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loponnèse qui n'était plus qu'un désert; les îles elles-mêmes, celles qui avaient résisté jusqu'alors, étaient découragées et épuisées par la longueur de la lutte. Dans un quatrième volume, dont la publication est prochaine, notre auteur n'aura plus qu'à nous faire connaître le dénoûment heureux de cette crise suprême. Ce sera avec la correction habituelle de son langage que l'éminent historien retracera l'intervention des trois puissances occidentales résolues de mettre fin à une guerre meurtrière. Il parlera de la bataille de Navarin, où la flotte turque fut anéantie, et de l'expédition du général Maison, si glorieuse pour les armes de la France, puisque l'apparition de nos drapeaux força Ibrahim à évacuer la Morée qu'il avait inondée de sang; enfin, dans ce même volume, on trouvera, nous le supposons, des détails pleins d'intérêt sur l'élection et l'arrivée du comte Capodistrias, nommé pour sept ans gouverneur du nouvel État.

On a dit bien souvent qu'un écrivain, à peine d'être convaincu ou tout au moins soupçonné de partialité, ne devrait jamais donner au public l'histoire de son temps; on a pensé que les hommes politiques, quand ils racontent des événements dont ils ont été témoins ou qu'ils ont dirigés, mêlent toujours à leurs convictions les plus pures des réflexions intéressées ou des illusions décevantes. L'ouvrage de M. Tricoupis, ce nous semble, prouve le contraire de ces assertions. L'auteur rapporte, juge et apprécie les faits sans fiel contre les oppresseurs, comme sans flatterie pour ses compatriotes; quant à ces derniers surtout, il tient, pour ainsi dire, registre de leurs excès et de leurs vertus, et livre ce registre à la postérité, qui doit prononcer et faire justice. On ne trouve point dans son ouvrage cette chaleur exaltée qui ne laisse ni au sentiment, ni à la pensée, sa justesse et sa vérité; narrateur exact, il descend aux détails les plus minutieux, mais aussi les plus instructifs; il y ajoute souvent des particularités que lui seul pouvait connaître. Rarement il parle d'un fait sans préciser le jour où cet événement est arrivé; et, dans nos extraits, nous avons conservé ces dates sans les changer, bien qu'elles diffèrent de celles que l'on trouve dans les relations des mêmes événements publiés en France, en Angleterre et en Allemagne. M. Tricoupis, écrivant pour ses compatriotes, a eu raison de suivre le calendrier julien, qui est le leur; mais nous devons signaler la discordance chronologique dont il s'agit aux traducteurs, qui s'empresseront, sans doute, de faire passer dans les langues de l'Occident l'ouvrage que nous annonçons; peut-être feront-ils bien de réduire ces dates d'après notre manière de compter. On sait que la différence entre les calendriers julien et grégorien est de douze jours.

Les trois volumes dont nous terminons ici l'analyse comptent plus de douze cents pages. Il serait injuste de relever, dans un travail de cette étendue, quelques négligences qu'on doit imputer non à l'auteur, mais à la précipitation des typographes', et un petit nombre de détails peu importants où nous ne sommes pas entièrement de l'avis de l'auteur2. Nous aimons mieux répéter ici ce que nous avons déjà dit du style de M. Tricoupis, qui a surtout fixé notre attention et dont nos lecteurs ont pu juger d'après les nombreux extraits qui accompagnent cet article. Les amis de la langue et de la littérature grecques y ont vu avec quelle habileté cet écrivain remarquable, doué d'une grande justesse d'esprit, sobre d'expressions ambitieuses et de figures qui obscurcissent la pensée au lieu de l'embellir, cherche à se rapprocher de la prose hellénique, tout en respectant certaines formes grammaticales consacrées par l'usage. Dans un autre genre, le Dante a eu le mérite rare, et qui ne pouvait appartenir qu'à un homme supérieur, de former, le premier en Italie, par ses vers, une école de poésie et de fixer la langue. Nous désirons qu'à son tour M. Tricoupis fonde en Grèce une école historique; que, marchant sur ses traces, les jeunes hommes de talent, qui abondent dans sa patrie, prennent pour modèle sa manière d'écrire et sa correcte clarté; qu'ils imitent, dans leurs jugements, sa modération et son calme; qu'appelés à jouer un rôle politique ils joignent, comme notre auteur, le goût des lettres au talent des affaires, montrant ainsi que rien n'est plus propre que l'étude à disposer l'esprit et le caractère au maniement des intérêts de la société; puisque du commerce des livres, réuni au commerce toujours si nécessaire des hommes, il résulte un degré de lumières et de force d'esprit auquel il est difficile d'atteindre autrement que par ce double moyen. C'est ainsi que M. Tricoupis a pu se signaler comme fonctionnaire et comme écrivain. Homme public, il a servi sa

