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montables, il parvint à s'introduire dans Saint-Quentin, qu'assiégeait toute l'armée de Philippe II, et à porter le secours d'une troupe choisie à son frère l'amiral de Coligny, qui était enfermé dans cette place et devait la défendre avec sa vaillante opiniâtreté sans pouvoir la sauver. Lorsque, dix-sept jours après la bataille livrée et perdue non loin de ses murs par le connétable Anne de Montmorency, les Espagnols victorieux l'assaillirent par ses nombreuses brèches et y entrèrent de vive force, les deux intrépides frères furent pris en combattant dans les parties les plus exposées de la place tout ouverte. Coligny, conduit aux Pays-Bas, fut enfermé dans le château de l'Ecluse, puis dans celui de Gand, tandis que d'Andelot, s'échappant des mains des Espagnols, concourut, sous l'habile commandement du duc François de Guise, à la prise de Calais, et, par sa valeureuse conduite, s'acquit encore plus les bonnes grâces d'Henri II.

Mais toute cette faveur tomba devant la dénonciation d'hérésie. D'Andelot avait cessé d'aller à la messe. Il avait fait plus; uon content de renoncer aux cérémonies du culte catholique, il se hasarda à pratiquer le culte réformé. Calvin, dont les ouvrages l'avaient converti, l'y excitait par ses lettres, en même temps qu'il écrivait à l'amiral prisonnier, auquel d'Andelot envoyait des livres de piété et de controverse dans le château de Gand. Au printemps de 1558, d'Andelot se rendant en Bretagne, où il possédait de vastes terres par son mariage avec Claude de Rieux, qui lui avait apporté en dot, avec les riches comtés de Laval et de Montfort, les seigneuries de Vitré, d'Ancenis, de Rochefort, de la Roche-Bernard, de Pont-Château, de Loheac, il s'y fit accompagner par le ministre Gaspard Carmel, venu de Suisse au mois de mars 1557, pour desservir l'Église secrète de Paris. Sur toute sa route, il osa faire prêcher ce ministre protestant, auquel il en adjoignit bientôt un autre, nommé Loiseleur ou Viviers 1. Les deux pasteurs firent entendre la nouvelle doctrine à Nantes, au Croisic, à la Bretesche et dans tous les lieux que traversait d'Andelot, en présence d'un peuple nombreux qu'attirait la curiosité, et de la noblesse du pays qui venait visiter le puissant neveu du connétable devenu l'un des plus opulents seigneurs de la Bretagne. C'est ainsi que furent gagnés beaucoup de partisans à la religion réformée et que se fondèrent plusieurs Églises dans cette partie de la France 2.

1

Dénoncé par le cardinal de Lorraine comme un hérétique avoué et

Histoire ecclésiastique et civile de la Bretagne, par dom Morice et dom Charles Taillandier, t. II, liv. XVIII, fo 267, d'après Crevain, Histoire manuscrite du calvinisme en Bretagne.

Ibid. f. 267 et 268.

comme un infracteur audacieux des édits, d'Andelot fut mandé par Henri II, qui voulut l'interroger lui-même. Il lui exprima sa surprise de son changement de croyance, et s'en plaignit avec affection, lui rappelant qu'élevé à ses côtés, il n'avait cessé de recevoir des marques de son attachement; il lui dit qu'il avait été très-étonné et très-affligé de savoir qu'il eût une autre religion que la sienne, qu'il eût fait prêcher cette religion, qu'il eût assisté aux réunions du Pré-aux-Clercs, qu'il eût cessé d'aller à la messe pendant le siége de Calais, et qu'il eût envoyé des livres de Genève à l'amiral son frère.

D'Andelot répondit au roi avec une sincérité hardie et dangereuse. Il assura qu'il n'était jamais allé au Pré-aux-Clercs, bien qu'il ne s'y chantât que des psaumes de David et des prières pour la prospérité du roi et le salut du royaume. Il convint d'avoir transmis des livres de consolation à l'amiral, son frère, et il ne désavoua point d'avoir fait prêcher une doctrine qu'il appela bonne, sainte, tirée du Vieux et du Nouveau Testament, approuvée des saints conciles et de la primitive Église, et il ajouta : « L'obligation que j'ai à Votre Majesté pour les bien« faits et les honneurs dont elle m'a comblé, m'a tellement asservi, que «je n'ai épargné ni corps ni biens pour son service. Je ne serai jamais << las de continuer tant que j'aurai la vie au corps. Mais, après le devoir « fait à son service, Votre Majesté ne trouvera pas étrange, s'il lui plaît, «que je m'étudie à chercher mon salut et à y employer le reste de mon << temps. » Il avoua qu'il n'était pas allé depuis longtemps à la messe, déclara qu'il n'y irait jamais plus, et il finit en disant : «Je vous supplie, Sire, de laisser ma conscience sauve et vous servir du corps et « des biens qui sont du tout vôtres. » Henri II irrité, le prenant alors par le collier de Saint-Michel qu'il portait au cou: «Je ne vous avais pas << donné cet ordre, lui dit-il, pour en user ainsi; car vous aviez juré et «promis d'aller à la messe et de suivre ma religion. » — «Je ne savais « pas alors, répliqua d'Andelot, ce que c'était que d'être chrétien, sans <«< cela je ne l'eusse point accepté à cette condition. » Le roi, hors de lui le fit arrêter par les archers de la garde et conduire au château de Melun.

