voyez, pour le premier article, le cahier d'avril 1855, page 205; pour le

sion qui en rappelle les idées générales et en montre l'enchaînement. Cinq ouvrages importants m'en ont fourni la matière, et j'ai eu successivement à examiner un glossaire étymologique des langues romanes, des recherches sur les racines sanscrites qui se trouvent dans le français, une grammaire de la langue d'oïl, une édition de cinq chansons de geste qui n'avaient pas encore été publiées, enfin un essai de critique et de correction appliqué à un certain nombre de petites pièces de vers. L'écrivain qui a pour tâche d'analyser et d'apprécier les productions d'autrui a, s'il fait comme j'ai fait, un sujet nécessairement divers. A cette diversité il remédiera en ayant lui-même un point de vue déterminé d'avance par ses propres études et en choisissant dans chaque ouvrage ce qui peut le mieux s'y rapporter. Cela m'a paru particulièrement utile dans une matière qui, encore peu connue, est l'objet d'erreurs accréditées et de notions chancelantes; je parle de notre vieille langue et de notre vieille littérature. L'oubli où ces deux éléments de notre histoire étaient demeurés depuis la renaissance permit à quelques idées très-superficielles et très-erronées de s'emparer de l'opinion et d'y devenir monnaie courante. A mesure que les recherches se sont approfondies, il a bien fallu reconnaître que cette monnaie était fausse; mais on en rencontre incessamment dans la circulation quelques pièces; il s'en faut qu'elles aient été toutes refondues. Puis, quelque sùrs que commencent à devenir les résultats de l'érudition, ils sont encore partiels, et fragments de doctrine plutôt que doctrine. C'est ce qui m'a décidé à choisir, pour mon début ici, dans le Journal des Savants, un mode qui me permît d'exposer dans leurs linéaments essentiels les faits généraux que les investigations progressives ont mis en lumière.

Le premier à prendre en considération est que la formation du français n'est point quelque chose d'isolé qui se soit produit en deçà de la Loire et qui n'ait rien d'analogue et de congénère dans les autres parties latines, membres disjoints du grand empire. Un travail tout semblable s'est opéré au delà de la Loire, d'où le provençal, au delà des Alpes, d'où l'italien, au delà des Pyrénées, d'où l'espagnol. Ce qui frappe, c'est la grandeur même du phénomène philologique que l'érudit doit étudier. Sur cet espace immense tout concorde : il suffit

deuxième, celui de mai, page 293; pour le troisième, celui d'août, page 498; pour le quatrième, celui de septembre, page 566; pour le cinquième, celui de mars 1856, page 151; pour le sixième, celui d'avril, page 224; pour le septième, celui de juillet, page 413; pour le huitième, celui d'août, page 458; pour le neuvième, celui de janvier 1857, page 55; pour le dixième, celui de mai, page 312; et, pour le onzième, celui de juin, page 383.

d'effacer cette sorte de pellicule légère qui, soit comme forme des mots, soit comme désinence, dissimule les similitudes, et aussitôt on aperçoit à nu la trame, qui est la même. Plus on s'approche de l'origine, plus la ressemblance croît, jusqu'à ce qu'on atteigne le tronc latin, dont chacune de ces vastes branches est sortie. Ce n'est pas seulement le vocabulaire. et, si je puis dire, la provision de mots, qui est commune de part et d'autre; mais les artifices de la nouvelle grammaire qui a surgi des ruines de l'ancienne ont été simultanément inventés par des populations qui élaboraient un même fonds sous des conditions analogues de culture. La conjugaison prend un caractère uniforme; les temps latins qui se perdent, se perdent pour les quatre langues; les temps romans qui se créent et qui enrichissent le paradigme, se créent pour toutes les quatre. Toutes prennent l'article; toutes laissent le neutre disparaître; toutes suppléent aux désinences de l'adverbe latin par une même composition; toutes adoptent à peu près les mêmes mots germains; toutes s'accordent pour détourner semblablement de leur signification originelle un certain nombre de termes latins. Quels furent les inventeurs et quelle fut l'invention? Ce qui alors s'est passé donne une image de ce qui se passa toujours dans la formation des langues. Les deux époques, l'époque secondaire et l'époque primaire, se distinguent en ce que les populations romanes n'eurent pas à créer les mots, qui ont été l'œuvre des populations primitives; mais elles eurent à créer toutes ces conventions singulières qui constituent un langage, s'il faut donner le nom de convention à ce qui se fait spontanément, à ce qui germe de soi-même, à ce qui se comprend sans explication. Dans les langues romanes, qui sont pleinement historiques, on voit tout cela, production spontanée, germination générale et intelligence sans truchement.

