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haquenée à sa porte, ou de faire quelque emplette futile et de pure ostentation, pour confirmer l'opinion qu'il veut donner de ses richesses. Ensuite il lui dit très-haut, afin que tout le monde l'entende, Fais que l'argent soit compté avec soin, et, s'il est possible, avant la nuit. L'esclave, qui connoît déja son homme, lui répond qu'il faut envoyer plus de monde si la somme doit être comptée dans le jour. Va, s'écrie-t-il, et prends Libanus et Sosie avec toi. Ensuite il lui arrive par hasard des étrangers qui, dans un voyage, l'ont reçu chez eux avec magnificence. Il en est fortement troublé, mais il ne sort pas de son caractère. Vous faites bien de venir ici, dit-il, mais vous auriez encore mieux fait de vous rendre directement chez moi. Nous l'eussions fait, répondent-ils, si nous avions su où étoit votre maison. Oh! s'écrie-t-il, tout le monde vous auroit dit cela. Mais venez avec moi. Ils le suivent; et, chemin faisant, tous ses discours respirent la jactance. Il demande en quel état sont les productions de la campagne. Je ne puis pas aller dans mes terres, dit-il, parceque mes maisons ont été brûlées, et je n'ose pas encore les rebâtir; cependant j'ai commencé à faire cette folie dans mon bien de Tusculum, et j'y fais bâtir sur les anciens fondements. En disant cela il entre avec eux dans une maison dont il connoît le propriétaire, et où il sait qu'il doit y avoir un repas de confrérie (4). C'est ici, dit

la

il, que je demeure. Puis il regarde l'argenterie qui est exposée (5); il examine la table qui est dressée, et en loue la disposition. Un esclave vient l'avertir en secret que le maître va arriver, et le prie de se retirer. Ah! dit-il, allons-nous-en, mes amis; c'est mon frère qui arrive de Salerne ; je vais à sa rencontre; revenez ici à l'heure du souper. Alors il va à la hâte se cacher dans son domicile : les étrangers s'en vont, et reviennent à l'heure indiquée, le demandent, sont accueillis par des railleries, apprennent à qui est la maison, et se rendent dans une auberge. Ils rencontrent cet homme le lendemain, lui racontent ce qui leur est arrivé, le provoquent, l'accusent; il leur dit qu'induits en erreur par similitude des lieux ils s'étoient trompés de toute une rue, et qu'au préjudice de sa santé il les avoit attendus une grande partie de la nuit. Dans l'intervalle, il a chargé son esclave de lui procurer des vases, des habits, des domestiques. L'esclave adroit a rassemblé ces objets assez rapidement, et les a choisis avec goût. Le glorieux conduit alors les étrangers chez lui, en disant qu'il avoit prêté la plus grande de ses maisons à un ami pour y célébrer des noces. Cependant celui dont il a emprunté les vases a conçu des craintes, l'esclave vient annoncer qu'on les redemande. Va-t'en, lui dit le maître, j'ai prêté ma maison et mes gens, et l'on veut encore mon argenterie! Cependant, quoique

j'aie des étrangers moi-même, je veux bien qu'il s'en serve pour aujourd'hui ; nous nous contenterons de vaisselle de Samos (6).

NOTES.

(1) Cet ouvrage, dont l'auteur est incertain, est imprimé ordinairement à la tête des ouvrages de Cicéron; il est attribué par quelques critiques à Cornificius, ami de cet illustre orateur. Ce caractère s'y trouve, liv. IV, chap. L et LI.

(2) Ce caractère est censé faire partie d'un discours prononcé devant des juges devant lesquels apparemment ce glorieux est traduit pour une dette qu'il ne peut pas payer.

(3) Selon l'usage romain. Voyez le Museo Pio Clementino, tom. III, pl. 35, où l'on trouve la statue d'un nègre avec le strigile et le flacon qui servoient au bain.

(4) Ces repas se faisoient ordinairement à l'instar de ceux dont il a été question plusieurs fois dans les caractères de Théophraste, dans des maisons louées pour cet usage. Le glorieux connoît le propriétaire de la maison, mais non ceux qui viennent y manger et dont on vient lui annoncer l'arrivée.

(5) Luxe ordinaire chez les anciens; on exposoit des vases et d'autres objets précieux. (Voyez Virgile, Æneid., I, v. 639 et suiv.)

(6) Pline dit (liv. XXXV, ch. x11) que les vases fabriqués à Samos étoient de terre, d'un travail élégant, mais de peu de valeur; et il ajoute que les pauvres en faisoient usage.

DE DION CHRYSOSTOME (1).

I.

L'AVARE.

LE

Le génie de l'avarice (2) n'aime que l'or, l'argent, les champs, les prairies, les fermes, et en général tout ce qui a une valeur pécuniaire. Si un artiste habile vouloit le représenter, il lui donneroit sans doute une physionomie sinistre et morne, un costume vil et ignoble, un corps négligé et sale.

Il n'aime ni sa patrie, ni ses enfants, ni ceux qui lui ont donné le jour; il ne connoît d'autre parenté que la fortune (3). Il conclut que les dieux n'existent plus, de ce qu'ils ne lui révélent pas un grand nombre de riches trésors, et ne font pas mourir des parents dont il puisse hériter. D'ailleurs les fêtes qu'on célébre en leur honneur lui paroissent depuis long-temps une pure perte et une dépense vaine et inutile. Jamais on ne le voit rire, pas même sourire; toujours soupçonneux, il croit que chacun ‘a le projet de lui nuire, et se défie de tout le monde.

Son regard a toujours l'air de choisir et de fixer quelque proie; ses doigts sont sans cesse en mouvement pour calculer, soit sa fortune, soit celle d'un autre.

Amant aveugle de l'aveugle Plutus, il est insensible et ignorant dans tout ce qui n'a point de rapport avec l'argent, et tourne en dérision l'instruction et les lettres, excepté l'art des calculs et la science des contrats.

Rien ne lui paroît indigne de sa convoitise: il n'est pas comme l'aimant, qui n'attire que du fer; il prend également et le cuivre, et le plomb, et tout ce qu'on lui présente, fût-ce même du sable ou une pierre. Pour avancer ses affaires plus vite et à moins de frais, il sort à la pointe du jour et à la chute de la nuit (4). Il ne tient aucun compte des ennemis qu'il se fait et des sarcasmes qu'on lui lance. Il trouve que les autres acquisitions font perdre du temps et tiennent en quelque sorte du luxe et de la recherche, tandis que dans l'argent tous les avantages de la richesse sont, pour ainsi dire, concentrés. Voilà donc ce qu'il recherche et poursuit en tout et par-tout, en ne se laissant détourner par rien; le déshonneur et l'injustice ne lui répugnent point, il ne craint que les punitions, et sur-tout les amendes.

Il est bas et rampant, ou disputeur et grossier. Jamais il ne se livre avec abandon ni au sommeil

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