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«< contraire, ils cognoissent que Dieu les a esleus pour estre plus haute<<ment glorifié en eux. Quand vous marcherez en telle simplicité, invo« quant Dieu à ce qu'il vous regarde en pitié, il est certain que vous « sentirez plus d'allégement qu'en cuidant eschapper par subterfuges. « Nous n'entendons pas vous faire exposer à vostre escient ou sans dis«crétion à la gueule des loups; seulement gardez de vous soustraire du << troupeau de Nostre Seigneur pour fuir la croix et craignez la dissipation « de l'Eglise plus que toutes les morts du monde1. »

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Calvin écrivit en même temps aux fidèles de Paris, qui étaient encore plus exposés que les autres : « Il n'est jà besoing de protester que si vous « estes en perplexité et angoisse pour les dangers qui vous sont prochains, << nous en sentons aussi nostre part, car nous pensons bien que vous avez « ceste estime de nous que nous ne sommes pas si cruels de mettre en oubli « ceux avec lesquels nous sommes conjoints d'un lien fraternel par la « foy, et qui mesmes bataillent pour la querelle de nostre salut, mais <«<le mal nous presse tant plus, d'aultant que nous sommes destituez de << tous moyens de vous pouvoir alléger, et ne nous reste aultre chose "sinon de gémir par compassion. Croyez que nous avons essayé tous <<< moyens humains qu'il nous a esté possible, pour veoir si nous pourrions appaiser la rage des ennemis, ou du tout ou en partie, et « encores n'y espargnerions-nous rien aujourd'huy, s'il y avoit espoir de profiter. Mais celuy qu'on supplioit (Henri II) a si fièrement rejetté «la requeste des princes par plusieurs fois réitérée, qu'il semble que << Dieu nous veuille apprendre de nous arrester du tout à luy, tant pour « le prier qu'il nous garantisse que pour nous desdier à son obéissance « à vivre et à mourir. De nostre costé nous ne sçavons pas si nous

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« sommes loing des coups; tant il y a que nous sommes menacés par

« dessus tout le reste2. >>

Le danger était en effet très-grand du côté de Genève. Le pape Paul IV prêchait en ce moment une croisade contre cette ville, qui était le siége de l'hérésie. « C'est dans son nid, disait-il, qu'il faut « étouffer la couleuvre3. » Henri II et Philippe II, réconciliés par un traité et unis par des mariages, avaient un intérêt égal à fermer l'asile où se réfugiaient leurs sujets expatriés pour cause de religion. Ces deux princes, aux efforts combinés desquels rien n'était alors capable de résister, semblaient devoir s'entendre d'autant plus aisément pour

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P.

282,283.

Lettres de Calvin, etc., t. II, p. 274 à 281. Ibid. 3 Lettre de Paul IV à la cour de Savoie; archives de Turin; citée par M. Vulliemin dans 'Histoire de la Confédération suisse au xv1′ et XVII′ siècle, etc., t. II, p. 21; in-8°, Paris et Lausanne, 1841.

faire triompher cet intérêt qui leur était commun, que la ville de Genève pouvait être remise entre les mains fort catholiques du duc de Savoie, proche parent de Philippe II, dont il avait naguère commandé glorieusement les armées, beau-frère d'Henri II, dont il épousait la sœur Marguerite de France, et qui lui avait restitué ses Etats par le traité de Cateau-Cambrésis. L'ambitieux Philibert-Emmanuel avait des prétentions héréditaires sur Genève. Son père Charles III en avait été dépossédé, et lui espérait y rentrer les armes à la main avec l'appui des deux rois. Henri II fit à Philippe II la proposition directe de s'emparer de la métropole protestante. Ardent adversaire de l'hérésie, ce dernier monarque, qui la voyait se propager dans les PaysBas, et se montrer même au delà des Pyrénées, où l'on avait découvert sur plusieurs points de mystérieuses et redoutables affiliations protestantes, voulait travailler à son entière extirpation. A l'emploi très-prochain des auto-da-fé en Espagne, il désirait ajouter, s'il en était besoin, l'emploi des armes en France. Le principal de ses ambassadeurs auprès d'Henri II pour l'exécution de la paix et l'accomplissement des mariages, le duc d'Albe, confident des desseins de son maître, offrit au roi de France de mettre les forces espagnoles à sa disposition pour rétablir l'unité catholique dans ses États. Henri II s'en ouvrit avec le prince d'Orange, qui était l'un des envoyés du roi d'Espagne et devait rester quelque temps à Paris comme otage de la paix; il lui dit «qu'il <«< traitait avec le duc d'Albe des moyens d'exterminer tous les suspects <«< de religion en France, dans les Pays-Bas, et par toute la chrétienté1. »> En effet, le 24 juin, cinq jours avant que Calvin adressât sa prévoyante lettre aux fidèles de Paris, Henri II envoya le connétable Anne de Montmorency auprès du duc d'Albe, pour conclure cette négociation religieuse, que je peux faire connaître par la dépêche même de l'ambassadeur de Philippe II. Le connétable exprima, de la part d'Henri II, au duc d'Albe toute la reconnaissance que lui inspirait l'offre du roi d'Espagne, dont il sentait d'autant plus le prix, qu'il apercevait mieux chaque jour toute l'étendue du mal déjà fait dans son royaume. Le connétable dit au duc qu'il l'avertirait lorsque son maître aurait besoin de l'assistance armée du sien, puis il ajouta : «< Genève est la sentine de toute cette corruption; c'est là

