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gouverneraient toutes les Églises de France. La plupart des articles1 de la confession de foi furent tirés de la lettre écrite par Calvin à Henri II ou empruntés à ses écrits. La règle de discipline fut en tout conforme à celle que le réformateur, leur maître, avait donnée à Genève.

En ce qu'il fallait croire comme en ce qu'il fallait faire, on ne reconnaissait que l'autorité de l'Écriture sainte comprise aux livres canoniques du Vieux et du Nouveau Testament. «La parole contenue en ces «< livres, y était-il dit, est procédée de Dieu. De lui seul elle prend son <«< autorité et non des hommes. Elle contient tout ce qui est nécessaire «pour le service de Dieu et notre salut. Il n'est loisible... d'y ajouter, <«< diminuer ou changer. Dès lors, ni l'antiquité, ni les coutumes, ni la <«< multitude, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts, ni « les édits, ni les décrets, ni les visions, ni les conciles, ni les miracles,. «ne doivent être opposés à l'Écriture sainte. »

Après avoir admis, selon ses enseignements, l'essence divine en trois personnes, reconnu la pureté primitive de l'homme, sa chute volontaire qui laissait son esprit dans l'aveuglement de l'erreur, son cœur dans la captivité du mal, et avait atteint toute sa race d'un vice héréditaire dont l'unique remède était la rédemption par le Christ, ils établissaient avec le même excès que Calvin une prédestination absolue, en rendant arbitraire le don ou le refus de la grâce de Dieu et aussi inévitable qu'involontaire l'élection de l'homme ou sa réprobation. Le salut de l'homme n'était obtenu que par la mort du Christ qui était un sacrifice unique fait en la croix et suffisant pour racheter toutes les iniquités humaines. Elle justifiait l'homme devant Dieu, en lui conférant une justice qui n'était fondée que sur la rémission de ses péchés. C'était par la seule foi en Jésus-Christ, foi qui était elle-même un don gratuit du SaintEsprit, qu'avait lieu la participation à cette justice supérieure et communiquée. Seul médiateur des hommes, Jésus-Christ était le seul chef et l'universel évêque de l'Église, laquelle résidait «dans la compagnie des «fidèles s'accordant à suivre la parole de Dieu, et gouvernée, selon la « police que Jésus-Christ a établie, avec des pasteurs, des surveillants (ou « anciens), des diacres, afin que la pure doctrine ait son cours, que les « vices soient corrigés et réprimés, que les pauvres et tous les affligés « soient secourus en leurs nécessités, et que les assemblées se fassent au << nom de Dieu, dans lesquelles grands et petits soient édifiés. »

1 Voir les articles de cette confession de foi et de cette discipline ecclésiastique dans Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des Eglises réformées, t. I, p. 142 à

En ce gouvernement, où toutes les fonctions sont électives, les pasteurs doivent avoir la même autorité, et aucune Église ne doit prétendre à la domination sur l'autre ; les pasteurs auxquels est réservée la prédi· cation de la parole évangélique sont aussi les uniques administrateurs des sacrements, réduits à deux dans le synode de Paris comme dans l'Église constituante de Genève, le baptême et la cène, ajoutés à la parole divine pour soulager la foi humaine. Ces deux sacrements sont les gages et les moyens de la grâce, le premier en faisant de l'homme l'adopté de Dieu, le second en l'unissant avec lui. D'après la discipline des Eglises françaises, qui consacrait parmi elle l'égalité la plus entière, les ministres, élus en consistoire par les anciens et par les diacres, devaient être présentés au peuple, qui ratifiait l'élection, et être consacrés par l'imposition des mains. Ils pouvaient être déposés, à cause de leur doctrine, si elle n'était pas orthodoxe, de leur conduite, si elle n'était pas régulière, d'un châtiment infligé avec justice par le magistrat, d'une excommunication encourue, d'une désobéissance manifestée envers le consistoire, ou d'une insuffisance constatée dans le ministère. Le consistoire, auquel, dans ces cas, seraient adjoints deux ou trois pasteurs, avait le pouvoir de prononcer la déposition et d'en déclarer les causes au peuple. Les anciens et les diacres, dont l'office consistait, pour les premiers, à faire assembler le peuple, à surveiller les mœurs des fidèles, à rapporter au consistoire les scandales ou les désordres; pour les seconds, à visiter les pauvres, les prisonniers, les malades, à aller catéchiser dans les maisons, et, en l'absence des ministres, à faire les prières et à lire quelques passages de l'Écriture, mais sans forme de prédication, élus comme les pasteurs, pouvaient être déposés pour les mêmes causes qu'eux. Ils étaient le sénat de l'Église, que présidaient les ministres et qui composait ce redoutable consistoire chargé d'excommunier les hérétiques, de censurer les vicieux, de punir les rebelles et les traîtres, et auquel il appartenait d'examiner le mérite des mariages et de dissoudre les unions déréglées.

