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CHAPITRE XXVII.

D'UNE TARDIVE INSTRUCTION.

Il s'agit de décrire quelques inconvénients où tombent ceux qui, ayant méprisé dans leur jeunesse les sciences et les exercices, veulent réparer cette négligence dans un âge avancé, par un travail souvent inutile (1). Ainsi un vieillard de soixante ans s'avise d'apprendre des vers par cœur, et de les réciter à table dans un festin (2), où, la mémoire venant à lui manquer, il a la confusion de demeurer court. Une autre fois, il apprend de son propre fils les évolutions qu'il faut faire dans les rangs à droite ou à gauche, le maniement des armes (3), et quel est l'usage à la guerre de la lance et du bouclier. S'il monte un cheval (4) que l'on lui a prêté, il le presse de l'éperon, veut le manier; et, lui faisant faire des voltes ou des caracoles, il tombe lourdement, et se casse la tête (5). On le voit tantôt pour s'exercer au javelot le lancer tout un jour contre l'homme de bois (6), tantôt tirer de l'arc, et disputer avec son valet lequel des deux donnera mieux dans un blanc avec des flèches; vouloir d'abord apprendre de lui, se mettre ensuite à l'in

struire et à le corriger, comme s'il étoit le plus habile. Enfin, se voyant tout nu au sortir d'un bain, il imite les postures d'un lutteur; et, par le défaut d'habitude, il les fait de mauvaise grace, et il s'agite d'une manière ridicule (7).

"

NOTES.

(1) Le texte définit ce Caractère : « un goût pour des exercices

« qui ne conviennent pas à l'âge où l'on se trouve. »

(2) Voyez le chapitre de la Brutalité. (La Bruyère.) Chapitre xv,

note 5.

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(3) Au lieu de la fin de cette phrase que La Bruyère a ajoutée au texte, le manuscrit du Vatican ajoute, d'après une conjecture ingénieuse de M. Coray: « Et en arrière. » Ce manuscrit continue: « Il se joint à des jeunes gens pour faire une course avec des flam<< beaux en l'honneur de quelque héros. S'il est invité à un sacri«fice fait à Hercule, il jette son manteau, et saisit le taureau pour <«< le terrasser ; et puis il entre dans la palestre pour s'y livrer en«< core à d'autres exercices. Dans ces petits théâtres des places publiques, où l'on répète plusieurs fois de suite le même spectacle, «< il assiste à trois ou quatre représentations consécutives pour apprendre les airs par cœur. Dans les mystères de Sabasius, il « cherche à être distingué particulièrement par le prêtre. Il aime « des courtisanes, enfonce leurs portes, et plaide pour avoir été «< battu par un rival. » On peut consulter sur les courses de flambeaux le chapitre xxiv du jeune Anacharsis; et l'on peut voir au vol. II, , pl. 3, des vases de Hamilton, un sacrifice fait par de jeunes athlètes qui cherchent à terrasser un taureau. Cette explication du dessin que représente cette planche est du moins bien plus naturclle que celle qu'en donne le texte de Hamilton; et Pausanias

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parle quelque part d'un rit de ce genre. Les distinctions que brigue ce vieillard dans les mystères de Sabasius, c'est-à-dire de Bacchus, sont d'autant plus ridicules, que les femmes concouroient à ces mystères. (Voyez Aristophane, in Lysistrata, v. 388; voyez aussi Démosth. pro Cor., page 314.)

J'ai suivi, dans la dernière phrase de cette addition, les corrections du critique anonyme de la Gazette littéraire de Jéna.

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(4) Le grec porte: «S'il va à la campagne avec un cheval, etc. »

(5) Le manuscrit du Vatican ajoute ici une phrase vraisemblablement altérée par les copistes. D'après Schneider, il faudroit traduire : « Il fait des pique-niques de onze litres, » c'est-à-dire de onze oboles. « Reste à savoir, dit cet éditeur, pourquoi cela est ridicule. » Peut-être faut-il rapporter le fragment de l'auteur comique Sophron, «Le décalitre en est le prix,» aux Femmes mimes, titre de la pièce d'où ce fragment nous est conservé par Pollux, L. iv, segm. 173, et supposer que le décalitre fût le prix ordinaire des jeux indécents ou des complaisances de ces femmes, et une espèce de surnom qu'on leur donnoit. On pourroit alors corriger ce passage iv dexanírpais, et traduire : « Il fait des pique«niques chez des danseuses. » Mais peut-être aussi faut-il traduire tout simplement : « Il rassemble, à force de prières, des convives 'pour manger avec lui à frais communs. »

(6) Une grande statue de bois qui étoit dans le lieu des exercices, pour apprendre à darder. (La Bruyère.) Cette explication est une conjecture ingénieuse de Casaubon; elle est confirmée en quelque sorte par une lampe antique sur laquelle M. Visconti a vu le palus contre lequel s'exerçoient les gladiateurs, revêtus d'habillements militaires. La traduction littérale de ce passage, tel que le donne le manuscrit du Vatican, seroit: «Il jouc à la grande « statue avec son esclave; » ce qui, par une suite de la même explication, pourroit être rendu par l'expression moderne « Il tire

« au mur avec son esclave.» Ce manuscrit continue, «Il tire de « l'arc ou lance le javelot avec le pédagogue de ses enfants. »

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(7) Littéralement: «Il s'exerce à la lutte, et agite beaucoup les

hanches. » Le manuscrit du Vatican ajoute: « Afin de paroître

<< instruit; » et continue: « Quand il se trouve avec des femmes, il

« se met à danser en chantant entre les dents pour marquer « cadence. »

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CHAPITRE XXVIII.

DE LA MÉDISANCE.

Je définis ainsi la médisance, une pente secrète de l'ame à penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste par les paroles. Et pour ce qui concerne le médisant, voici ses moeurs : Si on l'interroge sur quelque autre, et qu'on lui demande quel est cet homme, il fait d'abord sa généalogie: son père, dit-il, s'appeloit Sosie (1), que l'on a connu dans le service, et parmi les troupes, sous le nom de Sosistrate; il a été affranchi depuis ce temps, et reçu dans l'une des tribus de la ville (2): pour sa mère, c'étoit une noble Thracienne; car les femmes de Thrace, ajoute-t-il, se piquent la plupart d'une ancienne noblesse (3): celui-ci, né de si honnêtes gens, est un scélérat qui ne mérite que le gibet. Et retournant à la mère de cet homme qu'il peint avec de si belles couleurs (4), elle est, poursuit-il, de ces femmes qui épient sur les grands chemins (5) les jeunes gens au passage, et qui, pour ainsi dire, les enlévent et les ravissent. Dans une compagnie où il se trouve quelqu'un qui parle mal d'une personne absente, il relève la conversation: Je suis, lui dit-il,

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