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Le prince d'Orange, qui raconte cette confidence dans son Apologie, ajoute avec véhémence: « Je confesse que je fus tellement esmeu de pitié et de compassion, que dès lors j'entrepris à bon escient de faire chasser cette vermine d'Espaignols hors de ce pays. » Histoire de la révolution des Pays-Bas sous Philippe II, par Théodore Juste, vol. I, p. 141-142. De Thou raconte aussi cet entretien dans le liv. XXII de son histoire.

«< que se réfugient les condamnés de France et d'Espagne; c'est de là qu'on « porte le désordre dans les deux royaumes. Il faut que les deux rois << s'entendent pour détruire cette Genève, laquelle une fois détruite, « il ne restera plus d'asile à leurs sujets respectifs, qui ne pourront fuir << nulle part, sans être rendus aussitôt qu'ils seront réclamés1. » Il ajouta que le roi de France ordonnerait pour cela que tout ce qu'il avait de forces fût mis à la disposition du roi d'Espagne. Le duc d'Albe écouta cette proposition, mais n'y adhéra point. Un excès de prudence le retint. Il eut peur, non d'une attaque contre Genève, mais d'une rupture avec les cantons suisses, que Philippe II avait intérêt à ménager, pour la tranquille possession de la Franche-Comté et le libre passage du Milanais dans les Pays-Bas, à travers les Alpes. Il répondit donc au connétable que le roi, son maître, était prêt à rendre au roi de France, dès qu'il le voudrait, l'office qu'il avait eu l'ordre de lui offrir et, selon son expression, lui prêterait diligemment ses épaules pour qu'il pût passer plus avant. «Quant à ce qui concerne Genève, écrivit-il à Philippe II, je ne suivis pas le connétable dans le chemin qu'il prenait, << parce qu'il ne me parut pas convenir au service de Votre Majesté, de << leur donner le moyen de dire, en aucun temps, que Votre Majesté <«< avait voulu faire une entreprise contre les Suisses. Je me bornai donc « à lui répondre qu'il avait bien raison touchant Genève; qu'il serait « grandement du service de Dieu, de celui de Votre Majesté et du roi << son maître, de chercher à empêcher que vos sujets et les siens y trou<< vassent un refuge, et qu'il serait bien d'examiner, puisqu'on s'en occu« pait à ce point, quelle voie on pourrait prendre pour arriver à ce qu'ils «n'y fussent pas reçus 2. »

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rey

Despues el condestable me vino à hablar me dixo y que el le havia mandado que me dixesse, que yo le havia offrescido de parte de V Ma toda la assis«<tencia que quisiesse para la reformacion y castigo de lo di la religion en su « reyno en el qual el veia cada dia mas el daño que havia, que estimava en tanto lo que de parte de Va Mad se le havia dicho, que no queria dexar de dar las gracias dello muchas vezes, y que el me advertiria quando fuesse menester hazer algun officio « de parte de V Ma en esto, para que yo le hiziesse como tenia la orden de Va Mad, «que Geneva era la sentina de toda esta maldad y donde se acogian los vassallos de Va Mad y los suyos que eran dañados, y que de alli embiavan a hazer daño en los « reynos de entrambos, que seria bien que entre V Mad y el se tomasse termino de «quitar esta Geneva de por medio, que quitado esto en ninguna parte se podrian huir, donde pidiendolos entrambos osassen dexar de darselos, y que el rey le « havia mandado me offreciesse todo quanto el tiene y todas sus fuerças para qualquier cosa V Mad las quisiesse emplear... - Dépêche du duc d'Albe à Philippe II, écrite le 26 juin 1559. Papiers de Simancas sér. B. Leg. n° 62-140. -Yo le respondi a lo del officio por parte de V M que yo havia dicho ya al

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On peut dire que les progrès du protestantisme sur le continent et

dans la Grande-Bretagne furent indirectement l'œuvre de Philippe II, dont la politique se trouva en désaccord avec la croyance.

