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Pour faire court, elle l'obtient.

Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.

La lice cette fois montre les dents, et dit:
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.

Ses enfants étaient déjà forts.

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette:
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête

Il faut que l'on en vienne aux coups;
Il faut plaider; il faut combattre.
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

VIII.

L'Aigle et l'Escarbot (1).

L'aigle donnait la chasse à maître Jean lapin,
Qui droit à son terrier s'enfuyait au plus vite.
Le trou de l'escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte

Était sûr: mais où mieux ? Jean lapin s'y blottit.
L'aigle fordant sur lui nonobstant cet asile,

L'escarbot intercède, et dit:

Princesse des oiseaux (2), il vous est fort facile
D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux:
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie;
Et puisque Jean lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux :
C'est mon voisin, c'est mon compère.

(1) Vie d'Esope, p. 79 de l'édit, de Nevelet; et Æsop., fab. 223, 2, Aquila et Scarabæus.

(2) Aigle est du féminin dans toute cette fable, il le fallait; La Fontaine parle d'une mère.

(CH. NODIER.)

L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l'aile l'escarbot,
L'étourdit, l'oblige à se taire,

Enlève Jean lapin, L'escarbot indigné

Vole au nid de l'oiseau, fracasse, en son absence,
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance:
Pas un seul ne fut épargné.

L'aigle étant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris; et, pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain; sa plainte au vent se perd
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut:
La mort de Jean lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.
L'oiseau qui porte Ganymède

Du monarque des dieux enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu'en paix
Ils seront dans ce lieu; que, pour ses intérêts,
Jupiter se verra contraint de les défendre:
Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas

Leur ennemi changea de note,

Sur la robe du dieu fit tomber une crotte:
Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.
Quand l'aigle sut l'inadvertance,
Elle menaça Jupiter

D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert;

De quitter toute dépendance,

Avec mainte autre extravagance.

Le pauvre Jupiter se tut:

Devant son tribunal l'escarbot comparut,

Fit sa plainte, et conta l'affaire.

On fit entendre à l'aigle, enfin, qu'elle avait tort.

Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le monarque des dieux s'avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'aigle fait l'amour
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d'hiver, et, comme la marmotte,
Se cache, et ne voit point le jour (1).

(1) La moralité de cette fable n'est point déduite, mais elle se devine, et, comme dans beaucoup d'autres fables de notre poëte, elle va droit à l'adresse de ceux qui abusent de leur force contre les faibles, et montre, ainsi que la suivante, que les faibles peuvent toujours se venger.

IX.

Le Lion et le Moucheron (1).

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre (2)!
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre :
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi

Me fasse peur ni me soucie (3)?
Un bœuf est plus puissant que toi;
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;

Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ;

(1) Esop. 259, 149, Culex et Leo.

(2) Malherbe a dit, en parlant du maréchal d'Ancre :

Va-t'en à la malheure, excrément de la terre,

Monstre qui dans la paix fais les maux de la guerre. La Fontaine s'est évidemment souvenu du premier de ces vers. (8) Me soucie: me cause le moindre embarras.

Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir
Le malheureux lion se déchire lui-même
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents.

L'insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

X. L'Ane chargé d'éponges et l'Ane chargé de sel (1).

Un ânier, son sceptre à la main,
Menait, en empereur romain,

Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchait comme un courrier;

Et l'autre, se faisant prier,

(1) Esop., édit. Nevelet, 258, Asinus sale onustus. Gabr., Fabulæ, édit. Nevelet, fab. 33, De Asino et sale et spongiis.

Portait, comme on dit, les bouteilles (1) .
Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monts, par vaux, et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.
L'ânier, qui tous les jours traversait ce gué-là,
Sur l'âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa:
Car, au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien,
Que le baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison. (1)

Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point

Agir chacun de même sorte.
J'en voulais venir à ce point.

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