Dès que Calvin apprit son arrestation, il le félicita du courage qu'il avait montré et le mit en garde contre les assauts qu'on ne manquerait pas de livrer à sa constance. «Monseigneur, nous avons bien tous à << louer Dieu, lui disait-il, pour l'entrée qu'il vous a donnée, laquelle <«< il fera servir plus que ne pouvons estimer et de faict il vous fault tenir « ce poinct résolu, que Dieu vous a produit comme par la main pour «<estre témoing de sa vérité en lieu où elle avoit esté forclose jusques

<«<icy. Mais qu'il vous souvienne qu'en vous donnant telle magnanimité << pour la première poincte, il vous a tant plus obligé à soy de persister << constamment, en sorte qu'il y auroit moins d'excuse de reculler que « de ne vous estre advancé. Je conçoy bien en mon esprit une partie << des alarmes que vous avez expérimentées, et encores n'est-ce pas la « fin. Mais, quand ils seroient cent fois plus aspres et rudes, si est-ce « que le maistre auquel vous servez mérite bien que vous y résistiez «jusques au bout, ne défaillant pour rien qui soit. Vous avez par cy<< devant souvent exposé vostre vie en hasard pour vostre prince terrien «<et vous seriez encores prest de faire le semblable au besoing, d'autant « que vous y estes tenu. Ce n'est pas raison que le souverain roi du ciel « et de la terre auquel le Père a donné tout empire, soit moins prisé, «et qu'il vous face mal d'acquérir des ennemys pour maintenir sa «gloire 1. » Il lui rappelait avec force tout ce que sa persévérance avait d'important pour les autres comme pour lui, et s'attachait à l'élever au-dessus des affections du sang et des considérations de la terre. « Re« mettez-vous, lui disait-il, entre les mains de celuy auquel vostre vie «<est pretieuse, et qui a les issues de mort en sa main, attendant ce «qu'il luy plaira disposer, comme il le monstrera en temps oportun, «à vostre salut. Et pour ce que la persévérance est un don singulier « d'en hault, ne cessez d'invoquer ce bon Père à ce qu'il vous fortifie, «de quoy aussy nous ne fauldrons le prier avec vous, comme c'est bien « raison que tous les enfants de Dieu ayent soing de vous 1. »

(La suite à un prochain cahier.)

MIGNET.

MÉMOIRES POUR SERVIR À L'HISTOIRE DE L'ACADÉMIE ROYALE DE peinture et de SCULPTURE, depuis 1648 jusqu'en 1664, publiés pour la première fois par M. Anatole de Montaiglon. Paris, 1853, 2 vol., chez Jannet, libraire, rue des Bons-Enfants, n° 28, Bibliothèque Elzévirienne.

Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de L'ACADÉMIE ROYALE DE PEINTURE ET DE SCULPTUrk, publiés

1 Lettres de Calvin, t. II, p. 195.

par

d'après les manuscrits conservés à l'École impériale des beaux-arts, MM. Dussieux, Soulié, de Chennevières, Mantz et de Montaiglon. Paris, 1854, 2 vol. in-8°, chez Dumoulin, libraire, quai des Augustins, no 13.

QUATRIÈME ARTICLE1.

III.

Le contrat de jonction débarrassait l'académie d'une rivalité peu dangereuse mais importune: il supprimait de fait l'académie de SaintLuc. Paris n'allait plus avoir qu'une seule école publique de dessin, l'école de la rue des Deux-Boules, soutenue désormais, et par le corps académique, et par le corps de la maîtrise. Sans renoncer, ni l'une ni l'autre, à leur existence propre, les deux compagnies entendaient s'associer et se fondre pour tout ce qui concernait l'entretien de l'école, la tenue des séances et l'administration des intérêts communs. Une alliance ainsi fondée pouvait-elle s'affermir? On s'efforçait de l'espérer.

