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Ce qu'il interprète ainsi, considérant entrai en cest mougnage comme une parenthèse si mon visage est pâli, je l'ai ainsi, étant entré en cette confrérie (des malades d'amour), par votre cœur qui ne veut pas se laisser fléchir. La correction doit être conçue tout autrement. Il ne faut pas changer ces en cest; mais, gardant ces et le rapprochant de mougnage, il faut lire tesmougnage ou tesmongnage; puis, continuant, on divisera entrai en deux mots en trai, du verbe traire, de sorte que le vers deviendra

Mon taint viaire en trai en tesmongnage;

et le tout se traduira n'est pas petit le mal qui m'étreint; j'en prends à témoignage mon visage pâli; je l'ai ainsi par votre cœur inexorable pour moi qui ne demande rien avec témérité.

Richard de Fournival, déplorant l'aveuglement d'un cœur qui se livre tout entier, dit (p. 23):

:

Et cuers est tiex qu'il s'i met duqel heut;
Quand il li plaist, riens ne l'en puet oster.

Le cœur est tel, c'est-à-dire fou (qui est dans le vers précédent). M. Mätzner, trouvant que dugel heut n'avait pas de sens, s'est efforcé d'y substituer une locution qui suivit d'aussi près que possible les traits du manuscrit. Il a très-ingénieusement conjecturé cui que cheut, c'est-àdire quel que soit celui à qui il en chaille; remarquez, en passant, la concision de la vieille langue en comparaison de la langue moderne. Ces formules: cui que cheut, cui qu'en poist, cui qu'il desplace (déplaise), sont très-communes; et le vers, ainsi changé, signifierait: le cœur est fou de s'abandonner à l'amour en dépit de tout; quand il s'y plaît, rien ne l'en peut ôter. Pourtant ce n'est pas là qu'il faut chercher la restitution. La leçon du manuscrit est correcte à une s près : au lieu de duqel heut, il suffit de lire dusq'el heut, c'est-à-dire jusqu'à la garde: le cœur est fou quand il s'y met jusqu'à la garde, jusqu'au heut. Heut en ce sens est bien

connu.

Ces remarques, même quand elles contredisent M. Mätzner, rendent hommage à son érudition toujours si riche, à sa sagacité toujours si vigilante. Son livre est un guide excellent pour quiconque veut s'exercer à lire nos vieux textes, à en pénétrer les difficultés, à en corriger les mauvaises leçons.

(La fin à un prochain cahier.)

É. LITTRÉ.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

M. Brifaut (Charles), membre de l'Académie française, est mort, le 5 juin 1857, à Paris.

Voici le discours de M. Biot, chancelier de l'Académie française, prononcé à ses funérailles.

Messieurs, un devoir, imprévu comme la mort même, me donne aujourd'hui la douloureuse mission d'apporter sur cette tombe les sincères et unanimes regrets de l'Académie française. Je crains de ne pouvoir pas assez les exprimer, comme elle les ressent. Je n'ai connu M. Brifaut que dans les derniers jours de sa vie; lorsque, malgré la maladie et les souffrances qui devaient bientôt nous priver de lui, il venait, avec une constante assiduité, assister aux réunions de l'Académie, prendre part à ses travaux, et honorer d'un solennel hommage la mémoire d'un de ses membres les plus illustres. D'autres vous parleront de ses talents littéraires, de ses œuvres dramatiques, de ces poëmes touchants, qu'il appelait modestement des Ephémères, où tant de vers heureux, élégants et faciles, font naître dans l'âme des impressions qui ne s'effacent plus. Moi, je ne puis que vous raconter les soins affectueux dont il était l'objet parmi nous; les témoignages d'intérêt, d'attachement, qui se pressaient autour de lui, et montraient, mieux que des paroles ne pourraient le faire, combien il était estimé et aimé. Il a joui de ces consolations jusqu'au dernier moment; et, après les assurances que la religion nous donne d'un éternel avenir, quoi de plus doux peut nous être accordé, aux approches du terme fatal, que de sentir, près de soi, des amis qui chériront votre mémoire! Cette continuation fidèle de leurs sentiments ne lui manquera point; et ils seront partagés par tous ceux qui liront ces chants si purs, si aimables, que son cœur lui avait inspirés.