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Nous ne signalerons que quelques itacismes non marqués dans l'errata, tels que: τὴν μιλωτὴν, t. Ι, p. 53, 1. 12; μελιδόν, p. 149, 1. 19; τετριχωμένος, p. 167, 1. 22; σuyxiois, t. III, p. 320, 1. 26. Il serait inutile de citer d'autres fautes d'impression également très-faciles à corriger. Nous croyons, par exemple, si Pouvinov, devenu célèbre par la défaite d'Alexandre Hypsilantis, est réellement la localité nommée. Rymnik Woultchéa sur nos cartes, nous croyons, disons-nous, que cette petite ville n'est point située éπì τñs ȧpiolεpãs ŎXONS TOυ ÕÀTOV (t. I, p. 153), mais sur la rive droite de l'Alt, qui, venant des Carpathes, et formant la limite entre la grande et la petite Valachie, se jette dans le Danube vis-à-vis de Nicopolis. Hâtons-nous d'ajouter que c'est la seule inexactitude dont nous nous soyons aperçu dans les nombreuses et instructives descriptions topographiques qui, dans l'histoire de M. Tricoupis, comme dans celle de Tite-Live, précèdent souvent et rendent intelligibles les relations des siéges et des combats.

patrie dans les circonstances les plus critiques; écrivain, après avoir choisi un sujet important et difficile, il l'a traité avec une impartialité et un talent qui le placent parmi les historiens distingués de tout âge et de tout pays.

HASE.

1° LEXICON ETYMOLOGICUM LINGUARUM ROMANARUM, ITALICÆ, HISPANICE, GALLICE, par Friederich Diez. Bonn, chez A. Marcus, 1853, 1 vol. in-8°.

2° LA LANGUE FRANÇAISE DANS SES RAPPORTS AVEC LE SANSCRIT ET AVEC LES AUtres langues iNDO-EUROPÉENNES, par Louis Delatre. Paris, chez Didot, 1854, t. Ier, in-8°.

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3o GRAMMAIRE DE LA LANGUE D'OIL, ou Grammaire des dialectes français aux XIIe et XIIIe siècles, suivie d'un glossaire contenant tous les mots de l'ancienne langue qui se trouvent dans l'ouvrage, par G. F. Burguy. Berlin, chez F. Schneider et comp. t. Ier, 1853, t. II, 1854 (le troisième et dernier est sous presse). 4° GUILLAUME D'ORANGE, Chansons de geste des XIe et XIIe siècles, publiées pour la première fois et dédiées à S. M. Guillaume III, roi des Pays-Bas, par M. W. J. A. Jonckbloet, professeur à la Faculté de Groningue. La Haye, chez Martinus Nyhoff, 1854, 2 vol. in-8°.

5o ALTFRANZÖSISCHE LIEDER, elc. (Chansons en vieux français, corrigées et expliquées, auxquelles des comparaisons avec les chansons en provençal, en vieil italien et en haut allemand du moyen âge, et un glossaire en vieux français sont joints), par Ed. Mätzner. Berlin, chez Ferd. Dümmler, 1853, 1 vol. in-8°.

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ONZIÈME ARTICLE 1.

Dans le dernier article je m'occupais d'un Hollandais, M. Jonckbloet,

Voyez, pour le premier article, le cahier d'avril 1855, page 205; pour le deuxième, celui de mai, page 293; pour le troisième, celui d'août, page 498; pour le quatrième, celui de septembre, page 566; pour le cinquième, celui de mars

qui vient de publier cinq chansons de geste inédites; aujourd'hui j'ai à parler d'un Allemand, M. Mätzner, qui consacre aussi ses soins et son érudition aux monuments de notre vieille langue. Lui ne s'est pas donné pour tâche de mettre au jour des ouvrages encore manuscrits; il a reproduit un certain nombre de petites pièces de vers, imprimées, la plupart, dans le Romvart d'Adelbert Keller; mais il s'est proposé de corriger, d'épurer, d'expliquer les textes suivant les règles de la critique. Je ne puis mieux faire que de le laisser parler lui-même, en traduisant quelques passages de sa préface.

