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DES SAVANTS.

ΜΑΙ 1857.

TRAVELS AND RESEARCHES IN CHALDEA AND SUSIANA, with an Account of excavations at Warka..... and Shush..... in 18491852-1853-1854, by William Kennett Loftus. London, 1857,

in-8°.

PREMIER ARTICLE.

Les frontières qui forment la séparation entre deux grands empires, celui de la Turquie et celui de la Perse, étaient restées, depuis plusieurs siècles, dans un état incertain, qui n'avait été fixé par aucun traité d'une manière précise. En 1839 et 1840, des discussions produites par cette vague délimitation amenèrent entre ces puissants États des divisions qui allaient dégénérer en hostilités sérieuses, et compromettre gravement la tranquillité de contrées de l'Orient. La Grande-Bretagne et la Russie, dont les possessions, dans l'Inde et la Géorgie, se trouvaient bien rapprochées de la Perse, ne pouvaient manquer de prendre un vif intérêt à l'ébranlement dont l'Asie était menacée, par suite de la guerre qui aurait éclaté entre les deux empires musulmans. Elles offrirent et firent accepter leur médiation, pour prévenir un conflit regrettable, et déterminer les limites des deux territoires, de manière à empêcher à l'avenir une contestation séricuse. Après des conférences qui eurent lieu dans la ville d'Erzeroum, et qui se prolongèrent l'espace de quatre années, on convint d'envoyer, pour la fixation des frontières, une commission composée de quatre membres. Le commissaire qui devait représenter la Porte Ottomane était Dervisch-Pacha, celui de la Perse était Mirza-Jafer-Khan. Tous deux avaient reçu leur éducation

en Europe : le premier passait pour le plus instruit de ses concitoyens, et réunissait à la connaissance des langues celle de la chimie. Le second ne tarda pas à se faire chérir de tous ses collègues par suite de ses manières obligeantes et de son extrême politesse. Le colonel russe Tchérikoff fut choisi pour représenter l'empereur de Russie, et la cour d'Angleterre désigna, pour son commissaire, le colonel, aujourd'hui major général Williams, le même qui, depuis, défendit la ville de Kars contre les forces de la Russie, et qui fut reconnu comme chef de la mission. Plusieurs personnes furent, à divers titres, attachées à cette savante caravane. On peut citer, entre autres, M. Ainsworth, qui partagea les travaux comme chirurgien et comme géologue, et qui a publié le résultat de ses recherches personnelles. Les travaux de la commission se prolongèrent de 1849 à 1852. Les nombreuses observations recueillies dans le cours d'une si longue exploration, par une compagnie d'hommes éclairés et éminents, fournis de tous les moyens qui pouvaient assurer la certitude de leurs investigations, ne pouvaient manquer d'offrir une haute importance, sous les rapports de la science comme sous les rapports de la politique. Il avait été arrêté que l'ensemble du travail des commissaires serait publié simultanément, avec l'étendue et le luxe qu'il réclamait, dans la ville de Londres et dans celle de Constantinople. J'apprends, par la préface de M. Loftus, que ce projet est aujourd'hui abandonné; ce qui doit inspirer de vifs regrets à tous ceux qui prennent un intérêt bien mérité à tout ce qui concerne l'histoire et la géographie des contrées de l'Orient. Et, à cette occasion, qu'il me soit permis d'exprimer également mon regret de ce que le récit d'une exploration éminemment importante, celle du colonel, aujourd'hui major général Chesney, qui a descendu et remonté l'Euphrate, le Tigre et les principales rivières de la Perse, soit resté jusqu'à présent inédit. C'est cette exploration dont j'ai annoncé jadis la savante introduction, mais dont les résultats ne sont connus du public instruit que par quelques extraits et par les belles cartes publiées avec l'introduction. Au mois de janvier 1849, M. Loftus fut attaché par lord Palmerston, comme géologue, à la mission qui était sous les ordres du colonel Williams. Après avoir quitté Constantinople, traversé la mer Noire et le mont Taurus, il rejoignit la commission anglaise à Mosul, le 5 avril, et on arriva le 5 mai à Bagdad, qui avait été fixé comme le lieu de rendez-vous des commissaires. Par suite de retard du commissaire turc et de quelques difficultés imprévues, on renonça à commencer immédiatement les opérations et l'on résolut d'attendre jusqu'à la fin de l'été avant de se diriger vers la frontière. Et ce retard n'avait rien