Sa mort a été calme. Son esprit grave et doux s'y était préparé par les pensées pieuses qui soutiennent l'homme dans cette dernière épreuve; et, le détachant des misères de la vie, lui montrent le ciel comme un asile, où il trouvera le repos et la vérité. Puisse chacun de nous supporter ses maux avec autant de patience, voir approcher sa fin avec la même résignation religieuse, et laisser après lui autant de regrets!

ACADÉMIE DES SCIENCES.

M. le baron Thenard, membre de l'Académie des sciences, section de chimie, est mort à Paris, le 22 juin 1857.

SOCIÉTÉS SAVANTES.

L'Académie du Gard met au concours de 1858 une notice sur Rivarol. L'Académie désire qu'après avoir peint l'homme mêlé à l'histoire contemporaine dans ses côtés les plus graves et les plus légers, on détermine la part d'action qu'il a eue « au milieu de ces luttes ardentes où se débattaient les plus hautes questions de politique et de philosophie, et dans cette presse quotidienne qui était déjà une puis«sance. » Le prix, consistant en une médaille d'or de 300 francs, sera décerné dans la séance qui suivra l'époque de la clôture du concours. Les ouvrages doivent être adressés, avant le 1 juillet 1858, au secrétaire de l'Académie, à Nîmes.

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LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Études historiques et biographiques, par M. le baron de Barante, de l'Académie française. Paris, imprimerie de Bourdier, librairie de Didier, 1857, 2 vol. in-8° de VIII-466 et 436 pages. Quelques-uns des morceaux qui forment ce recueil ont été déjà publiés en 1835, ceux qui sont ajoutés à cette édition nouvelle se composent de biographies ou d'études historiques et ont, en général, plus de développement que les premiers. Ces fragments, si divers par les sujets qu'ils touchent et par les époques où ils furent écrits, reçoivent du talent éminent et du caractère de modération de l'auteur une sorte d'unité remarquable. On y trouve le constant désir d'une justice impartiale, la crainte continuelle de subir le joug des opinions exclusives et de l'esprit de parti, le besoin impérieux de rendre hommage à tout ce qui est noble dans la pensée et désintéressé dans l'action, quelles qu'en puissent être l'inspiration et l'origine. Le premier volume de ces études offre d'abord des notices. sur les chefs vendéens Cathelineau, Bonchamp, Lescure, d'Elbée, La Rochejaquelein, Stofflet, Charette, etc.; puis les biographies du comte de Saint-Priest, de Camille Jordan, du général Foy, du duc de Vicence, du maréchal Gouvion-Saint-Cyr, un discours prononcé à la Chambre des pairs, à l'occasion du décès de M. le marquis d'Osmond, le 16 avril 1838, l'éloge du prince duc de Talleyrand-Périgord, prononcé, dans la même assemblée, le 8 juin 1838, une notice sur la vie et les ouvrages du comte de Montlosier, lu à l'Académie de Clermont, en 1842, et des éloges du baron Mounier, du comte d'Haussonville, du comte Mollien et du comte Al. de Saint-Priest. Le second volume comprend la suite des notices biographiques et les études historiques. On y lira avec intérêt le récit de la vie de M. de Ponté

coulant, de M. le comte Louis de Sainte-Aulaire et de M. le comte Molé. Parmi les études, qui consistent surtout dans l'analyse et l'examen de diverses œuvres historiques, on remarquera une appréciation judicieuse des travaux de M. Benj. Guérard, et d'excellentes notices sur Grégoire de Tours, Froissart, Comines, Brantôme, Pasquier, Vertot, sur la chronique du religieux de Saint-Denis, la chronique de Richer, le Journal d'un bourgeois de Paris, sur les villes de Thiers, de Riom, de Napoléon-Vendée. Deux autres volumes d'études littéraires et historiques, de M. de Barante, seront prochainement publiés.

