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se montrent bien et le peu que savaient encore les princes lorrains d'une conspiration ourdie cependant depuis plus de cinq mois et la pauvreté des précautions qu'ils imaginaient afin d'en arrêter le chef. Après avoir ordonné à l'ambassadeur de François II de mettre, comme il le disait, un ou deux hommes à la queue de la Regnaudie pour l'observer de loin, n'en perdre la connaissance ni jour, ni nuit, le faire saisir à son entrée dans le royaume ou bien le suivre jusqu'au lieu de sa retraite, dont on informerait diligemment le cardinal de Lorraine, celui-ci ajoutait : « Sur <«< tout le service que desirez jamais faire au roy, usez en cecy de telle « dextérité et vigilance que le dict sieur soit satisfaict en cest endroict, « mettant peyne de descouvrir quelque menée que la Regnauldie a practiquée avec ceulx de Berne pour donner faveur aux mal sentans « de la foy qui sont en France ainsy que l'on dict; pour m'en faire aussi « sçavoir des nouvelles. En quoy, il faut que vous employez la fidélité « que le roy a en vous, car en chose du monde ne lui scauriez vous « jamais faire service plus grand ni plus à propos. »

Gette dépêche était écrite de Montoire le 19 février, et, le 22, les princes lorrains vinrent s'enfermer dans Amboise, deux jours plus tôt

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le faire attraper, et pour ce qu'il a sa retraicte à Berne où il va et vient souvent et qu'il n'y a poinct de meilleur moyen de scavoir quant il va en ce royaulme que par vous, ledict seigneur veult que incontinent cette lettre receue vous y donniez ordre plus avant que vous pourrez, mectant un ou deux hommes à sa queue pour l'observer de loing, et ne perdre, s'il est possible jour ne nuict, la cognoissance de luy pour scavoir s'il viendra poinct en ledict royaulme où l'on le puisse faire prendre, et s'il entre à Lyon ou passe es environs que ledict homme ne faille incontinent d'en aller advertir monsieur de Savigny, lieutenant au gouvernement de Lyon qui a charge de le faire prandre. Il ne reste qu'à le faire descouvrir, sinon et s'il prenoyt autre chemin, qu'il le suive tousjours tant qu'il soit en lieu d'où il me puisse advertir pour y donner ordre aprés que ledict homme aura mis peyne dextrement de scavoir le lieu où il va et se doibt addresser et retraire ledict de la Regnauldie, et l'aultre homme vous fera advertir de son partement dont vous m'escrirez en toute diligence par la poste.. (Le reste de la lettre est inséré cidessus). (Bibl. impér., Saint-Germain, Fr. ms. n°759, f. 154) Comme de raison, l'ambassadeur ne put rien lui apprendre sur la Renaudie, et le cardinal de Lorraine, après avoir reçu sa lettre du 28 février, lui écrivit d'Amboise, le 16 mars, au moment même où éclatait la conspiration... «Vous nous advertissez n'avoir rien descouvert du personnaige de Berne, lequel aussi est par deça et a, avecques beaucoup d'aussi gens de bien que luy, commencé une conjuration si malheureuse qu'il n'y va rien de moins que de la personne du roy et changement de son estat, et ja ont mis plusieurs gens aux champs pour essayer de l'exequuter, mais nostre seigneur y a tellement pourveu qu'ils ont été des couverts et y en a plusieurs de prins, espérant qu'il achevera ce qu'il a bien commencé en cest endroict et qu'ils seront chastiez comme ils méritent... » (Ibid. f. 154, vo.)

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qu'il n'avait été d'abord projeté1. Ils ne connaissaient que vaguement encore ce complot, qui leur semblait alarmant, bien qu'étrange, et qui les inquiétait par ses obscurités mêmes. Ils espérèrent s'en éclaircir en interrogeant trois prisonniers qu'ils y crurent initiés et qui étaient enfermés au château de Vincennes. Le 252, François II écrivit au connétable de Montmorency de les lui envoyer sous bonne garde et en toute hâte, afin, disait-il, de les entendre sur la méchante conspira<«<tion qu'il venoit de découvrir et dont ils devoient savoir quelque «chose. Ces trois prisonniers étaient depuis quelques mois dans le donjon pour avoir montré un attachement trop zélé aux intérêts des princes du sang, ou pour s'être rendus suspects par un dévouement trop hardi à la cause réformée. Le premier était un gentilhomme angevin, nommé Soubselles, qui, surpris avec quelques-uns de ses coreligionnaires dans l'hôtellerie protestante du vicomte, au faubourg Saint-Germain, avait traversé, l'épée à la main, une troupe nombreuse de sergents du guet, et que les Guise avaient fait arrêter dans Reims, au moment du sacre, à la vue même du roi de Navarre, dont il était le serviteur zélé et entreprenant. Le second était le bailly de SaintAgnan, entre les mains duquel on avait trouvé des écrits destinés à soutenir les droits et à ranimer le courage du faible Antoine de Bourbon. Enfin le dernier était l'Écossais Robert Stuart, soupçonné d'avoir tué d'un coup d'arquebuse le juge le plus acharné d'Anne Du Bourg, le président Minard, si redoutable aux réformés, un soir du mois de décembre, lorsqu'il se rendait sur sa mule du palais de justice à sa maison. Obéissant à l'ordre qu'il avait reçu, le connétable Anne de Montmorency tira les trois prisonniers de Vincennes et les remit à son prévôt, qui, avec une escorte de quatre-vingts cavaliers, les conduisit, masqués, et par des chemins détournés, à Amboise3.