de regrettable. En effet, dit M. Loftus, il eût été complétement impossible, à cette saison de l'année, de supporter la chaleur intolérable qui se fait sentir à l'extrémité supérieure du golfe Persique. Vers la fin de l'été, le colonel Williams, fatigué du long séjour qu'il avait fait à Bagdad, entreprit une excursion vers les ruines de Babylone, et vers les deux villes où les Persans font transporter leurs morts. Il fut joint, en route, par le commissaire russe et le commissaire turc.

M. Loftus, en traversant le désert qui, dans un espace d'environ cinquante milles, s'étend depuis Bagdad jusqu'aux ruines de Babylone, en remarquant partout les traces qui attestent l'existence antique d'une fertilité prodigieuse, les vestiges des nombreux canaux qui portaient dans toutes les directions une irrigation salutaire et l'abondance de tous les objets nécessaires à la vie, ne manque pas de faire observer, ainsi que je l'ai fait moi-même dans un autre ouvrage, qu'un changement si déplorable, qui constate, d'ailleurs, d'une manière si éclatante, la vérité des prophéties, doit être uniquement attribué à la faute de l'homme; que lui seul a eu le triste privilége de neutraliser, comme à plaisir, les dons que la Providence lui avait concédés avec une sorte de prodigalité.

Arrivé sur le terrain où exista jadis la ville de Babylone, M. Loftus se contente de donner quelques détails sommaires sur les immenses massifs de briques dont se composent les ruines de cette antique cité, attendu que ces informes débris ont attiré l'attention d'une foule de voyageurs, et ont été décrits par eux avec une exactitude minutieuse. I atteste que des fouilles tentées récemment n'avaient conduit à aucun résultat satisfaisant. Il nous apprend que, dans les années 1854 et 1855, une exploration complète du sol de Babylone et de ses environs a été exécutée, sous les auspices de sir Rawlinson, par le capitaine Jones, assisté du docteur Hyslop et de M. Lynch. Ce travail, que le nom de ses auteurs recommande suffisamment à l'attention du public instruit, n'a pas, je crois, encore vu le jour. M. Loftus ne partage pas l'opinion de quelques écrivains et voyageurs modernes, qui, pour concilier avec l'état des lieux les récits d'Hérodote et de Diodore de Sicile, ont supposé que le principal bras de l'Euphrate avait, dans ces temps reculés, coulé entre les grands massifs de briques qui s'élèvent sur le sol de Babylone. Il croit, et je suis parfaitement de son avis, que le fleuve n'a pas changé son cours. Il admet que la partie de la ville qui se trouvait sur la rive droite de l'Euphrate, ayant été plus accessible aux chercheurs de briques, les édifices bâtis dans cette portion de la capitale des Chaldéens ont pu disparaître presque totalement. Cette explication est in

génieuse dans mon mémoire sur Babylone, j'ai donné de cette difficulté une solution différente. J'ai pensé et je pense encore que, dans le plan primitif adopté par Nabuchodonosor, la ville de Babylone devait former un carré, partagé d'une manière inégale par le cours du fleuve; que ce plan fut réalisé seulement en partie, et qu'il n'avait existé sur la rive droite de l'Euphrate qu'un palais et un petit nombre d'édifices particuliers.

M. Loftus, quittant les ruines de Babylone, a exploré avec soin la partie occidentale de la Chaldée, cette vaste portion de terrain qui a été si légèrement visitée par un petit nombre de voyageurs, tels que Texeira, Niebuhr, Raimond, etc. et qui mérite, à coup sûr, un examen plus approfondi, attendu qu'il s'y rattache des souvenirs importants, qui concernent les Chaldéens, les Perses, et, plus tard, les Arabes, avant et après l'islamisme. Je ne ferai point d'observations critiques ou autres sur le récit du savant voyageur, attendu que j'ai depuis longtemps recueilli, sur cette contrée si peu connue, bien des détails historiques et géographiques, qui trouveront naturellement leur place dans un autre article.