Ainsi, par ménagement pour la Suisse, il laissa Genève subsister dans son indépendance et poursuivre son prosélytisme. Le parti huguenot, qui avait ses racines dans cette ville où Philippe II n'osait pas tenter de le détruire, s'agrandit de plus en plus en France. Il y devint bientôt capable de faire la guerre, de la soutenir près de quarante ans, et de conquérir la liberté religieuse. Les doctrines calvinistes gagnèrent aussi les Pays-Bas où elles s'étendirent. Avant peu, sept des provinces que le monarque espagnol tenait en héritage de la maison de Bourgogne, se détachèrent de sa domination pour former une république protestante.

Vers la même époque, une rivalité jalouse de Philippe II eut, dans la Grande-Bretagne, des effets analogues à ceux que produisit, au centre du continent, sa prudence excessive. Ce prince craignit que l'Écosse et l'Angleterre n'appartinssent à Marie Stuart, alors dauphine et bientôt reine de France, qui possédait l'une et revendiquait l'autre. Afin d'empêcher l'union de tant de couronnes sur la tête d'un roi que sa position et sa puissance rendaient, malgré les traités et les mariages, l'antagoniste naturel et redoutable de l'Espagne, Philippe II soutint les droits de l'hérétique Élisabeth contre les prétentions de l'orthodoxe Marie Stuart. En se déclarant ainsi, au moment le plus décisif de l'histoire religieuse de l'Angleterre et de l'Écosse, il contribua à l'affermissement de la réforme dans le premier de ces pays et à ses succès dans le second. Il fut le fauteur incontestable, bien qu'involontaire, du protestantisme anglican et du presbytérianisme écossais, qui prévalurent et se constituèrent alors. Les intérêts territoriaux contredirent chez lui les desseins religieux, et la politique du prince paralysa la foi du catholique.

En éludant, au nom de Philippe II, contre Genève, une agression

rey su amo lo que tenia en comission de V Mad para dezirle, y que siempre que «quisiesse que se hiziesse estava presto para hazerlo, alabandole el cuydado y diligencia que en esto ponia y poniendole las espuelas que pude para que passasse adelante. En lo de Geneva no quise acudirle al camino que el mostrava, porque no ⚫ me parecio convenir al servicio de V Mad dalles prenda con que ellos podiessen dezir en ningun tiempo que V Med quisiesse hazer empresa contra Esguiçaros, «sino dixele que tenia muy gran razon en lo de Geneva y que tenia que seria de gran servicio de Dios, de V M, y del rey su amo buscar forma como alli no receptassen los vassallos de V Mad y los suyos, y que pues el tenia tanta platica de aquello, seria bien mirase que camino se podria tomar con ellos para remediar que alli no fuessen receptados.» Dépêche du duc d'Albe à Philippe II, ctc.

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qui aurait été suivie de la ruine de cette ville, le duc d'Albe changea le cours des événements en Europe, comme fut changée, en France, la situation du parti protestant, par le coup de lance qui, quinze jours après, frappa Henri II à mort dans le tournoi de la rue Saint-Antoine, en face du palais des Tournelles.

(La suite à un prochain cahier.)

MIGNET.

HISTOIRE GÉNÉRALE ET SYSTÈME COMPARE DES LANGUES SÉMITIQUES, par Ernest Renan, ouvrage couronné par l'Institut. Première partie, Histoire générale des langues sémitiques. Paris, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'Imprimerie impériale, 1855, in-8° de vi-499 pages.

TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE1..

La comparaison que nous venons de faire entre l'alphabet sanscrit et l'alphabet sémitique nous amène naturellement à une autre comparaison plus large entre les langues sémitiques et les langues indo-européennes. Cette étude, si curieuse, remplit le dernier livre de l'ouvrage de M. E. Renan, et elle mérite toute l'attention que l'auteur y a consacrée. Il n'est pas aujourd'hui de question plus neuve pour la philologie comparée; il n'en est guère de plus importante pour l'histoire de l'esprit humain et de la civilisation.

Lorsqu'au commencement de ce siècle, la culture du sanscrit se répandit en Europe, et fit dans les études philologiques la révolution que l'on connaît, une des recherches qui se présenta la première fut celle des rapports de cette langue, mère savante de toutes les nôtres, avec la langue primitive qu'on supposait la source commune de toutes celles que parle l'humanité. C'était alors un axiome indubitable que toutes les langues sont des dialectes d'une seule langue. Jamais on ne s'était donné la peine de vérifier sur les faits cette opinion, qui revê

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Voyez, pour le premier article, le cahier d'octobre 1856, page 619, et, pour le deuxième, celui de janvier 1857, page 42.

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