Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde: Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un lion Un rat sortit de terre assez à l'étourdie. Quelqu'un aurait-il jamais cru Font plus que force ni que rage (3). Le sujet de cette fable a aussi été traité par Marot. Dans la fable de Marot le rat ne peut sortir d'un lien, parce qu'il avait mangé trop de lard. Le lion, à force d'ongles et de dents, parvient à rompre la ratière, Dont maistre rat eschappe vistement : Puis meit à terre un genouil gentement, (1) Esop., 98, 221, Leo et Mus. - Marot, Épître x1. (2) Dans la fable L'Aigle et l'Escarbot, ainsi que dans Le Lion et le Moucheron, le fabuliste, nous l'avons déjà remarqué, menace la force des vengeances de la faiblesse. Ici, au contraire, il montre quels services la faiblesse peut rendre à la force, quand celle-ci a été généreuse envers elle. La Fontaine est, sans aucun doute, l'écrivain le plus démocrate de toute cette grande littérature classique, ce qui ne l'empêche pas d'être aussi quelquefois courtisan très-empressé. (3) Nihil est quod longinquitas temporis efficere non possit. CICERO, de Divinatione a 1824 Et en ostant son bonnet de la teste, A mercié mille foys la grand'beste. A quelque temps de là, le lion se trouve pris à son tour. Le rat, qui n'a point oublié le service rendu, vient payer la dette de la reconnaissance : Sire lion (dit le filz de souris), De ton propos (certes) je me soubzris : Ne se perd point quelque part ou soit faict. (OEuvres complètes de Clément Marot. Paris, 1824, in-8°, tome 1er, pages 340 et 341.) XII. La Colombe et la Fourmi (1). L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits. Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe, S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive. Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté, (1) Esop., 118, 41, Formica et Columba. (2) L'S est ici une licence poétique nécessitée par la mesure du vers. Les licences de ce genre étaient très-autorisées par l'usage au siècle de Louis XIV. Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus: Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus, Il le croit en son por, et déjà lui fait fête. Le vilain retourne la tête: La colombe l'entend, part, et tire de long. ི་་་་་མ XIII. L'Astrologue qui se laisse tomber dans Un astrologue un jour se laissa choir Cette aventure en soi, sans aller plus avant (2), (1) Esop., 19, 169, Astrologus. (2) On peut s'étonner aujourd'hui de voir La Fontaine attaquer avec cette magnificence de raison et de poésie, une croyance aussi absurde que la croyance à l'astrologie; c'est que de son temps cette prétendue science était encore fort à la mode, et la folie datait de loin. Sous les règnes de Henri III et de Henri IV, il n'était question à la cour que des prédictions des astroogues. L'habitude de consulter des devins, de faire tirer son horoscope, persista à travers tout le xvie siècle, et l'on sait qu'à la naissance de Louis XIV, on fit entrer l'astrologue Morin dans la chambre même de la reine mère pour tirer l'horoscope de l'héritier de la couronne. Cet horoscope, frappé sur des médailles d'or et d'argent, fut répandu par toute la France. Morin avait été souvent consulté par Mazarin et Richelieu sur leurs entreprises Fénelon, comme La Fontaine, a attaqué ces absurdes rêveries; et l'on peut rapprocher de la fable ci-dessus, le dialogue entre la reine Marie de Médicis et le cardinal de Richelieu, sur la Vanité de l'astrologie, dans Fénelon, OEuvres. Paris Lebel, 1820-24, in-8, t. xix, p. 411. Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d'entendre dire Qu'au livre du Destin les mortels peuvent lire. Or du hasard il n'est point de science: De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort; Quant aux volontés souveraines De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein, Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles? De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ? Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire, D'amener les saisons, de mûrir les semences, Charlatans, faiseurs d'horoscope, Quittez les cours des princes de l'Europe; Emmenez avec vous les souffleurs (1) tout d'un temps: (1) Les alchimistes. Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens. Je m'emporte un peu trop : revenons à l'histoire C'est l'image de ceux qui bâillent (1) aux chimères, Soit pour eux, soit pour leurs affaires. (1) Pour baaillent, comme on le voit dans les éditions premières, de bier ou bayer, regarder; on dit encore bayer aux corneilles. XIV. Le Lièvre et les Grenouilles (1). Un lièvre en son gîte songeait. (Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe? ) Sont, disait-il, bien malheureux! Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite : (1) Esop., 150, 89, et 57, Lepores el Rana. (2) Ce détail est exact. Le lièvre dort, en effet, les yeux ouverts. (3) La faiblesse est le seul défaut qu'on ne puisse corriger. LA ROCHEFOUCAULD. |