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«La tentative de traiter critiquement ces poésies ne peut se justifier << que par elle-même. Ceux-là sauront en apprécier la difficulté qui réfléchiront qu'il s'agit d'une langue qui n'est jamais arrivée à une orthographe généralement fixée, une langue où le son et la lettre demeu«<rèrent perpétuellement en lutte, et qui n'a pas davantage établi des principes assurés pour la flexion et la dérivation de ses mots. Outre << la nuance individuelle qui, pour l'orthographe et la flexion, se montre <«< dans chaque manuscrit de vieux français, ces monuments littéraires portent aussi la couleur de la province dans laquelle ils ont été copiés. «Si l'on ajoute l'ignorance et l'inattention de certains copistes, on ne << s'étonnera pas de trouver ici, parfois, dans les matériaux, objet de <«<l'interprétation critique, une confusion singulière, qui se joue d'une « rectification générale et systématique. Déterminer le sens de ces dé«bris poétiques est étroitement lié avec le travail critique qui les cor« rige; cela est évident aussi y a-t-il lieu de s'étonner de la reproduc«<tion, d'ailleurs estimable, de tant de manuscrits inintelligibles dans << bien des endroits et pourtant publiés avec un sang-froid qui semble « les supposer intelligibles sans difficulté pour le lecteur. Il ne manque « pas, non plus, de traductions en français moderne qui attribuent aux << mots tantôt une signification, tantôt une autre, avec un arbitraire «<manifeste, et qui assignent, sans hésiter, une idée à des formes de «< mots dépourvues de tout sens. Je me suis efforcé, avec un soin cons<«< ciencieux, aussi bien de restituer que d'interpréter. Toutefois, l'erreur gît près de la vérité; ceux qui apprennent le savent mieux que ceux qui n'ont plus rien à apprendre; et c'est d'eux aussi que j'espère de l'indulgence pour les cas où je me serai fourvoyé.

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M. Mätzner signale avec toute raison l'incurie qui ne fait aucune

1856, page 151; pour le sixième, celui d'avril, page 224; pour le septième, celui de juillet, page 413; pour le huitième, celui d'août, page 458; pour le neuvième, celui de janvier 1857, page 55; et, pour le dixième, celui de mai, page 312.

distinction entre les passages intelligibles et les passages inintelligibles. Du moins, les premiers éditeurs qui publiaient les textes grecs marquaient d'un astérisque les endroits qui, altérés, attendaient la main du critique. Cette incurie a tenu, sans doute, à la croyance générale où l'on fut d'abord que nulle règle ne présidait à ces vieilles écritures, et que là où l'on n'y entendait rien elles ne valaient pas moins que là où l'on y entendait quelque chose. Aujourd'hui elle ne serait plus excusable; il ne faut pas présenter ce qui ne se comprend pas de la même manière que ce qui se comprend; et l'on peut être sûr que, sauf quelques mots et locutions correctes mais encore obscures ou inexpliquées, les phrases qui n'offrent aucun sens sont corrompues. On est donc, je le répète avec M. Mätzner, autorisé à corriger; et je suis satisfait de l'avoir avec moi pour soutien d'une thèse que plus d'une fois j'ai mise en avant. Souvent les copistes ne comprenaient rien, bien que ce fût en langue vulgaire, à ce qu'ils copiaient, soit qu'ils fussent tout à fait ignorants, soit que le texte qu'ils avaient sous les yeux fût difficilement lisible; et dès lors les fautes, les barbarismes, les non-sens se trouvent accumulés. Que dira-t-on du copiste qui a écrit ceci :

Et s'eles font par mal conseil folage,

Elais keilz gens menasces lor feront?

Évidemment, il n'a pas su lire son exemplaire; ce sont des lettres réunies, non des mots; tout sens en a fui: il faut restituer, et la tâche serait difficile et bien conjecturale, si, en ce cas particulier, on n'avait pas d'autres manuscrits qui fournissent la bonne leçon.

Cette bonne leçon, je la donne avec la strophe à laquelle elle appartient. Du reste, il aurait été dommage que la pièce tout entière ne nous fût pas parvenue dans un meilleur texte; car c'est une belle composition, toute pleine des sentiments chevaleresques. Je la cite, afin que l'on voie ce qu'est notre vieille langue bien écrite et bien maniée. Quenes de Béthune, qui prit part à la célèbre croisade détournée de son but vers Constantinople, en est l'auteur. Il gémit de son départ, qui le sépare de ses amours; mais il suit la voix de Dieu qui l'appelle aux lointains périls, et il excite tous les cœurs vaillants à prendre la croix.

Ahi, amours, com dure departie
Me convendra faire de la meillor
Qui onques fu amée ne servie!

Dieu me ramaint à li par sa douçor,
Si vraiement que m'en part à dolor!

Las, qu'ai je dit? jà ne m'en part je mie;

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