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Il était malaisé de décider la chose:

Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que des abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons
Ces enseignes étaient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.

Le point n'en peut être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte:
N'a-t-il point assez léché l'ours (1)?
Sans tant de contredits et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous:

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.

Le refus des frelons fit voir

Que cet art passait leur savoir;

Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties (2).

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode !

(1) Selon toute apparence La Fontaine s'est ici souvenu de ce passage de Rabelais: « Un procès à sa naissance première me semble informe et imparfait Comme un ours naissant n'a pieds, ni mains, peau, poil, ni tête : ce n'est qu'une pièce de chair rude et informe; l'ourse, à force de lécher, la met en perfection des inembres. Semblablement, les sergents, huissiers, chicaneurs, procureurs, juges, suçant bien fort et continuellement les bourses des parties, engendrent à leurs procès tête, pieds, griffes, bec, dents, mains, veines, artères, nerfs, muscles, humeurs. Ainsi rendent le procès parfait, ga

lant et bien formé.

(2) A la partie adverse.

Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code

Il ne faudrait point tant de frais;

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs;

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs (1).

(1) Voyez ci-après livre IX, fable IX.

XXII.

Le Chêne et le Roseau (1).

Le chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage;

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Esop., 59, 143, Arundo er !) Avienus, fab. 16, Quercus et Arundo. Oliva. Conférez Fabulæ asopica, données par Rochefort, dans les Notices des manuscrits, t. II, p. 223: Les Roseaux et les Cyprès.

Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts (1).

(1) Virgile a dit :

Quæ quantum vertice ad auras

Ethereas, tantum radice in Tartara tendit.
Racan a dit aussi, en parlant d'un chêne, qu'il :

Attache dans l'enfer ses profondes racines,
Et de ses larges bras touche le firmament.

I.

LIVRE SECOND.

Contre ceux qui ont le goût difficile (1).

Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope
Les dous qu'à ses amants cette Muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges d'Ésope:
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions:
On le peut, je l'essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau;
J'ai passé plus avant : les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos critiques,

Vous parlez magnifiquement

De cinq ou six contes d'enfant.

Ceriseurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques,
Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens,
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avaient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,

N'avaient pu mettre à bout cette fière cité:
Quand un cheval de bois par Minerve inventé,
D'un rare et nouvel artifice,

Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,

(1) Phædr., IV. 7, Phædrus.

Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,

Que ce colosse monstrueux

Avec leurs escadrons devait porter dans Troie,
Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie
Stratagème inouï, qui des fabricateurs

Paya la constance et la peine...

C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs
La période est longue, il faut reprendre haleine;
Et puis, votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,
Ce sont des contes plus étranges

Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix:
De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style.
Eh bien, baissons d'un ton. La jalouse Amarylle
Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins
N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules;
Il entend la bergère adressant ces paroles
Au doux zéphyr, et le priant
De les porter à son amant...
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l'instant;
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez grande vertu :
Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
Maudit censeur! te tairas-tu?

Ne saurais-je achever mon conte?
C'est un dessein très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux :
Rien ne saurait les satisfaire.

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