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leurs plaies le droit de s'asseoir dans cette assemblée générale de toute l'Église : il n'y avoit aucun de vos illustres prédécesseurs qu'on ne s'empressât de voir, qu'on ne montrât dans les places, qu'on ne désignât par quelque ouvrage fameux qui lui avoit fait un grand nom, et qui lui donnoit rang dans cette Académie naissante qu'ils avoient comme fondée: tels étoient ces grands artisans de la parole, ces premiers maîtres de l'éloquence françoise; tels vous êtes, messieurs, qui ne cédez ni en savoir ni en mérite à nul de ceux qui vous ont précédés.

L'un1, aussi correct dans sa langue que s'il l'avoit apprise par régles et par principes, aussi élégant dans les langues étrangères que si elles lui étoient naturelles, en quelque idiome qu'il compose, semble toujours parler celui de son pays: il a entrepris, il a fini une pénible traduction que le plus bel esprit pourroit avouer, et que le plus pieux personnage devroit desirer d'avoir faite.

L'autre fait revivre Virgile parmi nous, transmet dans notre langue les graces et les richesses de la latine, fait des romans qui ont une fin, en bannit le prolixe et l'incroyable, pour y substituer le vraisemblable et le naturel.

1 L'abbé de Choisy, qui a fait une traduction de l'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.

2 Ségrais, traducteur des GÉORGIQUES et de l'ÉNÉIDE de Virgile, et auteur présumé de Zaïde et de la Princesse de Clèves, qu'on a su depuis être de madame de La Fayette.

Un autre, plus égal que Marot et plus poëte que Voiture, a le jeu, le tour, et la naïveté de tous les deux; il instruit en badinant, persuade aux hommes la vertu par l'organe des bêtes; élève les petits sujets jusqu'au sublime: homme unique dans son genre d'écrire; toujours original, soit qu'il invente, soit qu'il traduise; qui a été audelà de ses modèles, modèle lui-même difficile à imiter.

Celui-ci passe Juvénal, atteint Horace, semble créer les pensées d'autrui, et se rendre propre tout ce qu'il manie; il a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les graces de la nouveauté et tout le mérite de l'invention: ses vers forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec art, pleins de traits et de poésie, seront lus encore quand la langue aura vieilli, en seront les derniers débris: on y remarque une critique sûre, judicieuse, et innocente, s'il est permis du moins de dire de ce qui est mauvais qu'il est mauvais.

Cet autre3 vient après un homme loué, applaudi, admiré, dont les vers volent en tous lieux et passent en proverbe, qui prime, qui règne sur la scène, qui s'est emparé de tout le théâtre: il ne l'en dépossède pas, il est vrai; mais il s'y établit avec lui, le monde s'accoutume à en voir faire la comparaison:

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quelques uns ne souffrent pas que Corneille, le grand Corneille, lui soit préféré; quelques autres, qu'il lui soit égalé : ils en appellent à l'autre siècle, ils attendent la fin de quelques vieillards qui, touchés indifféremment de tout ce qui rappelle leurs premières années, n'aiment peut-être dans OEdipe que le souvenir de leur jeunesse.

Que dirai-je1 de ce personnage qui a fait parler si long-temps une envieuse critique et qui l'a fait taire; qu'on admire malgré soi, qui accable par le grand nombre et par l'éminence de ses talents? orateur, historien, théologien, philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire: un défenseur de la religion, une lumière de l'Église, parlons d'avance le langage de la postérité, un père de l'Église! Que n'est-il point? Nommez, messieurs, une vertu qui ne soit point la sienne.

Toucherai-je aussi votre dernier choix si digne de vous 2? Quelles choses vous furent dites dans la place où je me trouve! je m'en souviens; et après ce que vous avez entendu, comment osai-je parler? comment daignez-vous m'entendre? Avouons-le, on sent la force et l'ascendant de ce rare esprit, soit qu'il prêche de génie et sans préparation, soit

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qu'il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu'il explique ses pensées dans la conversation: toujours maître de l'oreille et du cœur de ceux qui l'écoutent, il ne leur permet pas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité, de délicatesse, de politesse: on est assez heureux de l'entendre, de sentir ce qu'il dit, et comme il le dit; on doit être content de soi si l'on emporte ses réflexions, et si l'on en profite. Quelle grande acquisition avezvous faite en cet homme illustre! à qui m'associezvous!

Je voudrois, messieurs, moins pressé par le temps et par les bienséances qui mettent des bornes à ce discours, pouvoir louer chacun de ceux qui composent cette Académie par des endroits encore plus marqués et par de plus vives expressions. Toutes les sortes de talents que l'on voit répandus parmi les hommes se trouvent partagées entre vous. Veut-on de diserts orateurs, qui aient semé dans la chaire toutes les fleurs de l'éloquence, qui, avec une saine morale, aient employé tous les tours et toutes les finesses de la langue, qui plaisent par un beau choix de paroles, qui fassent aimer les solennités, les temples, qui y fassent courir; qu'on ne les cherche pas ailleurs, ils sont parmi vous. Admire-t-on une vaste et profonde littérature qui aille fouiller dans les archives de

l'antiquité pour en retirer des choses ensevelies dans l'oubli, échappées aux esprits les plus curieux, ignorées des autres hommes, une mémoire, une méthode, une précision à ne pouvoir, dans ces recherches, s'égarer d'une seule année, quelquefois d'un seul jour sur tant de siècles; cette doctrine admirable, vous la possédez; elle est du moins en quelques uns de ceux qui forment cette savante assemblée. Si l'on est curieux du don des langues joint au double talent de savoir avec exactitude les choses anciennes, et de narrer celles qui sont nouvelles avec autant de simplicité que de vérité, des qualités si rares ne vous manquent pas, et sont réunies en un même sujet. Si l'on cherche des hommes habiles, pleins d'esprit et d'expérience, qui, par le privilège de leurs emplois, fassent parler le prince avec dignité et avec justesse ; d'autres qui placent heureusement et avec succès dans les négociations les plus délicates les talents qu'ils ont de bien parler et de bien écrire; d'autres encore qui prêtent leurs soins et leur vigilance aux affaires publiques, après les avoir employés aux judiciaires, toujours avec une égale réputation; tous se trouvent au milieu de vous, et je souffre à ne les pas nommer.

Si vous aimez le savoir joint à l'éloquence, vous n'attendrez pas long-temps; réservez seulement

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