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Un chat, nommé Rodilardus (2), Faisait de rats telle déconfiture,

Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.

Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,

Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin,

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;
Qu'ainsi, quand il irait en guerre,

De sa marche avertis, ils s'enfuiraient sous terre:
Qu'il n'y savait que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit: Je n'y vas point, je ne suis pas si sot;
L'autre: Je ne saurais. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire (3) chapitres de chanoines.

(1) Abstemius, 195, De Muribus tintinnabulum Feli appendere volentibus.

-Faerni Fabulæ, 1697, in-12, liv. IV, fab. 4, Mures.

(2) Rodilard, rongeur de lard, mot forgé par Rabelais. (3) Même.

Ne faut-il que délibérer?

La cour en conseillers foisonne:

Est-il besoin d'exécuter?

L'on ne rencontre plus personne.

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Le Loup plaidant contre le Renard par-
devant le Singe (1).

Un loup disait que l'on l'avait volé :
Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé

Non point par avocats, mais par chaque partie.
Thémis n'avait point travaillé,

De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suait en son lit de justice.

Après qu'on eut bien contesté,

Répliqué, crié, tempêté,

Le juge, instruit de leur malice,

Leur dit: Je vous connais de longtemps, mes amis;
Et tous deux vous paierez l'amende :

Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris;
Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.

Le juge prétendait qu'à tort et à travers

On ne saurait manquer condamnant un pervers.

Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe étaient une chose à censurer; mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre: et c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

(1) Phædr., I, 10, Lupus et Vulpes, judice Simio.

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Les deux Taureaux et une Grenouille (1).

Deux taureaux combattaient à qui posséderait
Une génisse avec l'empire.
Une grenouille en soupirait.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant (2)
Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un; que l'autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux,
Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la génisse.

Cette crainte était de bon sens.

L'un des taureaux en leur demeure
S'alla cacher, à leurs dépens:

Il en écrasait vingt par heure.

Hélas! on voit que de tout temps

Les petits ont pâti des sottises des grands (3).

(1) Phædr., I, 30, Ranæ el Tauri.

(2) On lit tantôt croassant, tantôt coassant. Ch. Nodier veut cronssant, & c'est ainsi que portent les éditions données par La Fontaine, attendu, dit le commentateur, que la distinction entre les deux mots n'a jamais été faite du temps de La Fontaine. M. Walckenaer, de son côté, s'appuie sur le dictionnaire de Nicot, imprimé en 1606, pour prouver que cette distinction est très-ancienne dans notre langue; croassant, dit-il, est une faute qui doit être rejetée sur le compte de l'imprimeur. Nous avons pensé que le plus simple était de nous en rapporter au texte de La Fontaine.

(8) Horace a dit :

Quidquid delirant reges plectuntur Achivi.

V. La Chauve-Souris et les deux Belettes (1).

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Une chauve-souris donna tête baissée

Dans un nid de belette; et, sitôt qu'elle y fut,

L'autre, envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.

Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire !
N'êtes-vous pas souris ? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes; ou bien je ne suis pas belette.
Pardonnez-moi, dit la pauvrette,

Ce n'est pas ma profession.

Moi, souris ! des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l'auteur de l'univers,

Je suis oiseau; voyez mes ailes :
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.

La dame du logis avec son long museau
S'en allait la croquer en qualité d'oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage.
Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'oiseau? c'est le plumage.
Je suis souris, vivent les rats!
Jupiter confonde les chats!
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.

(1) Esop., 125, 109, Vespertilio et Mustela.

Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants,

Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue (1).
Le sage dit, selon les gens:
Vive le roi! Vive la ligue!

(1) Faire la figue, se moquer. Cette expression remonte au xe siècle.

VI. L'oiseau blessé d'une flèche (1).

Mortellement atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa triste destinée,
Et disait, en souffrant un surcroît de douleur:
Faut-il contribuer à son propre malheur?

Cruels humains! vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles !
Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié:
Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre.
Des enfants de Japhet toujours une moitié
Fournira des armes à l'autre.

(1) Esop., 218, Sagittarius et Aquila; 133, Aquila.

VII. - La Lice et sa Compagne (').

Une lice étant sur son terme,

Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne revient.
La lice lui demande encore une quinzaine;
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine.

(1) Phædr., I, 19 Canis parturiens.

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