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«gens æterna in qua nemo nascitur. » Après la mort de Jésus-Christ, des sectaires moitié Juifs, moitié Chrétiens, les Ébionites, allèrent se réunir aux Esséens. Plus tard, vers le règne de Trajan, les Elkhasaites vinrent s'établir parmi eux, et leur apportèrent les dogmes nouveaux dont nous avons plus haut donné une idée sommaire. Toutes ces opinions s'étant mêlées avec les pratiques superstitieuses en usage chez les peuples païens établis dans le voisinage des Esséens, il se forma ainsi une secte, qui n'était proprement ni juive, ni chrétienne, ni idolâtre. Les adhérents de cette religion se répandirent hors des limites de leur contrée et firent un grand nombre de prosélytes dans les pays qui s'étendent au delà du Jourdain et de la Mer Morte, ainsi que sur le territoire des Nabatéens. Ils avaient des livres religieux, dans lesquels se trouvaient exposés les objets de leur croyance. Mahomet ne pouvait manquer de connaître les Esséens ou Esséniens, d'abord parce qu'ils étaient établis sur les confins de l'Arabie, et ensuite parce que, dans les voyages qu'il avait faits en Syrie, pour ses opérations commerciales, il avait dû passer sur le terrain occupé par ces sectaires, et avait, sans doute, formé avec eux des relations plus ou moins intimes. Il serait donc peu surprenant que Mahomet, voulant désigner les nations qui avaient droit à la protection des Musulmans, et avec lesquelles ils pouvaient, sans crime, s'allier par des mariages, eût réuni les Esséens aux Juifs et aux Chrétiens. Si l'on adopte cette hypothèse, il s'agirait seule. ment de substituer, dans le texte du Coran, à la lecon celle

-Ce changement paraîtra bien léger aux per الصانيين ou الصابئون de

sonnes qui connaissent la nature de l'alphabet arabe, et qui savent combien, surtout dans ces temps reculés, l'absence des points diacritiques devait ouvrir la porte à l'adoption de leçons fautives.

Enfin, on pourrait toujours admettre que le nom de ces sectaires, qui est écrit tantôt Esséens, tantôt Esséniens ou Osséniens, avait, en passant dans la bouche des Arabes, subi une légère altération, et pris la forme Es-sabioun,

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(La suite à un prochain cahier.)

QUATREMÈRE.

LETTRES DE JEAN CALVIN, recueillies pour la première fois et publiées, d'après les manuscrits originaux, par Jules Bonnet. Paris, 1854, librairie de Ch. Meyruis et Compagnie, 2 vol. in-8°.

TROISIÈME ARTICLE1.

Vers l'époque même où Calvin fortifiait de ses lettres d'Andelot, enfermé au château de Melun par ordre d'Henri II, il attirait définitivement à la croyance réformée l'amiral son frère, captif des Espagnols dans les Pays-Bas, après la prise de Saint-Quentin. Gaspard de Coligny y inclinait depuis longtemps. La gravité hardie et ferme de son esprit, la pieuse austérité de son âme, l'avaient rapproché d'une doctrine qui semblait à la fois plus pure et plus forte, qui ramenait librement à l'Evangile, soumettait pleinement à Dieu, ranimait la foi religieuse sans interdire la raison humaine, faisait de rigides chrétiens et d'enthousiastes martyrs. Déjà, en 1555, il avait montré une compatissante faveur à ceux qu'on persécutait en France à cause d'elle, et dont il avait secondé l'établissement en Amérique. Ayant sous ses ordres l'une des plus vastes provinces du royaume comme gouverneur de Picardie, disposant des côtes de la Normandie, de la Bretagne et de la Guyenne comme amiral de France, il avait obtenu d'Henri II, pour Nicolas Durand de Villegagnon, de l'argent et deux vaisseaux de l'État, sur lesquels une petite colonie protestante avait été transportée au Brésil. Il avait demandé luimême deux pasteurs à l'Église de Genève, qui lui avait envoyé les ministres Pierre Richer et Guillaume Chartier, partis en 1556 de Honfleur avec trois navires chargés de nouveaux réfugiés, et faisant voile vers l'île à laquelle Villegagnon avait donné le nom de Coligny, non loin de l'embouchure du Rio-Janeiro.

Les secrètes dispositions de l'amiral de Châtillon étaient donc connues de Calvin, qui tira parti de sa captivité et de ses lectures pour les changer en résolutions avouées. «Je n'userai point, lui écrivit-il, de longues exhortations pour vous confermer en patience, pour ce que «j'estime et même j'ay entendu que nostre bon Dieu vous y a telle«ment fortifié par la vertu de son esprit, que j'ay plustot occasion de <«<lui en rendre louange que de vous inciter davantage..... Seulement je <«< vous prieray de passer plus oultre, c'est que Dieu, en vous envoyant 1 Voyez, pour le premier article, le cahier de décembre 1856, page 717, et, pour le deuxième, celui de février 1857, page 92.

