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ne lui en prêtera point: il va le trouver ensuite, et le lui donne de mauvaise grace, ajoutant qu'il le compte perdu. Il ne lui arrive jamais de se heurter à une pierre qu'il rencontre en son chemin, sans lui donner de grandes malédictions. Il ne daigne pas attendre personne; et si l'on diffère un moment à se rendre au lieu dont l'on est convenu avec lui, il se retire. Il se distingue toujours par une grande singularité (4); ne veut ni chanter à son tour, ni réciter (5) dans un repas, ni même danser avec les autres. En un mot, on ne le voit guère dans les temples importuner les dieux, et leur faire des vœux ou des sacrifices (6).

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NOTES.

(1) Plusieurs critiques ont prouvé qu'il faut traduire ce passage: S'il met un objet en vente, il ne dira point aux acheteurs «< ce qu'il en voudroit avoir, mais il leur demandera ce qu'il en pourra trouver. »

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(2) La Bruyère a paraphrasé ce passage obscur et mutilé d'après les idées de Casaubon : selon d'autres critiques, il est question d'un présent ou d'une invitation qu'on fait au brutal, ou bien d'une portion de victime qu'on lui envoie (Voyez chap. xi, note 5 ; et chapitre xvII, note 2); et sa réponse est : « Je ne reçois pas de présents, " ой « Je ne voudrois pas même goûter ce

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(3) « Qui fait une collecte. » (Voyez chap. 1,

note 3.)

(4) Ces mots ne sont point dans le texte.

(5) Les Grecs récitoient à table quelques beaux endroits de leurs poëtes, et dansoient ensemble après le repas. Voyez le chapitre du Contre-Temps. ( La Bruyère.) (Chap. xii, note 7.)

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(6) Le grec dit simplement : « Il est capable aussi de ne point prier les dieux. »

CHAPITRE XVI (1).

DE LA SUPERSTITION.

LA

A superstition semble n'être autre chose qu'une crainte mal réglée de la divinité. Un homme superstitieux, après avoir lavé ses mains (2), s'être purifié avec de l'eau lustrale (3), sort du temple, et se promène une grande partie du jour avec une feuille de laurier dans sa bouche. S'il voit une belette, il s'arrête tout court; et il ne continue pas de marcher, que quelqu'un n'ait passé avant lui par le même endroit que cet animal a traversé, ou qu'il n'ait jeté lui-même trois petites pierres dans le chemin, comme pour éloigner de lui ce mauvais présage. En quelque endroit de sa maison qu'il ait aperçu un serpent, il ne diffère pas d'y élever un autel (4); et dès qu'il remarque dans les carrefours de ces pierres que la dévotion du peuple y a consacrées (5), il s'en approche, verse dessus toute l'huile de sa fiole, plie les genoux devant elles, et les adore. Si un rat lui a rongé un sac de farine, il court au devin qui ne manque pas de lui enjoindre d'y faire mettre une pièce : mais bien loin d'être satisfait de sa réponse, effrayé d'une aventure si extraordi

naire, il n'ose plus se servir de son sac, et s'en défait (6). Son foible encore est de purifier sans fin la maison qu'il habite (7), d'éviter de s'asseoir sur un tombeau, comme d'assister à des funérailles, ou d'entrer dans la chambre d'une femme qui est en couche (8); et lorsqu'il lui arrive d'avoir, pendant son sommeil, quelque vision, il va trouver les interprètes des songes, les devins, et les augures, pour savoir d'eux à quel dieu ou à quelle déesse il doit sacrifier (9). Il est fort exact à visiter, sur la fin de chaque mois, les prêtres d'Orphée, pour se faire initier dans ses mystères (10): il y mène sa femme; ou si elle s'en excuse par d'autres soins, il y fait conduire ses enfants par une nourrice (11). Lorsqu'il marche par la ville, il ne manque guère de se laver toute la tête avec l'eau des fontaines qui sont dans les places : quelquefois il a recours à des prêtresses, qui le purifient d'une autre manière, en liant et étendant autour de son corps un petit chien, ou de la squille (12). Enfin, s'il voit un homme frappé d'épilepsie (13), saisi d'horreur il crache dans son propre sein, comme pour rejeter le malheur de cette rencontre.

NOTES.

(1) Ce chapitre est le premier dans lequel on trouvera des additions prises dans les manuscrits de la Bibliothèque Palatine du Vatican, qui contient une copie plus complète que les autres

des quinze derniers chapitres de cet ouvrage. M. Siebenkees, sur les manuscrits duquel on a publié cette copie, doutoit de l'authenticité de ces morceaux nouveaux ; mais ses doutes sont sans fondement, et il paroît ne les avoir conçus que par la difficulté d'expliquer l'origine de cette différence entre les manuscrits. M. Schneider a levé cette difficulté, et a démontré toute l'importance de ces additions, lesquelles nous donnent non seulement des lumières nouvelles sur plusieurs points importants des mœurs anciennes, mais dont la plupart complètent et expliquent des passages inintelligibles sans ce secours. Ce savant a observé qu'elles prouvent que nous ne possédions auparavant que des extraits très imparfaits de cet ouvrage. Cette hypothèse explique les transpositions, les obscurités et les phrases tronquées qui y sont si fréquentes; et celles qui se trouvent même dans le manuscrit palatin font soupçonner qu'il n'est lui-même qu'un extrait plus complet. Cette opinion est en outre confirmée, pour ce manuscrit comme pour les autres, par une formule usitée spécialement par les abréviateurs, qui se trouve au chapitre xi et au chapitre XIX. (Voyez la note 9 du premier et la note 2 du second de ces chapitres.) Cependant les difficultés qui se rencontrent, particulièrement dans les additions, viennent sur-tout de cc qu'elles ne nous sont transmises que par une seule copie. Tous ceux qui se sont occupés de l'examen critique des auteurs anciens savent que ce n'est qu'à force d'en comparer les différentes copies qu'on parvient à leur rendre jusqu'à un certain point leur perfection primitive.

(2) D'après une correction ingénieuse de M. Siebenkees, le manuscrit du Vatican ajoute : « Dans une source. » Cette ablution étoit le symbole d'une purification morale; le laurier dont il est question dans la suite de la phrase passoit pour écarter tous les malheurs de celui qui portoit sur soi quelque partie de cet arbuste. (Voyez les notes de Duport, et, sur ce Caractère en général, le chapitre xxx d'Anacharsis.) J'ai parlé, dans la note 14 du

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