Avant leur arrivée, le cardinal de Lorraine avait reçu quelques éclaircissements sur la conspiration. L'ambassadeur d'Espagne Chantonnay l'avait prévenu, d'après les informations que son frère l'évêque d'Arras lui avait transmises des Pays-Bas, qu'un complot redoutable était tramé surtout contre lui et les princes de sa maison; que les con

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L'ambassadeur d'Angleterre Nicolas Throkmorton écrit d'Amboise, le 27 février, à la reine Élisabeth: ... The xx11 of this present the french king arrived at this towne, which was two days sooner then was loked for. (Forbes, t. I, p. 334.)La lettre est dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 334, 335.- Dépêche de Nicolas Throkmorton, écrite d'Amboise au secrétaire d'État Cécil, du 7 mars 1560, dans Forbes, t. I, p. 353; dépêche de Chantonnay à Philippe II, du 19 mars, Papiers de Simancas, B. 11, n° 111 à 116. — Ibid.

jurés (dont on grossissait singulièrement les forces et auxquels on prêtait les plus effrayantes intentions) devaient arriver sur les bords de la Loire le 6 mars, à la tête de quatre à cinq mille chevaux et de trente mille hommes de pied; pénétrer de jour ou de nuit dans le château avec quatre ou cinq cents hommes, et, après en avoir saisi les postes, s'emparer du roi et de ses jeunes frères; faire prisonniers les princes de la maison de Lorraine; convoquer les états généraux; convertir le roi à leur croyance, et, s'il s'y refusait, en élire un autre; forcer les Guise à embrasser le protestantisme, sinon les chasser du royaume et même les tuer, selon qu'on suivrait le conseil attribué aux prédicateurs moins immodérés de la confession d'Augsbourg, ou celui qu'on prêtait aux prédicateurs réputés plus violents de la ville de Genève1.

Le cardinal avait eu, d'autre part, des avis à peu près semblables 2, auxquels il était bien difficile d'ajouter une foi entière. Cependant, le 6 mars, jour marqué pour l'exécution de l'entreprise, la terreur se répandit dans Amboise. Le roi, entouré des chevaliers de l'ordre qui avaient été appelés près de lui3, 'resta enfermé dans le château dont les gardes ordinaires furent doublées, et où l'on ne laissa pénétrer que des personnes connues et sûres. Le duc de Guise, le cardinal de Lorraine, le duc d'Aumale, le grand prieur, et tous ceux qui étaient attachés à leur maison et fidèles à leur autorité, passèrent la nuit dans une attente pleine d'anxiété, entourés de soldats et d'hommes d'armes, veillant eux-mêmes aux abords du château, prêts à repousser l'attaque qu'ils redoutaient".

(La suite au prochain cahier.)

MIGNET.

VOYAGES DES Pèlerins bouddHISTES, tome second. Mémoires sur les contrées occidentales, traduits du sanscrit en chinois, en l'an 648 (de notre ère), par Hiouen-thsang, et du chinois en français, par M. Stanislas Julien, membre de l'Institut, etc. Tome Ier, conte

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Dépêche de Chantonnay du 19 mars. Papiers de Simancas, B. 11, n° 111 à 115, - 2 Ibid. 3 Ibid. — Dépêches déjà citées du 7 mars, de Throkmorton, et du 19 mars, de Chantonnay. Forbes, t. I, p. 354-355. Papiers de Simancas, B. 11,

n° 111 à 116.

nant les livres I à VIII et une carte de l'Asie centrale. Paris, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'Imprimerie impériale, 1857, in-8° de LXXVIII-493 pages.

DEUXIÈME ARTICLE 1.