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<«< ceste affliction, vous a voulu retirer à l'escart, pour estre mieux escouté « de luy. Car vous sçavez assez, Monseigneur, combien il est difficile, «<parmy les honneurs, richesses et forces du monde, de luy prester l'o«reille, pour ce qu'on est par trop distrait çà et là, et comme esvanouy, «< sinon qu'il use de tels moiens pour recueillir ceulx qui sont à soy..... «parquoy, je vous prie, d'aultant que Dieu vous a donné cette oppor«<tunité, de profiter en son escolle, comme s'il vouloit parler à vous pri«<vément en l'oreille, d'estre attentif à gouter mieulx que jamais que << vault sa doctrine et combien elle nous doibt estre précieuse et amyable, <«<et vacquer diligemment à lire sa saincte parole, pour en recevoir ins«truction, et pour prendre une racine vive de foy..... Il est besoing de << vous exercer en lecture, comme je croy que vous le faictes et que vous «<estes délibéré de poursuyvre1.» Coligny acheva en effet, dans le recueillement de la captivité, par la méditation assidue de l'Écriture sainte, et sous l'influence des ouvrages de Calvin, que lui avait transmis d'Andelot, de se convertir au protestantisme génevois, dont il devait, selon l'expression de Théodore de Bèze, devenir bientôt en France un instru ment d'élite 2.

Calvin s'était réjoui de conquêtes qui semblaient plus importantes encore en étant plus hautes. Les deux premiers princes du sang, Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, et Louis de Bourbon, prince de Condé, avaient successivement embrassé les doctrines nouvelles. Devenu roi de Navarre à la mort d'Henri d'Albret, dont il avait épousé la fille, Antoine de Bourbon, gagné à la réforme par un ancien moine, nommé David, avait tiré de Genève les deux ministres François Leguay, dit Boisnormand, et de La Pierre, qu'il avait fait prêcher publiquement dans la chapelle du château de Nérac. Moins résolu en France qu'en Béarn, dans le pays où il était simple sujet que dans celui dont il était souverain, le roi de Navarre n'avait cependant pas agi sans hardiesse à Paris même. Venu du fond du Béarn, au commencement de 1558, pour complimenter Henri II sur la prise de Calais, il assista à des assemblées secrètes. Il se rendit ensuite publiquement avec le prince de Condé son frère, et avec une suite de seigneurs et de gentilshommes, à la promenade du Pré-aux-Clercs, dans le faubourg Saint-Germain, qu'on appela bientôt une petite Genève, et où l'on chantait les psaumes traduits en vers par Clément Marot et Théodore de Bèze, et mis en musique par Goudimel. 11 osa même un jour entreprendre sur l'au

1 Lettres de Jean Calvin, etc., t. II, p. 230 à 233.— Histoire ecclésiastique des Églises réformées, t. I, p. 140.

torité royale. Le ministre de La Roche-Chandieu, surpris dans une assemblée secrète, avait été enfermé au Châtelet, d'où il ne serait sorti que pour être conduit au bûcher. Le roi de Navarre alla le réclamer le lendemain, comme étant de sa maison, et le sauva1. Comptant alors sur sa fermeté et espérant beaucoup de son influence, Calvin, avec lequel il entretenait un commerce de lettres, l'exhortait à faire une profession ouverte de la foi réformée, en face même d'Henri II et au milieu de sa cour. Il lui avait déjà écrit le 14 décembre 1557: <«< Dieu vous a illuminé en la cognoissance de l'Evangile de Nostre Seigneur Jesus,..... et il n'a pas voulu, Sire, que la foy que vous << avez receue demeurast enclose en vous et comme ensevelie, mais « plustost que vous soyez une lampe ardente pour éclairer et grands << et petits 2. » Il devint plus pressant en juin 1558, lorsque la persécution sévit de nouveau contre les Églises réformées. « Il est certain, « lui disait-il, que Dieu veut esprouver quelle affection vous avez envers luy. Et quand jusques icy, il vous eust esté licite de vous taire, vous « voyez qu'à présent l'excuse cesse, quand Dieu vous tire comme par <«< la main, requerant que vous lui serviez de tesmoing. Je sçay bien de << quelle importance pourra estre la confession que vous ferez, pour << vous fascher en vostre personne, dignité royale, estat, honneurs et << biens. Mais quoy qu'il en soit, il vous fault regarder, Sire, à quoy « vous estes tenu et redevable à celuy duquel vous tenez tout ce que << vous avez, et espérez encores beaucoup mieux, à savoir l'héritage «< céleste. Le hault degré où vous estes ne vous exempte pas, comme « vous sçavez, de la loy et reigle qui est commun à tous fidèles, de « maintenir la doctrine de Nostre Seigneur Jésus, en laquelle gist toute « nostre félicité et salut. Mesmes selon que vous estes eslevé par dessus <«<les aultres, Sire, d'autant plus vous fault-il esforcer de montrer le <«< chemin à ung si grand peuple qui a les yeux jetez sur vous 3.