M. Loftus commence son exploration par cette ruine imposante appelée Birs - Nemrod, composée d'une agglomération immense de briques, et qui, dans sa partie supérieure, présente les restes d'un édifice dont les matériaux, de même nature, ont été, par l'effet d'une cause inconnue mais puissante, transformés en une masse vitrifiée. D'après les fouilles opérées sous la direction de sir Henry Rawlinson, en 1854, on s'est convaincu que cette énorme ruine était formée originairement de six étages, dont chacun avait environ 20 pieds de haut, et qui formaient une pyramide oblique. La masse vitrifiée repose sur la sixième plate-forme. Dans les angles des étages étaient encastrés des cylindres qui offrent, dit-on, le nom de Nabuchodonosor, et indiquent, pour la construction, ou plutôt la restauration de cet édifice, l'année 504 avant notre ère. Ce fait semble établi par la traduction que M. Rawlinson a faite des inscriptions gravées sur les cylindres et qui est transcrite par M. Loftus.

Mais je me permettrai d'exprimer ici un doute. A coup sûr, personne n'estime plus sincèrement que moi les travaux de sir Rawlinson; personne ne rend une plus complète justice à ses vastes connaissances, à son étonnante sagacité; mais, je dois le dire, tout ce qui a été écrit jusqu'à présent sur la seconde et la troisième classe des inscriptions cuneiformes est loin d'avoir porté la conviction dans mon esprit. Pour commencer par la seconde espèce, à moins que l'on ne me pré

sente une démonstration qui soit à l'abri de toute objection, je ne me persuaderai jamais que les monarques de la Perse aient fait graver sur les murs de leur capitale des inscriptions conçues dans le langage que parle aujourd'hui une nation sauvage de la Sibérie. Quant à ce qui concerne la troisième classe de caractères, qui nous offre, sans contredit, l'écriture et la langue dont se servaient les Babyloniens, une réflexion se présente naturellement à l'esprit : des inscriptions, gravées sur des monuments et placées sous les yeux du public, devaient être tracées dans un langage compris par la masse de la population, et non pas dans un idiome qui n'aurait été entendu que d'un petit nombre de savants. Or, nous savons quelle langue parlaient, sous le règne de Nabuchodonosor, les habitants de la Babylonie, puisque nous trouvons, dans le livre de Daniel, outre des chapitres écrits par le prophète luimême, des rescrits émanés de la chancellerie du monarque babylonien et destinés à être mis sous les yeux de ses sujets. Si les inscriptions dont on prétend nous donner l'interprétation datent réellement du règne de ce prince, on doit, ce me semble, y retrouver le langage qui était parlé à la cour et dans les États de ce puissant monarque. Jusqu'à ce que l'on me présente, dans la transcription de ces monuments, un style analogue à celui de Daniel, on me permettra de conserver des doutes que je crois assez bien fondés. Je sais que l'on a trouvé un moyen bien simple pour répondre à cette objection: on a supposé que le livre qui porte le nom de Daniel n'appartenait point au personnage auquel il a été attribué, ni au siècle où on a placé sa composition, et que cet ouvrage ne remontait pas plus haut que le règne d'Antiochus Epiphane. Ce n'est pas le lieu d'entrer dans une pareille discussion; je pourrai l'entreprendre ailleurs. Mais, en attendant, je puis protester qu'ayant pris connaissance des arguments employés par divers savants pour affaiblir l'autorité du livre de Daniel, ces arguments ne m'ont jamais paru appuyés sur un fondement solide, et que je ne vois aucune raison sérieuse pour méconnaître l'authenticité du recueil attribué à ce prophète.

M. Loftus, à l'exemple de plusieurs voyageurs, visita, au midi du Birs-Nemrod, l'édifice appelé Kefil, qui jouit parmi les juifs d'une grande vénération, et qui, chez eux, comme chez les musulmans, passe pour renfermer le corps du prophète Ézéchiel. Ce monument, sous le rapport de l'art comme sous d'autres rapports, n'offre rien de bien remarquable. Quant à la tradition qui s'y rattache, elle n'a pas, je crois, un grand caractère d'authenticité. Qu'un personnage nommé Ézéchiel, ayant joué parmi les juifs de la Babylonie un rôle de quelque impor

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