Les premiers jours furent calmes et sereins, on fit de part et d'autre assaut de politesse. L'académie surtout poussa la courtoisie jusqu'à son extrême limite; elle reçut au nombre de ses douze anciens quatre maîtres: les sieurs Vignon, Poërson, Buyster et Lubin Baugin2. Les maîtres, de leur côté, admirent sans objection que les réunions communes se tiendraient à l'académie. Tout se passa dans la séance d'ouverture avec de grands dehors de bienveillance et de cordialité, mais la discorde était au fond des cœurs.

M. Hervé, dans son travail de pacification, avait été habile, plus habile que prévoyant. Il avait évité les obstacles, tourné les difficultés, ajourné les causes de froissement. Faire signer le contrat coûte que coûte, voilà ce qu'il avait cherché, convaincu qu'une fois ce fossé franchi, on ne reviendrait pas en arrière. Deux points surtout avaient été laissés par lui volontairement dans l'ombre, deux points très-délicats, les préséances et le maniement des deniers sociaux.

1

Voyez, pour le premier article, le cahier de novembre 1856, page 641; pour le deuxième, celui de décembre, page 735; et, pour le troisième, celui de janvier 1857, page 20.- Buyster remplaçait Lebrun, démissionnaire, Vignon prenait la place d'Errard, Poërson, celle de Van Obstal, Baugin, celle de Lahire. Lahire, Errard et Van Obstal étaient éliminés par le sort. Aux termes de l'article 5 du contrat de jonction, les anciens sortant de charge avaient le même honneur, suffrage et voix délibérative qu'auparavant d'en sortir. »

L'académie, évidemment, ne pouvait céder le pas à la maîtrise; et cependant les maîtres soutenaient que leur droit était incontestable, que, dans toute association de ce genre, le premier rang appartenait à l'antériorité d'établissement; or leur établissement remontait à plus de quatre siècles, tandis que l'académie n'était née que depuis quatre ans. Comment sortir de là? On hésitait, on s'observait, on semblait se donner le mot pour éluder le débat. On entrait dans la salle des séances pêlemêle et sans ordre, on s'asseyait sans rang marqué. Mais ces attermoiements ne servaient qu'à enfler les prétentions des maîtres en leur laissant apercevoir combien l'académie avait peur d'eux.

Elle essaya pourtant de faire meilleure contenance sur l'autre point en litige, elle soutint ses trésoriers contre les cabaleurs. Au fond, ceuxci n'avaient pas tort : ils demandaient, chose assez naturelle, que les deux gardiens de la bourse commune ne fussent pas pris tous deux dans la même compagnie, mais ils le demandaient en de tels termes et pour de telles raisons, qu'on ne pouvait céder. Les trésoriers offrirent leurs démissions; l'académie les refusa, soutenue cette fois, par ceux d'entre les maîtres qui se piquaient de quelque savoir-vivre. On comprend quelle aigreur cet incident laissa dans les esprits.

M. Hervé, qui tenait à son œuvre, s'affligeait de ces divisions: il crut en découvrir la cause. La sanction judiciaire, l'enregistrement du parlement manquait au contrat de jonction; l'alliance était précaire : c'était là, selon lui, ce qui faisait sa faiblesse. Une fois définitive et irrévocable, il faudrait bien la prendre au sérieux. Partant de cette idée, il fit en toute hâte les dispositions nécessaires pour que la forme complétât le fond. Il ne communiqua son dessein ni aux maîtres, ni aux membres de l'académie; les pouvoirs qu'il s'était attribués lors de la signature du contrat lui permettaient d'agir quand et comment il l'entendrait. Ses fonctions, son crédit, ses amitiés de robe, tout le mettait en position d'enlever, sans discussion, sans bruit et sans délai, la vérification et l'enregistrement de toutes ces paperasses. Ce fut fait comme il l'entendait, et, le 7 juin 1652, il obtint un arrêt de la cour. Bien vite, il en fit passer la nouvelle aux deux compagnies réunies, croyant leur envoyer un gage de concorde; mais pas du tout, c'était à un divorce qu'il avait travaillé.

Cet enregistrement si prompt et presque clandestin exaspéra les maîtres. Ils se crurent joués et accusèrent M. Hervé de complot et de guet-apens. Être ainsi liés par un acte sans appel, c'était pour eux un gros ennui, mais ce qui les irritait bien plus, c'était que l'académie tirât son épingle du jeu et obtînt par ricochet la sanction judiciaire qui lui avait manqué jusque-là. Telle était, en effet, la portée de l'arrêt qu'avait

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