Ces petites républiques chrétiennes étaient unies entre elles par des assemblées provinciales et générales auxquelles assistaient leurs pasteurs, leurs anciens, leurs diacres, et qui, sous le nom de colloques ou synodes, en formaient le lien fédéral, et en réglaient la conduite. Les décisions des consistoires particuliers pouvaient être déférées aux synodes provinciaux, qui étaient tenus de s'assembler deux fois par an. Mais c'était seulement en synode général qu'il était permis de déroger aux règles données à toutes les Églises et de statuer sur leurs intérêts communs. Démocratiquement organisée et républicainement conduite sous le rap

port religieux, cette société évangélique proclamait, sous le rapport civil, la soumission absolue au gouvernement de l'État. Elle reconnaissait, conformément à la doctrine de Calvin, et en employant ses propres paroles, qu'il fallait obéir aux princes et aux magistrats, ne pas endurer seulement leur puissance, mais les honorer comme les lieutenants terrestres de Dieu ayant en main le glaive qu'il leur avait remis et exerçant la charge légitime et sainte qu'il leur avait commise. Les protestants de France sortirent bientôt de cette soumission absolue; accrus en nombre et poussés à bout par la persécution, ils voulurent sinon dominer, du moins n'être plus proscrits. Calvin, qui les avait contenus jusque-là dans les bornes d'une résignation obéissante et silencieuse, et ne leur avait permis de s'étendre que par l'ardeur de la foi et le courage du martyre, ne parvint plus à empêcher leurs manifestations religieuses et même leurs entreprises politiques. Échappant à son influence pour suivre les entraînements de passions devenues irrésistibles et d'espérances encore bien prématurées, ils tentèrent de se soustraire aux prisons et aux bûchers et de conquérir une existence avouée dans le royaume. L'avénement de François II au trône et la domination aussi intolérante qu'exclusive de ses oncles les princes de la maison de Lorraine, leur en fournirent l'occasion comme le prétexte.

Le successeur d'Henri II n'avait guère plus de seize ans. Quoiqu'il eût atteint la majorité légale fixée à quatorze ans dans la monarchie par l'ordonnance de Charles V, il était mineur d'esprit et de caractère. Incapable de gouverner l'État, il confia toute l'autorité royale au duc de Guise et au cardinal de Lorraine, qui régnèrent à sa place, secondés par leur nièce Marie Stuart, dont la beauté et l'affection exerçaient un empire irrésistible sur le jeune roi. Ces cadets de la maison de Lorraine, établis en France au commencement du siècle, avaient continué, sous Henri II, la fortune qu'ils avaient commencée sous François I", et qu'ils portèrent au comble sous François II. Ils étaient six frères. Non moins considé rables par leurs hautes qualités que puissants par leur nombre et possédant déjà les principales charges du royaume, ils visèrent successivement à tout, et rien ne fut au-dessus de leur ambition, pas même le trône. Pendant cette génération, ils aspirèrent à exercer, et, pendant la génération suivante, à posséder le pouvoir royal. Établissant leur grandeur sur la forte base de la gloire militaire et du dévouement religieux, les princes de cette famille guerrière et catholique devinrent l'appui du clergé, obtinrent l'admiration du peuple; et, maîtres de l'armée et de l'Église, après avoir disposé de la royauté contre la noblesse, ils disposèrent du peuple contre la royauté. Ils furent pour beaucoup dans les longs troubles civils

et religieux qui agitèrent les règnes des fils et petits-fils des deux mōnarques auxquels ils devaient leur établissement et leur grandeur en France, et dont, plus que qui que ce soit, ils contribuèrent à éteindre la triste postérité.

