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Caractères vicieux; car cet auteur dit qu'on appelle particulière

ment de ce nom les gourmands, les peureux, caractères semblables.

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Au lieu de « Il semble, etc. » il faut traduire,

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les avares, et des

« J'ai cru devoir « écrire sur les mœurs des uns et des autres; je vais te présenter << une suite des différents Caractères que portent les derniers, et t'exposer les principes de leur conduite. J'espère, etc. » Après avoir composé beaucoup d'ouvrages de morale qui traitoient surtout des vertus, notre philosophe veut aussi traiter des vices. Du reste, la tournure particulière de cette phrase semble avoir pour objet de distinguer ces tableaux des satires personnelles.

(5) Plus littéralement : « J'espère, mon cher Polyclès, que nos « enfants en deviendront meilleurs, si je leur laisse de pareils «< écrits qui puissent leur servir d'exemple et de guide pour choi« sir le commerce et la société des hommes les plus parfaits, « afin de ne point leur rester inférieurs. » C'est ainsi que Dion Chrysostome dit dans le discours qui ne contient que les trois caractères vicieux que j'ai joints à la fin de ce volume : " J'ai

« voulu fournir des images et des exemples pour détourner du vice, de la séduction et des mauvais desirs, et pour inspirer << aux hommes l'amour de la vertu et le goût d'une meilleure vie. »

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DE THEOPHRASTE.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA DISSIMULATION.

La dissimulation (1) n'est pas aisée à bien définir: si l'on se contente d'en faire une simple description, l'on peut dire que c'est un certain art de composer ses paroles et ses actions pour une mauvaise fin. Un homme dissimulé se comporte de cette manière : il aborde ses ennemis, leur parle, et leur fait croire par cette démarche qu'il ne les hait point: il loue ouvertement et en leur présence ceux à qui il dresse de secrétes embûches; et il s'afflige avec eux s'il leur est arrivé quelque disgrace: il semble pardonner les discours offensants que l'on lui tient: il récite froidement les plus horribles choses que l'on aura dites contre sa réputation; et il emploie les paroles les plus flatteuses pour adoucir ceux qui se plaignent de lui, et qui sont aigris par les injures qu'ils en ont reçues. S'il arrive que quelqu'un l'aborde avec empressement, il feint des affaires, et lui dit de revenir une autre fois :

il cache soigneusement tout ce qu'il fait; et, à l'entendre parler, on croiroit toujours qu'il délibère (2); il ne parle point indifféremment; il a ses raisons pour dire tantôt qu'il ne fait que revenir de la campagne, tantôt qu'il est arrivé à la ville fort tard, et quelquefois qu'il est languissant, ou qu'il a une mauvaise santé. Il dit à celui qui lui emprunte de l'argent à intérêt, ou qui le prie de contribuer de sa part à une somme que ses amis consentent de lui prêter (3), qu'il ne vend rien, qu'il ne s'est jamais vu si dénué d'argent; pendant qu'il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoiqu'en effet il ne vende rien. Souvent, après avoir écouté ce qu'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention: il feint de n'avoir pas aperçu les choses où il vient de jeter les yeux, ou, s'il est convenu d'un fait, de ne s'en plus souvenir. Il n'a pour ceux qui lui parlent d'affaires que cette seule réponse, j'y penserai. Il sait de certaines choses, il en ignore d'autres; il est saisi d'admiration; d'autres fois il aura pensé comme vous sur cet événement, et cela selon ses différents intérêts. Son langage le plus ordinaire est celui-ci : « Je n'en crois rien, je ne comprends pas << que cela puisse être, je ne sais où j'en suis; » ou bien, «< il me semble que je que je ne suis pas moi-même : » et ensuite, «< ce n'est pas ainsi qu'il me l'a fait en<< tendre; voilà une chose merveilleuse, et qui passe

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<< toute créance; contez cela à d'autres, dois-je vous <«< croire? ou me persuaderai-je qu'il me dit la vérité? » paroles doubles et artificieuses, dont il faut se défier comme de ce qu'il y a au monde de plus pernicieux. Ces manières d'agir ne partent point d'une ame simple et droite, mais d'une mauvaise volonté, ou d'un homme qui veut nuire : le venin des aspics est moins à craindre.

NOTES.

(1) L'auteur parle de celle qui ne vient pas de la prudence, et que les Grecs appeloient ironie. (La Bruyère.) Aristote désigne par ce mot cette dissimulation à-la-fois modeste et adroite, des avantages qu'on a sur les autres, dont Socrate a fait un usage si heureux. (Voyez Moral. ad Nicom. iv, 7.) Mais le maître de Théophraste dit, en faisant l'énumération des vices opposés à la véracité, qu'on s'écarte de cette vertu, soit pour le seul plaisir de mentir, soit par jactance, soit par intérêt. C'est sur-tout cette dernière modification de la dissimulation qu'il me semble que Théophraste a voulu caractériser ici; et ce ne peut être que faute d'un terme plus propre qu'il l'a appelée ironie. Les deux autres espèces sont peintes dans les Caractères huit et vingt-trois. Au reste, la première phrase de ce chapitre seroit mieux rendue par la version suivante : « La dissimulation, à l'exprimer par son « caractère propre, est un certain art, etc. » ainsi que l'a déja

observé M. Belin de Ballu.

(2) Il y a ici dans le texte une transposition et des altérations observées par plusieurs critiques; il faut traduire : « Il fait dire à ceux qui viennent le trouver pour affaires de revenir une « autre fois, en feignant d'être rentré à l'instant, ou bien en

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disant qu'il est tard, et que sa santé ne lui permet pas de les « recevoir. Il ne convient jamais de ce qu'il va faire, et ne cesse « d'assurer qu'il est encore indécis. Il dit à celui, etc. »

Cette sorte de contribution étoit fréquente à Athènes, et autorisée par les lois. (La Bruyère.) Elle avoit pour objet de rétablir les affaires de ceux que des malheurs avoient ruinés ou endettés, en leur faisant des avances qu'ils devoient rendre par la suite. Voyez le chapitre xvii, et les notes de M. Coray, nécessaires à tous ceux qui voudront approfondir cet ouvrage sous le double rapport de la langue et des mœurs anciennes.

Les notes de Duport, que les derniers éditeurs ont trop négligées, éclaircissent aussi beaucoup cette intéressante matière.

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