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On comprend qu'il nous est impossible de suivre M. Tricoupis dans les détails pleins d'intérêt qu'il donne sur les nombreux combats livrés entre les Turcs et les Hellènes, sur les victoires navales de ces derniers, sur les progrès de l'insurrection en Acarnanie et jusqu'en Épire. Nous passerons également sous silence les faits peu connus qui précédèrent et suivirent la fin tragique du patriarche de Constantinople Germanos, mis à mort, au mois d'avril 1821, avec une foule de prélats et de notables grecs; et nous ne pouvons qu'indiquer le chapitre xvi (p. 285296), où l'on trouve la relation circonstanciée des cruautés et des violences commises par les Turcs, faisant peser une sorte de réaction aussi passionnée qu'impolitique sur les populations chrétiennes de Smyrne, en Chypre et dans l'île de Cos. Mais nous nous arrêterons quelques moments à l'un des épisodes les plus dramatiques de cette guerre si féconde en incidents mémorables et imprévus : c'est au chapitre XVIII (p. 320-343), où l'auteur rend compte, avec beaucoup d'impartialité, de la résistance courageuse d'une poignée de Musulmans qui, habitant un bourg ouvert, surent défendre leurs foyers pendant plus de trois mois contre l'insurrection de tout le Péloponnèse.

Entre les profondes vallées de l'Alphée et de l'Érymanthe, à quelques lieues nord-est d'Olympie, s'élève un vaste plateau presque dépourvu d'arbres, mais riche en pâturages et renommé par la salubrité de son air. C'est le mont Pholoé, où la mythologique antiquité plaçait la demeure des Centaures, où plus tard les habitants de l'Élide nourrissaient un grand nombre de coursiers rapides 2, et où se retira, l'an 396 de notre ère, une armée de Goths vaincue par Stilichon3. Ce fut sur ce même plateau que, dans un village appelé Lala, s'était établie, au siècle dernier, une colonie d'Albanais mahométans. «Ils étaient peu << nombreux et pauvres dans l'origine, et leurs demeures étaient ché«<tives". Courageux et accoutumés dès l'enfance au métier des armes, <«<ils vécurent pendant quelque temps du produit de leurs brigandages « ou d'une solde qu'ils recevaient des autorités ottomanes. Mais de pa<<< reils mercenaires, d'abord bien disposés pour celui qui les paye, s'ils

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Stace, Theb. X, 228.

* Εἰς Φολόην συμφυγεῖν τοὺς βαρβάρους ἠνάγκασε. Zosime, Hist. V, vi.— ὀλίγοι καὶ πιωχοὶ ἦσαν οἱ πρῶτοι κάτοικοι Αλβανοὶ τοῦ Λάλα, καὶ πενιχραὶ αἱ κατοικίαι των. Ρ. 321.

<< se sentent forts et leur supérieur faible, ne tardent pas à se rendre « familiers avec lui; puis ils deviennent ses égaux, et enfin ses maîtres. « Aussi les Laliotes, jadis mésestimés et sans asile, eux dont la fortune « s'améliorait de jour en jour, à cause de leur bravoure et de la vie vo«<luptueuse et relâchée des chefs turcs, s'élevèrent-ils au point de con« tracter des alliances avec la famille même du sultan, et de s'approprier «les riches domaines que celle-ci possédait en Moréel.» «Ils s'étaient « construit dans leur bourg des habitations somptueuses et fortes, en«< tourées de vastes enceintes, de sorte que les maisons de Lala, au « nombre d'environ huit cents, occupaient un terrain considérable planté d'arbres fruitiers 2. »

