Page images
PDF
EPUB

mm

mmm

pagne.

CHAPITRE XIV.

DE LA STUPIDITÉ.

La stupidité est en nous une pesanteur d'esprit (1) qui accompagne nos actions et nos discours. Un homme stupide, ayant lui-même calculé avec des jetons une certaine somme, demande à ceux qui le regardent faire à quoi elle se monte. S'il est obligé de paroître dans un jour prescrit devant ses juges pour se défendre dans un procès que l'on lui fait, il l'oublie entièrement, et part pour la camIl s'endort à un spectacle, et ne se réveille que long-temps après qu'il est fini, et que le peuple s'est retiré. Après s'être rempli de viandes le soir, il se lève la nuit pour une indigestion, va dans la rue se soulager, où il est mordu d'un chien du voisinage. Il cherche ce qu'on vient de lui donner, et qu'il a mis lui-même dans quelque endroit où souvent il ne le peut retrouver. Lorsqu'on l'avertit de la mort de l'un de ses amis afin qu'il assiste à ses funérailles, il s'attriste, il pleure, il se désespère, et prenant une façon de parler pour une autre: A la bonne heure, ajoute-t-il, ou une pareille sottise (2). Cette précaution qu'ont les personnes sages

de ne pas donner sans témoins (3) de l'argent à leurs créanciers, il l'a pour en recevoir de ses débiteurs. On le voit quereller son valet dans le plus grand froid de l'hiver, pour ne lui avoir pas acheté des concombres. S'il s'avise un jour de faire exercer ses enfants à la lutte ou à la course, il ne leur permet pas de se retirer qu'ils ne soient tout en sueur et hors d'haleine (4). Il va cueillir lui-même des lentilles (5), les fait cuire; et oubliant qu'il y a mis du sel, il les sale une seconde fois, de sorte que personne n'en peut goûter. Dans le temps d'une pluie incommode, et dont tout le monde se plaint, il lui échappera de dire que l'eau du ciel est une chose délicieuse (6): et si on lui demande par hasard combien il a vu emporter de morts par la porte Sacrée (7): Autant, répond - il, pensant peut-être à de l'argent ou à des grains, que je voudrois que vous et moi en pussions avoir.

NOTES.

(1) Littéralement, « Une lenteur d'esprit. » La plupart des traits de ce Caractère seroient attribués aujourd'hui à la distraction, à laquelle les anciens paroissent ne pas avoir donné un nom particulier.

(2) Le traducteur a beaucoup paraphrasé ce passage. Le grec dit seulement : « Il s'attriste, il pleure, et dit: A la bonne heure. »

(3) Les témoins étoient fort en usage chez les Grecs dans les paiements et dans tous les actes. (La Bruyère.) « Tout le monde

k

"

sait, dit Démosthène, contra Phorm., qu'on va emprunter de << l'argent avec peu de témoins, mais qu'on en amène beaucoup « en le rendant, afin de faire connoître à un grand nombre de " personnes combien on met de régularité dans ses affaires.»

(4) Le texte grec dit : « Il force ses enfants à lutter et à courir, << et leur fait contracter des maladies de fatigue. » Théophraste a fait un ouvrage particulier sur ces maladies, occasionées fréquemment en Grèce par l'excès des exercices gymnastiques. Voyez le Traité de Meursius sur les ouvrages perdus de Théophraste.

[ocr errors]

(5) Le grec dit : « Et s'il se trouve avec eux à la campagne, et qu'il leur fasse cuire des lentilles, il oublie, etc. »

(6) Ce passage est évidemment altéré dans le texte, et La Bruyère n'en a exprimé qu'une partie en la paraphrasant. Il me semble qu'une correction plus simple que toutes celles qui ont été proposées jusqu'à présent seroit de lire rò äorpovoμí?ew, et de regarder les mots qui suivent comme le commencement d'une glose, inséré mal à propos dans le texte ; car dans le grec il n'est dit nulle part dans ce chapitre ce que disent ou font les autres. D'après cette correction, il faudroit traduire : « Quand il pleut, il dit: « Ah! qu'il est agréable de connoître et d'observer les astres! » La forme du verbe grec pourroit être rendue littéralement en françois par le mot astronomiser. Il faut convenir cependant que le verbe grec ne se trouve pas plus dans les dictionnaires que le verbe françois, et que la forme ordinaire du premier est un peu différente; mais en grec ces fréquentatifs sont très communs, et quelques manuscrits donnent une leçon qui s'approche beaucoup de cette correction. Le glossateur a ajouté, « Lorsque d'autres " disent que le ciel est noir comme de la poix. »

(7) Pour être enterrés hors de la ville, suivant la loi de Solon. (La Bruyère.) Du temps de Théophraste, les morts étoient indif

féremment enterrés ou brùlés, et ces deux cérémonies se faisoient dans les champs céramiques: mais ce n'étoit pas par la porte Sacrée, ainsi nommée parcequ'elle conduisoit à Eleusis, qu'on se rendoit à ces champs. Il me paroît donc qu'il faut adopter la correction erias, la porte des tombeaux. M. Barbié du Bocage croit que ce n'étoit pas une porte particulière qu'on appeloit ainsi, mais que ce nom étoit donné quelquefois à la porte Dipylon, qu'il a placée en cet endroit sur son plan d'Athènes dans le Voyage du jeune Anacharsis; et les recherches aussi savantes qu'étendues qu'il a faites depuis sur ce plan n'ont fait que confirmer cette opinion. Peut-être aussi cette porte étoit-elle double, ainsi que son nom l'indique, et l'une des sorties étoitelle appelée Erie, et particulièrement destinée aux funérailles.

CHAPITRE XV.

DE LA BRUTALITÉ.

La brutalité est une certaine dureté, et j'ose dire une férocité qui se rencontre dans nos manières d'agir, et qui passe même jusques à nos paroles. Si vous demandez à un homme brutal, Qu'est devenu un tel? il vous répond durement, Ne me rompez point la tête. Si vous le saluez, il ne vous fait pas l'honneur de vous rendre le salut: si quelquefois il met en vente une chose qui lui appartient, il est inutile de lui en demander le prix, il ne vous écoute pas; mais il dit fièrement à celui qui la marchande, Qu'y trouvez-vous à dire (1)? Il se moque de la piété de ceux qui envoient leurs offrandes dans les temples aux jours d'une grande célébrité: Si leurs prières, dit-il, vont jusques aux dieux, et s'ils en obtiennent les biens qu'ils souhaitent, l'on peut dire qu'ils les ont bien payés, et qu'ils ne leur sont pas donnés pour rien (2). Il est inexorable à celui qui, sans dessein, l'aura poussé légèrement, ou lui aura marché sur le pied; c'est une faute qu'il ne pardonne pas. La première chose qu'il dit à un ami qui lui emprunte quelque argent (3), c'est qu'il

« PreviousContinue »