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Le génie de l'ambition est porté vers les hauteurs célestes sur des ailes fragiles et par des vents inconstants. Souvent lorsque la foule, qu'il a rendue maîtresse de son bonheur, lui refuse son admiration ou lui inspire quelque crainte, un sombre nuage le voile au milieu de son brillant essor; souvent, nouvel Icare, il tombe de sa hauteur, et périt.

Ce génie éléve ou abaisse l'homme qui lui a confié sa fortune, au gré des honneurs et des louanges que lui accorde au hasard une multitude capricieuse. Cet infortuné paroît aux autres et se voit lui-même, tantôt grand et heureux, tantôt humble et misérable. Comme Ixion attaché sur la roue, il tourne dans un cercle éternel; son ame est obligée de prendre plus de formes nouvelles que le potier n'en donne à l'argile qu'il façonne. Lorsque toujours on le voit flatter ou la foule dans les assemblées publiques, ou les rois dans leurs audiences, ou les tyrans dans leurs cours, qui est-ce qui ne prendroit pas une telle vie en pitié?

Celui qui la mène est sans cesse tourmenté par

des passions haineuses et personnelles; il est plein d'animosité, inconsidéré, vain, glorieux, envieux, et sur-tout inconstant, puisqu'il sert le plus inconstant des maîtres.

Comme les chasseurs, et plus qu'eux, il est sans cesse ballotté entre la joie et le déplaisir. A la moindre louange, son ame s'enfle et croît à une hauteur prodigieuse; elle ressemble alors à cet olivier sacré d'Athènes qui sortit de terre et s'éleva à toute sa hauteur dans un même jour (1): mais cette même ame se contracte et se rapetisse à l'instant le blâme.

par

Ce génie est accompagné de l'illusion la plus trompeuse; car, loin de confesser une partie de sa honte, comme les illusions du voluptueux ou de l'avare, elle couvre ses prestiges des noms d'amour du beau, de la vertu, et de la gloire. Cependant elle n'accomplit les desirs de l'ambitieux qu'avec des nuages; il les embrasse comme Ixion embrassa l'image vaporeuse de Junon, et il ne peut en naître que des monstres semblables aux Centaures que produisit cette union trompeuse (2).

NOTES.

(1) L'auteur parle de cet olivier que Minerve fit naître pour mériter le principal culte d'Athènes brigué par les douze dieux. Cet arbre existoit encore du temps de Pausanias. On l'avoit mis à couvert sous un toit contigu au temple d'Érechthée, et soutenu

par des Caryatides qui existent encore aujourd'hui ; elles sont représentées dans Stuart.

(2) Dion ajoute: « Tels sont les systèmes politiques enfantés par « certains démagogues, ou les écrits des sophistes. » Il dit ensuite qu'il vient de traiter des hommes possédés chacun par un seul mauvais génie, mais que souvent deux ou plusieurs de ces démons s'emparent du même individu, et le jettent dans des troubles intérieurs et dans des malheurs continuels, en le poussant en divers sens, et en le menaçant des plus graves punitions s'il n'obéit pas à leurs ordres. Après quelques développements de cette idée, l'auteur termine son discours par l'exhortation suivante, qui peut servir aussi de conclusion à cet ouvrage :

« Si ces désordres et les maux qui en sont la suite nous révol« tent et nous effraient, cherchons à établir en nous-mêmes une « harmonie plus pure et plus parfaite; et que ceux qu'un sort heu« reux a placés, par le moyen d'une bonne éducation et par la prépondérance de la saine raison, sous l'influence du bon génie « ou de la divinité, lui rendent grace de ce bienfait. >>

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FIN DU SECOND VOLUME.

TABLE ANALYTIQUE

DES CARACTÈRES DE LA BRUYERE.

ACHILLE

A.

CHILLE. Jetez-moi dans les troupes comme un simple soldat, je suis Thersite; mettez-moi à la tête d'une armée dont j'aie à répondre à toute l'Europe, je suis Achille, I, 277.

Actions, le motif seul en fait le mérite, I, 92.

Les meilleures s'altèrent et s'affoiblissent par la manière dont on les fait, 279.

Affectation est souvent une suite de l'oisiveté ou de l'indifférence, I, 374.

Affliction, on ne sort guère d'une grande affliction que par foiblesse ou par légèreté, I, 130.

Celle qui vient de la perte des biens est seule durable, 199. Aigreur, ses effets, 415.

Aimer, l'on n'aime bien qu'une fois : c'est la première, 126.

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- L'on n'est pas plus maître de toujours aimer, qu'on ne l'a été de ne pas aimer, 129.

Cesser d'aimer, preuve sensible que le cœur a ses limites, ibid. – C'est foiblesse que d'aimer; c'est souvent une autre foiblesse que de guérir, 130.

Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qu'éperdûment, ibid.

· Il faut quelquefois recevoir de ce qu'on aime, 130.

On aime de plus en plus ceux à qui l'on fait du bien, 135.

Ambitieux, l'esclave n'a qu'un maître ; l'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune, I, 250.

Ame, bassesse de quelques unes, I, 193. - Noblesse de quelques unes, ibid.

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