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Philosophie écossaise, par M. Victor Cousin. Troisième édition, revue et augmentée. Paris, imprimerie de Delcambre, Librairie nouvelle, 1857, in-8° de XII527 pages. Cette troisième édition de l'histoire de la philosophie écossaise, de M. Cousin, se distingue des précédentes par des notes et de nombreuses additions. Elle est précédée d'un Avertissement, dans lequel l'illustre auteur confirme le jugement qu'il a porté, dans ses leçons de 1819, sur l'école écossaise, et apprécie en quelques pages les services rendus à la philosophie par les principaux chefs de cette école, notamment par Thomas Reid. Le volume que nous annonçons, quoique publié séparément, forme le tome III d'une nouvelle édition du cours de philosophie de M. Cousin, comprenant en quatre volumes les premiers Essais de philosophie; la Philosophie sensualiste; l'École écossaise et l'École de Kant.

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Histoire des religions de la Grèce antique, depuis leur origine jusqu'à leur complète constitution, par L.-F. Alfred Maury; tome I". Paris, imprimerie de Martinet, librairie de Ladrange, 1857, in-8° de x11-608 pages. Écrire l'histoire de la religion chez les Grecs, s'attacher surtout à en suivre le mouvement dogmatique progressif, montrer comment la notion divine s'est dégagée graduellement du naturalisme au sein duquel elle s'était éveillée, faire sentir les rapports qui liaient le culte à la morale et l'instinct de la vertu à celui du monde invisible: telle est la tâche que s'est proposé d'accomplir l'auteur de cet important ouvrage. M. Maury s'est inspiré du livre de M. Creuzer sur les religions de l'antiquité, mais, tandis que le savant allemand, en cherchant à saisir la liaison des mythes et des symboles, néglige le côté historique et pragmatique, et considère les religions de l'antiquité comme un grand tout dont il donne un exposé synthétique, le travail de M. Maury, au contraire, est une œuvre d'analyse; l'auteur y suit le progrès des idées en s'attachant à marquer les époques. Le premier volume, qui vient d'être publié, embrasse l'histoire de la religion hellénique depuis les temps primitifs jusqu'au siècle d'Alexandre. Il est divisé en six chapitres, dont voici les titres : les populations primitives de la Grèce; religion des populations primitives de la Grèce; du premier développement mythologique et poétique de la Grèce; Homère et la religion des temps homériques; Hésiode, sa théogonie et son système religieux; système théogonique des Grecs depuis les temps qui ont suivi immédiatement l'époque d'Homère et d'Hésiode jusqu'au siècle d'Alexandre; grandes divinités des Grecs, demi-dieux, héros et démons. Nous n'avons pas à juger ici ce savant travail, qui, sans doute, sera l'objet d'un compte rendu détaillé dans ce journal; mais, pour donner à nos lecteurs une idée générale du livre et leur indiquer un des principaux résultats des recherches de l'auteur, nous croyons devoir citer un passage de son deuxième chapitre. Après s'être attaché à constater, par de nombreux rapprochements, que les plus anciennes traditions mythologiques des Grecs ont les mêmes origines que les Védas, M. Maury cherche à démontrer que les héros de la Grèce, les prétendus fondateurs de ses premières villes, les hommes qui passèrent pour les inventeurs de certains arts, ne sont que des mythes, des personnifications, et il ajoute :