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Bien armés, bien montés, téméraires comme les Centaures du Pholoé, cruels et redoutés comme eux3, les Albanais de Lala, dès le commencement de l'insurrection, se répandirent dans les campagnes de l'Élide, commirent partout d'horribles dégâts, et furent souvent vainqueurs dans leurs rencontres avec les Grecs, qui manquaient absolument de cavalerie. Ceux-ci ne prirent le dessus qu'après l'arrivée de renforts nombreux venus des îles ioniennes, d'où « les Zantiotes accou« rurent les premiers à la voix de la religion et de la patrie4; » commandés par le comte Métaxas, ces nouveaux auxiliaires amenèrent même quelques pièces d'artillerie de campagne. Alors les Laliotes se décidèrent à parlementer. M. Tricoupis (et nous l'en félicitons) n'a point cédé à la passion si générale et si séduisante dans les historiens anciens, à la passion de remplir son ouvrage de harangues qui n'ont jamais été prononcées; il remplace ces discours, fruits d'une imagination quelquefois trop féconde, par un grand nombre de documents authentiques, tels que proclamations, lettres, instructions, pièces officielles de toute espèce, que, dans sa position élevée, lui seul pouvait se procurer, et qui

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· Οἱ δὲ ἐν αὐτῇ τῇ ἐπαρχίᾳ κατοικήσαντες... ἀνδρεῖοι καὶ ἐμπειροπόλεμοι Λαλιῶται ἔξων κατ ̓ ἀρχὰς ἢ ὡς λησίαὶ ἡ ὡς ὑπομίσθιοι τῶν Οθωμανῶν. Ἀλλ ̓ ὁ ἰσχυρὸς ὑπομίσθιος δὲν ἀργεῖ νὰ γενῇ πρῶτον εὔνους, μετ ̓ ὀλίγον φίλος, έπειτα ἰσότιμος, καὶ τελευταῖον ἀνώτερος τοῦ ἀνισχύρου μισθοδότου του. Διὰ τοῦτο οἱ ποταποὶ καὶ ἀνέστιοι Αλβανοὶ τοῦ Λάλα, τῶν ὁποίων ἡ τύχη ἡμέρᾳ τῇ ἡμέρᾳ ἐβελτιοῦτο, ἐξ αἰτίας τῆς ἀνδρείας αὐτῶν καὶ τῆς ἡδυπαθείας καὶ τῆς ἐκθηλύνσεως τῶν ἄλλων, κατήντησαν νὰ συμπενθερεύσωσι καὶ μετ ̓ αὐτῆς τῆς Σουλτανικῆς γενεῖς τῶν Οθωμανῶν, καὶ νὰ οἰκειοποιηθῶσι καὶ τὰ πλούσια κτήματά της. Ρ. 321. — ' Ανήγειραν λαμπρὰς καὶ δυνατὰς οἰκοδομὰς ἐντὸς τῆς κωμοπόλεως των, ἐν μέσῳ ἐκτεταμένων περιοχῶν· ὥστε αἱ ὀκτακόσιαι περίπου οἰκίαι τοῦ Λάλα περιέκλειαν πολλὴν γῆν, καὶ τὴν γῆν ταύτην ἐσκέπαζαν καρποφόρα δένδρα. Ibid. — Οἱ φόβον καὶ τρόμου παντοῦ καὶ πάντοτε ἐνσπείροντες Λαλιῶται. Ρ. 33ο. — * Οἱ Ζακύνθιοι έτρεξαν πρῶτοι τῶν λοιπῶν ̓Επλανησίων εἰς τὴν φωνὴν τῆς πίστεως καὶ τῆς πατρίδος. Ρ. 327.

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seront lues avec intérêt par les personnes désireuses d'arriver à une connaissance exacte des faits. C'est ainsi que l'auteur nous a conservé, au chapitre XVIII, la correspondance fort singulière qui s'établit entre les chefs des Hellènes et les Albanais de Lała. Ces derniers, quoique zélés mahométans, ne parlaient qu'une espèce de grec altéré; quelquesuns même, à ce qu'il paraît, essayaient de l'écrire; et nous croyons bien faire en mettant sous les yeux de nos lecteurs un de ces curieux documents linguistiques, dont le langage, naïvement barbare, forme un contraste piquant avec la diction correcte de M. Tricoupis. Ces mêmes lignes pourront aussi donner une idée du romaïque, mêlé de mots turcs, arabes et persans, tels que le parlent les Musulmans illettrés habitant l'Épire, la Thessalie, les îles de Candie et de Chypre, et qui ont également, depuis des siècles, oublié la langue de leurs ancêtres.