Ne ménageant alors que la reine mère du roi, de peur de la jeter dans le parti des princes du sang et de la grande noblesse, ils écartèrent les Bourbons, disgracièrent les Montmorency, annulèrent les Châtillon. Le roi de Navarre et le prince de Condé auraient pu, en leur qualité de premiers princes du sang, revendiquer l'administration du royaume. Les personnages les plus considérables de la noblesse le désiraient, les protestants l'espéraient et le connétable Anne de Montmorency avait fait presser le roi de Navarre de venir à la cour pour y soutenir les droits de sa naissance. Mais une aussi forte résolution dépassait le courage de ce prince sans fermeté comme sans hardiesse. Il partit tard de Nérac et se rendit lentement à Saint-Germain. Il n'arriva à la cour que vers le 18 août, un peu plus d'un mois après la mort de Henri II, et il n'y parut ni en ambitieux disposé à réclamer l'exercice du pouvoir royal, ni en sectaire désireux d'obtenir la tolérance chrétienne. Il fut accueilli très-froidement par François II, auprès duquel il s'excusa en quelque sorte d'avoir quitté ses propres États. Il lui dit qu'il était venu faire un service religieux à Saint-Denis pour l'âme de son père Henri II, le reconnaître lui-même comme son seigneur et prince, et lui obéir ainsi que le moindre de son royaume. Le jeune roi, que ses oncles avaient préparé à cette entrevue, ne reçut pas seulement avec hauteur l'expression de cette humble obéissance, il ne craignit pas de questionner sur sa religion le roi de Navarre qui se défendit d'en avoir changé. François II accepta son hommage et son désaveu en lui disant d'un ton où perçait la menace: «qu'il entendait avec plaisir l'assurance de sa bonne «< volonté envers lui et surtout de scs sentiments à l'égard de la reli«gion, car, si, en matière d'État ou de foi, il voulait tenir un autre «< chemin que le sien, il ne le souffrirait ni de lui ni d'autres, et en ferait « le châtiment qui convenait 1. »

Le roi de Navarre, qui avait vécu en protestant à Nérac, vécut en catholique à Saint-Germain. Après le sacre de François II, il consentit à conduire en Espagne la princesse Élisabeth, dont le mariage avait été récemment conclu avec Philippe II, tandis que le prince de Condé, son

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1 Dépêche manuscrite de l'ambassadeur d'Espagne Chantonnay au roi catholique Philippe II, du 22 août 1859. Archives de l'Empire, Papiers de Simancas, B. 10, n° 193.

frère, avait été déjà éloigné de la cour pour aller jurer, dans les PaysBas, la paix de Cateau-Cambrésis. Frappé d'une entière disgrâce, le connétable Anne de Montmorency fut contraint d'abandonner la charge de grand maître que le duc de Guise joignit à celle de grand chambellan dont il était déjà revêtu, et son neveu, l'amiral de Coligny, dut se dessaisir, afin de n'en être pas dépouillé, du gouvernement de Picardie, que reçut le maréchal de Brissac, gagné par une semblable faveur à la cause des princes lorrains. Ceux-ci, après avoir écarté ou indisposé les puissantes familles qui, jusqu'alors, avaient partagé avec eux l'autorité dans le royaume, excitèrent au plus haut degré le mécontentement des gens de guerre, licenciés sans qu'on les récompensât de ce qu'ils avaient fait, ni même qu'on les payât de ce qui leur était dû. Les menaces les plus offensantes s'ajoutèrent aux plus odieux refus. On chassa ignominieusement de la cour tous les gentilshommes et tous les vieux soldats qui étaient venus y porter leurs réclamations, en faisant publier à son de trompe que, s'ils n'étaient pas partis dans les vingt-quatre heures, ils seraient pendus. Ils se retirèrent en frémissant, et, dans sa timidité défiante, le cardinal de Lorraine, qui craignait toujours quelque attentat contre sa personne, interdit de porter des armes à feu et d'avoir des manteaux longs sous lesquels pouvaient être cachés des pistolets.

Les poursuites contre les sectaires étaient devenues plus générales et plus acharnées. Rien ne fut oublié pour découvrir leurs sentiments et surprendre leurs conventicules. Dans Paris et dans beaucoup de villes, on plaça au coin des rues de petites madones et des images de saints ornées de fleurs, entourées de cierges, devant lesquelles on chanta des cantiques, en contraignant ceux qui passaient à s'incliner, à prier et à contribuer. Ne pas s'associer aux prières et aux collectes, c'était se déclarer hérétique. Outre ces involontaires dénonciations, il y en eut d'imposées aux propriétaires de maisons, aux hôteliers et aux loueurs de chambre. Il leur fut prescrit, sous peine de châtiments corporels et de confiscation, de s'informer des croyances de ceux qu'ils y recevaient; de savoir s'ils vivaient catholiquement, s'ils allaient à la messe et assistaient les dimanches et les jours de fêtes aux cérémonies de l'Église; de prendre leurs noms, leurs surnoms, leurs qualités et d'en dresser le rôle, qu'ils donneraient aux commissaires du quartier; de révéler surtout à la justice les assemblées qui s'y tiendraient.

Des transfuges du protestantisme1 en secondèrent les persécuteurs. Ils dénoncérent eux-mêmes leurs coreligionnaires, dont ils firent con

• Histoire ecclésiastique des Églises réformées, etc. t. I, p. 227 à 240.

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