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Il lui citait l'exemple de d'Andelot et il ajoutait : « Vous, Sire, qui << marchez devant en honneur et en qualité, vous devez estre l'enseigne « de Dieu... Je me tiens asseuré que vous trouverez conseil de plusieurs de dissimuler et vous tenir coy soubs umbre que vous ne profitez rien en vous déclairant. Mais, si les commandemens de Dieu << comme il est dict au pseaume, sont vos conseillers, escoutez plus « tost, Sire, et retenez ce qu'ils vous monstrent en cest endroict, c'est « de prester tesmoignage à la parole de Dieu devant les roys, encores 1 Th. de Bèze, Histoire ecclésiastique des Églises réformées au royaume de France, t. I, liv. 11, p. 140, 141.—2 Lettres de Calvin, etc., t. II, p. 165, 166. — 3 Ibid. P. 199 et 200.

«qu'ils n'en veuillent point ouyr parler 1.» Il lui promet l'aide du Tout-Puissant, s'il s'appuie sur sa vertu, se cache sous sa protection, lui offre en sacrifice ce qu'il en a reçu d'autorité et l'emploie à son service. «Quand donc vous y procéderez aussi franchement, continue«<t-il, ne doutez pas, Sire, qu'il ne prenne sa cause en main, soit en <«<fleschissant le cœur du roy en son obéyssance, soit en le modérant, << en sorte que la confession que vous ferez servira de bouclier pour << garantir un nombre infiny de pauvres fidelles qui s'attendent à vous, « et qui s'esbayront si vous ne respondez à leur espérance 2. »

Cette lettre était fort éloquente. Elle n'était peut-être pas non plus dénuée d'habileté politique. Calvin se persuadait que la déclaration d'Antoine de Bourbon ne serait pas sans effet sur Henri II, et que le roi de France, n'osant pas comprendre le roi de Navarre dans ses persécutions, s'en relâcherait envers tout le monde. Calvin l'affirmait en quelque sorte au roi de Navarre en lui disant : «Celuy dont vous sou<< tenez la querelle donnera bonne issue à vostre magnanimité, comme «< il est certain que les ennemys de Dieu prennent tant plus d'audace et « s'endurcissent en leur fierté, quand ils pensent vous avoir affoibli en « vous donnant quelque frayeur 3. »

3

Mais une pareille résolution était fort au-dessus du courage d'Antoine de Bourbon, qui n'avait rien d'entreprenant, et de sa foi qui n'était pas assez ferme. Brave à la guerre, il était irrésolu partout ailleurs. Avec un esprit vacillant et une âme faible, il avait de l'ambition sans hardiesse, de la piété sans constance, et il manquait complétement de caractère. Personne ne se laissait plus facilement intimider dans ses idées et séduire à ses intérêts.

D'Andelot lui-même n'avait pas montré jusqu'au bout la fermeté qu'on attendait de lui. Dans les élans d'une piété intrépide autant qu'enthousiaste, il avait d'abord semblé prêt à sacrifier pour sa croyance au delà des honneurs dont il avait été dépouillé et de la liberté qu'il avait perdue. Il avait écrit avec une exaltation singulière à l'Église de Paris : « Christ <«< sera magnifié en mon corps, soit par vie, soit par mort, car Christ « m'est vie et mourir m'est guain.» En même temps il avait adressé à Henri II une lettre où, aux assurances de son dévouement il mêlait les ardeurs de sa foi. «Sire, lui disait-il, si j'ai fait quelque chose qui vous << déplaise, je vous supplie en toute humilité me pardonner et croire que

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2 lbid.

p.

201.

3 Ibid.

P.

202.

1 Lettres de Calvin, etc., t. II, p. 200, 201. Lettre du 1" juillet 1558, extraite des manuscrits de la bibliothèque de Genève, et citée par M. Jules Bonnel, Lettres de Jean Calvin, etc., t. II, p. 203, en

note.

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