Pour faciliter l'intelligence de la pièce qu'on va lire, nous devons dire d'abord que cette lettre, souple et insidieuse malgré son apparente simplicité, est adressée aux chefs des Ioniens (Tv Elavnolwv) accourus au secours des insurgés du Péloponnèse, desquels les Laliotes cherchaient habilement à les détacher. Nous ajouterons que ces derniers, grâce à leur supériorité en cavalerie, étaient encore maîtres, alors, des plaines qui s'étendent du mont Pholoé jusqu'à la mer; voilà pourquoi, en invitant les capitaines ioniens à une entrevue, ils leur promettent, s'ils veulent se séparer des Moréotes, de les escorter et de les reconduire jusqu'au cap Ichthys (To Kaтánwλov), non loin de l'embouchure de l'Alphée, ou jusqu'à Cyllène (» Tλapévroa), l'ancien port des Éléens, mentionné déjà par Thucydide1. Comme au temps de Strabon, ce sont encore aujourd'hui des localités où s'embarquent les habitants du littoral nord-ouest du Péloponnèse, quand ils veulent se rendre aux Sept-Iles. Voici la lettre des Laliotes, écrite le 5 juin 1821:

A nos amis les capitaines de Céphalonie et de Zante. Comme nous vous l'avons « écrit hier par votre parlementaire Panagiotis, nous vous envoyons aujourd'hui « notre kiahya-bey, homme qui jouit de toute notre confiance; il vous dira de vive « voix ce que nous n'avons pas le temps d'écrire plus au long. Il est vrai, comme « vous le dites, que nous avons été amis et bons voisins; mais c'est précisément pour « cela que nous n'aurions jamais cru que, ajoutant foi aux mensonges des Moréotes.... « vous viendriez nous inquiéter jusque dans nos demeures. Au reste, ce qui est fait « est fait. Ce que vous nous dites, ce sont de vaines paroles que nous ne pensons pas

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« que vous croyiez vous-mêmes. C'est pourquoi nous vous proposons de venir à Lala, où nous vous recevrons comme de vrais amis, et nous vous accompagnerons jusqu'à Catacolon ou jusqu'à Glarentsa, afin que vous vous retiriez dans vos demeures, et

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<que nous restions toujours en parfaite intelligence. Autrement, si vous n'écoutez • pas nos conseils affectueux, que le malheur retombe sur votre tête'!,

Il semble résulter de cette correspondance que ni l'un ni l'autre parti n'étaient de bonne foi; aussi les négociations, à peine entamées, furent-elles bientôt rompues. Le comte Métaxas fit dire aux assiégés : Αὔριον ἔχομεν πόλεμον (p. 334), et les hostilités continuerent jusqu'a la nuit du 29 juin, où les Laliotes, réduits aux abois, abandonnèrent leur bourg, y mirent le feu, et parvinrent à s'ouvrir un passage à travers une multitude exaspérée par des siècles d'injures, demandant une patrie, des autels et des lois, mais qui, bonne pour un coup de main, ne pouvait jamais demeurer réunie pendant longtemps sous le même drapeau.

Le chapitre xxx (p. 344-354) termine le premier volume. L'auteur y raconte de quelle manière s'organisa, vers la fin du mois de mai 1821, une espèce de gouvernement central prenant le titre de sénat du Péloponnèse (Πελοποννησιακὴ γερουσία), et s'efforçant de donner à l'insurrection une forme régulière. Malheureusement, cette junte, présidée par le chef des Maïnotes, Mavromichalis, se trouva bientôt en désaccord avec le prince Démétrius Hypsilantis, qui, ayant reçu des pleins pouvoirs de son frère Alexandre, arriva à Hydra le 7 juin, le jour même où la défaite de Dragaschani fit évanouir les espérances des hétéristes dans les principautés danubiennes. Une lutte s'engagea aussitôt entre lui et l'assemblée délibérante; mais nous ne pouvons qu'indiquer ici les révélations curieuses qu'on trouve dans le même chapitre, concernant l'origine et les progrès d'une dissension qui prépara bien des maux à la patrie commune, et qui, sans le dévouement et l'énergie de quelques chefs influents, aurait pu dégénérer en une guerre civile dont il était difficile de calculer les conséquences.