Les langues romanes ont pour fond le latin. Le celtique dans les Gaules, l'ibère dans l'Espagne, n'ont laissé que de faibles traces parmi les populations qui les parlaient avant la conquête romaine. Cette conquête fut si profonde, le poids de l'immense empire assimila tellement les peuples de l'Espagne et de la Gaule, ils se laissèrent tellement captiver et absorber, que leur propre idiome leur devint étranger. L'influence germanique s'est fait sentir beaucoup davantage; et, de fait, les circonstances avaient grandement changé; l'empire, bien loin d'avoir une force de cohésion et d'absorption, tombait en dissolution; la langue latine eut le même sort et elle s'ouvrit à bon nombre de mots allemands. Voilà les trois sources, très-inégales, d'où proviennent les langues romanes. Ces langues sont, comme on voit, des formations postérieures; elles constituent, dans l'évolution de l'occident, un moment

original de génération spontanée; et, à ce titre comme à bien d'autres, elles méritent un vifintérêt, mais il ne faut pas leur demander des notions sur les éléments primordiaux des langues ariennes. Le latin, l'allemand, le grec, le sanscrit sont sur un autre plan, sur un plan bien plus lointain et bien plus rapproché des origines; les secrets de philologie qu'ils contiennent sont d'une autre nature que ceux que renferment les langues romanes. Celles-ci enseignent comment d'une langue naît une langue et comment de vastes populations, à mesure que l'idiome maternel leur fait défaut, s'entendent, sans se concerter, pour le remplacer par un idiome doué de qualités nouvelles.

Parmi le petit nombre d'érudits qui, durant le xvII° siècle, s'occupèrent de recherches sur la langue d'oil, ce fut un préjugé d'admettre qu'en général un mot français dérivait du mot italien correspondant. L'idée n'était fondée sur aucun examen précis des faits. Sans doute, voyant le mot italien plus voisin, dans la plupart des cas, de la forme latine, on s'imagina qu'il était une sorte d'intermédiaire, et que, à ce titre, il avait la prérogative de l'antériorité. Sans doute aussi le grand éclat des lettres et des arts en Italie pendant le xvr° siècle, alors que le développement français, à pareille époque, ne pouvait soutenir la comparaison, fit croire que cette supériorité n'était pas récente, mais remontait aux âges antérieurs, et qu'à toutes les phases du moyen âge la France avait reçu de l'Italie son impulsion, ses modèles, et jusqu'aux mots de sa langue. Une pareille opinion ne résiste pas au moindre examen; elle n'était pas celle même des Italiens du xnr et du XIV siècle, Brunetto Latini, Dante, Pétrarque et Boccace, qui tous s'accordaient pour reconnaître, dans la France du xii et du xi° siècle, une source féconde, et pour traiter avec une grande révérence la langue d'oïl et la langue d'oc. Eux, en effet, connaissaient, parce qu'ils la touchaient, bien qu'elle fût près de la décadence, la prépondérance littéraire de la France dans la haute période du moyen âge. Mais ceux qui portaient des jugements si fautifs prononçaient sur ce qu'ils n'avaient pas étudié; aucune tradition ne les soutenait; les manuscrits n'étaient pas sortis de leur poussière; on ignorait ce qu'était cette langue de nos aïeux, quelles en étaient la structure et les règles usuelles, et ce qu'était un vers correct dans cette vieille poésie. Avec si peu d'éléments de connaissance, que faire sinon des hypothèses sans consistance? Il suffit de considérer un seul instant la grande formation, dans le monde romain, des langues romanes, pour être sûr que l'une ne dérive pas de l'autre, que le français ne vient pas de l'italien, et qu'elles

sont toutes sœurs.

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