Dans le grand catalogue de la bibliothèque de l'empereur Kien-long, le titre de l'ouvrage de Hiouen-thsang, authentique et complet, est le suivant: «Mémoires sur les contrées occidentales (Si-yu-ki), publiés « sous les grands Thang, traduits du sanscrit, en vertu d'un décret im« périal par Hiouen-thsang, Maître de la Loi des trois Recueils, et ré«digés par Pien-ki, religieux du couvent de Ta-tsong-tchi. » Il faut entendre par cette traduction du sanscrit non pas une traduction dans le sens ordinaire du mot, mais un arrangement de matériaux sanscrits, qui ont servi à Hiouen-thsang pour composer son livre. Dans ces Mémoires, le voyageur a disparu, et sa personne ne se montre presque jamais. Cependant il n'en est pas moins certain que ce n'est point d'après un ouvrage sanscrit qu'il rédige mot à mot le sien; il profite seulement de tous les documents indiens qu'il a recueillis; il les dispose à sa guise suivant les besoins de son récit et au point de vue de ses croyances religieuses. C'est en ce sens restreint qu'il les traduit, et qu'il les fait passer du sanscrit en chinois. Puis, après ce premier travail de Hiouenthsang, qui ne constituait pas même une rédaction définitive, le soin de reviser le style et de donner à l'ensemble une forme convenable fut confié à une main plus habile que la sienne. Pien-ki fut le rédacteur officiel des matériaux qu'avait accumulés le Maître de la Loi, soit durant son voyage dans l'Inde, soit après son retour en Chine.

Ce qu'il nous importerait surtout de connaître, ce serait la nature véritable des ouvrages sanscrits que consultait Hiouen-thsang, et dont il nous a transmis la substance dans le Si-yu-ki. Mais il est assez difficile de se faire une juste idée de ces ouvrages; et c'est déjà beaucoup que nous en ayons appris l'existence. La littérature sanscrite, telle qu'elle nous est actuellement connue, ne nous offre absolument rien de pareil; et, d'après les citations assez fréquentes que fait Hiouen-thsang des mémoires sanscrits qu'il emploie et qu'il a sous les yeux, puisqu'à plus d'une reprise il les traduit textuellement, il est clair que ces mémoires ne ressemblent que fort peu au Mahâvamsa, pâli, que nous a

' Voyez, pour le premier article, le cahier de juin, page 341.

révélé M. Turnour, ni au Râdjataranguini, que nous devons à M. Troyer. Il faut donc penser qu'au vir siècle de notre ère, à l'époque où le pèlerin chinois parcourait l'Inde, la littérature sanscrite possédait un genre d'ouvrages dont aucun n'est parvenu jusqu'à nous, et qui présentaient, dans des descriptions plus ou moins fidèles, l'histoire, la statistique et la géographie du pays. C'est là sans aucun doute une découverte fort inattendue et fort curieuse; mais elle n'en est pas moins réelle. Comme Hiouen-thsang rencontre des ouvrages de cette nature depuis le royaume de Koutché, au nord de l'Inde, jusque dans le Magadha, où il séjourne, pour les mieux étudier, pendant de longues années, évidemment ces ouvrages sont fort nombreux et fort répandus. Les noms que Hiouenthsang leur donne sont assez variés. Il les appelle tantôt des Anciennes Descriptions, tantôt des Mémoires historiques, tantôt des Recueils d'annales et d'édits royaux, ou bien des Histoires profanes, ou bien encore simplement les Livres des Indiens sur tel ou tel pays, des Mémoires sur l'Inde, etc., etc.1. Hiouen-thsang ne se borne pas à ces indications, qui sont déjà très-positives; il ne se borne même pas aux citations qu'il extrait des livres sanscrits; il nous apprend, en outre, la source de ces livres précieux et leur origine officielle. Dans la description générale de l'Inde, qui remplit la meilleure partie du second livre du Siyu-ki, et qu'on peut trouver une excellente introduction à tout ce qui suit, Hiouen-thsang a bien soin de nous dire, dans le chapitre consacré à la littérature, que « des fonctionnaires spéciaux sont chargés généra«lement, dans l'Inde, de consigner par écrit les paroles mémorables, et « que d'autres ont mission d'écrire le récit des événements. » Puis il ajoute «Le recueil d'annales et d'édits royaux s'appelle Nîlapița. On y <«< mentionne le bien et le mal, les calamités et les présages heureux. » On ne peut donc plus en douter: l'Inde avait, du temps de Hiouenthsang et longtemps avant son époque, selon toute apparence, des livres d'histoire en très-grand nombre, fort détaillés, et qui répondaient, dans une certaine mesure, à ceux que, depuis les Grecs, n'ont cessé de rédiger tous les peuples de l'Europe civilisée. Je ne veux pas exagérer le mérite de ces annales; et j'avoue que, d'après les citations mêmes de Hiouen-thsang, je trouve que les Indiens ont une manière assez bizarre de comprendre et de rédiger l'histoire. L'Inde n'a jamais eu d'Hérodote, de Thucydide, de Polybe, de Tite-Live, de Tacite ou de Machiavel.

1 M. Stanislas Julien, Mémoires sur les contrées occidentales, page 5, à propos du royaume de Koutché; page 13, pour Bâloukâ; page 24, pour Kaçanna, pour Tchéka; page 116, pour Crâvastî; page 217, pour Sroughna sur le Gange; page 278, sur Prayâga; page 386, sur Vaiçâlî, etc., etc., etc.

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