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Πρὸς τοὺς φίλους μας καπεταναίους Κεφαλονίτας καὶ Ζακυνθίους. Καθὼς χθὲς σᾶς ἐγράψαμεν μὲ τὸν ἐδικόν σας Παναγιώτην, ἰδοὺ ἐξαποστέλλομεν τὸν ἐδικόν μας Μπέϊκον κεχαγιᾶν, ἄνθρωπον ὅστις χαίρει ὅλην τὴν ἐμπιστοσύνην μας, διὰ νὰ σᾶς ὁμιλήσῃ ὅσα δὲν ἔχομεν τὸν καιρὸν νὰ γράψωμεν πλατύτερα. Εἶναι ἀλήθεια, καθὼς λέγετε, ὅτι ἐσλαθήκαμεν φίλοι καὶ καλοὶ γείτονες· ἀλλ ̓ ἴσια ἴσια διὰ τοῦτο δὲν ἐλπί ζαμεν ποτὲ ὅτι πιστεύοντες τὰ ψεύματα τῶν Μωραϊτῶν... νὰ ἔλθετε νὰ μᾶς φορτωθῆτε μέσα εἰς τὰ σπήτιά μας. Ότι έγεινεν ἔγεινεν. ὅσα μᾶς λέγετε εἶναι χάλτια, τὰ ὁποῖα δὲν στοχαζόμεθα πῶς καὶ ἐσεῖς πιστεύετε. Διὰ τοῦτο λοιπὸν σᾶς λέγομεν νὰ ἔλθετε εἰς τοῦ Λάλα, όπου θέλει σᾶς δεχθοῦμεν ὡς καλοὺς φίλους, καὶ θέλει σᾶς συνοδεύσομεν ἕως τὸ Κατάκωλον ἢ τὴν Γλαρέντσαν, διὰ νὰ πᾶτε στὰ σπήτιά σας καὶ νὰ μένωμεν πάντα φίλοι. Αλλέως, καὶ δὲν ἀκούσετε αὐταῖς ταῖς φιλικαῖς συμβουλαῖς μας, τὸ κρίμα ἂς ἶναι στὸν λαιμόν σας. Λάλα, 5 Ιουνίου 1821. Page 332. Au lieu d'employer le mot λαιμός, qui ne se trouve ni dans Xenophon ni dans Platon, un auteur attique aurait peut-être écrit Ταῦθ' ὑμῖν τρέψειαν εἰς κεφαλὴν οἱ θεοί.

Dans un prochain et dernier article, nous aurons à rendre compte. du second et du troisième volume de M. Tricoupis. Il y fait connaître en détail par combien d'épreuves, depuis l'année 1821 jusqu'en 1826, la Grèce devait passer encore avant de conquérir une glorieuse indépendance et de remonter au rang des nations.

(La fin à un prochain cahier.)

HASE.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

L'Académie française a tenu, le jeudi 26 mars, une séance publique, dans laquelle M. le comte de Falloux a été reçu, en remplacement de M. le comte Molé. M. Briffaut, directeur, a répondu au récipiendaire.

M. Émile Augier a été élu membre de l'Académie française, le mardi 31 mars, en remplacement de M. le comte de Salvandy, décédé.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

Dans la séance du 16 mars 1857, M. Delafosse a été élu membre de l'Académie des sciences (section de minéralogie et de géologie), en remplacement de M. Élie de Beaumont, nommé secrétaire perpétuel.

M. Dufrénoy, membre de l'Académie des sciences (même section), est mort à Paris, le 20 mars 1857.

L'Académie des sciences a tenu, le lundi 2 février, sa séance publique annuelle, sous la présidence de M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire.

Au début de la séance, la proclamation des prix décernés et l'annonce des prix proposés ont eu lieu dans l'ordre suivant :

PRIX DÉCERNÉS.

SCIENCES MATHÉMATIQUES. - Grand prix de mathématiques.

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mis au concours, et prorogé jusqu'en 1856, la question suivante : «Trouver, pour un exposant entier quelconque n, les solutions en nombre

« entiers et inégaux de l'équation "+y" 2", ou prouver qu'elle n'en a pas, quand

n est > 2. »

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