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Longtemps les historiens et les antiquaires furent dupes de ces inventions, nées « d'antiques habitudes allégoriques dont la racine est dans le Véda, et dont le dé«veloppement se continua pendant bien des siècles. L'assurance avec laquelle les Grecs avaient donné, comme des personnages réels, une foule de dieux et de héros où se réfléchissait, comme dans un miroir à mille facettes, l'impression « faite par la nature sur leur esprit, donna le change à l'érudition. On ne put sup"poser, tant qu'on ne posséda pas les originaux de cette longue contrefaçon historique, que tant de rois, de guerriers, d'héroïnes, de divinités, se réduisissent à des apparences naturelles, transportées par la métaphore dans le domaine de l'humanité. Mais maintenant que nous saisissons la filiation de toutes ces fables, " maintenant que la comparaison des monuments religieux de l'Inde nous a révélé « les procédés et montré les intermédiaires qui lient ces êtres en apparence si vi« vants, si passionnés, si personnels, si humains, aux phénomènes de la nature, « aux scènes physiques et aux météores, la transformation devient évidente. Dans le second volume, l'auteur traitera des institutions religieuses de la Grèce.

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Etudes sur la grammaire védique. Prâtiçâkhya du Rig-Véda (première lecture, ou chapitres 1 à vi); par M. Ad. Regnier, membre de l'Institut. Paris, Imprimerie impériale, 1857, in-8° de 315 pages. Les Prâtiçâkhyas, sur lesquels M. Roth, dans les deux premières de ses dissertations relatives à la littérature et à l'histoire du Véda, a donné des détails fort instructifs, sont des recueils de vers mémoriaux, d'antiques axiomes, accompagnés de nombreux exemples, et formant les éléments et la base de l'étude des textes sacrés, telle que l'Inde elle-même l'entendait. «C'est un exposé, en général très-concis, mais en même temps très-rigoureux, « à beaucoup d'égards, de la partie matérielle et la plus extérieure, en quelque sorte, des théories grammaticales, de tout ce qui touche aux lettres, à leur com«binaison, à leur prononciation, aux accents, aux modes de lecture et d'écriture, à la versification. Il est difficile de pousser plus loin qu'on ne l'a fait dans ces traités, l'attention consciencieuse, le scrupule de l'exactitude.» M. Ad. Regnier a pensé qu'avant de juger en détail les Prâtiçakhyas ou de traiter les diverses questions qui s'y rattachent, il importait de les publier, de les traduire, d'en rendre le contenu accessible à tous ceux qui s'occupent des premiers âges de la littérature indienne. Le Prâtiçâkhya du Rig-Véda se divise en trois adhyayas ou lectures, composées chacune de six patalas ou chapitres. M. Regnier a traduit l'ouvrage entier, mais il se borne à publier le texte, avec traduction et commentaire, de la première lecture ou des six premiers chapitres, en attendant que M. Max Müller, le savant éditeur du Rig-Véda, ait fait paraître le texte entier du Prâtiçâkhya et l'interprétation qu'il doit y joindre.

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Poëme allégorique de Meliténiote, publié d'après un manuscrit grec de la Bibliothèque impériale, par M. E. Miller. Paris, Imprimerie impériale, 1857, in-4° de 139 pages. L'auteur de ce poëme appartenait à la famille des Meliténiotes, célèbre à Constantinople au moyen âge, et il paraît avoir écrit à la fin du XIII° siècle ou au commencement du xiv. Peu recommandable sous le rapport du goût, du style et de la versification, ce poête entre parfois dans des détails curieux qui touchent à des matières dignes de fixer l'attention des antiquaires et des philologues. Nous citerons particulièrement, d'après le savant éditeur, une galerie mythologique où Meliténiote décrit, avec leurs attributs physiques cu moraux, tous les dieux de l'antiquité, une galerie biblique consacrée aux personnages de la Bible, une liste considérable de toutes les pierres précieuses connues alors, et qui permet des rapprochements curieux avec Pline, Dioscoride, Galien, Psellus, etc.; et la descrip

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