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XVI.

La Mort et le Bûcheron (').

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.

C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère (2).

Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

(1) Esop., 50, 20, 146, Senex et Mors. Corrozet, fable 80, Un vieillard appelant la Mort. - Guichardin, Heures de récréations, trad. de Belleforest, 1605; Anvers, in-12, p. 190.

(2) Il y a dans cet hémistiche une certaine obscurité. La Fontaine a-t-il voulu dire « tu ne perdras rien à me laisser vivre, car tu ne tarderas guère à revenir (sous-entendu), » ou bien « si tu m'aides, tu auras bientôt fait de recharger mon bois, c'est peu de chose que je te demande. » Les avis sont partagés entre ces deux sens.

XVII.

L'Homme entre deux áges, et ses deux
Maîtresses (1).

Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il était saison

De songer au mariage.
Il avait du comptant,
Et partant

De quoi choisir; toutes voulaient lui plaire :
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant;
Bien adresser n'est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part :
L'une encor verte; et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois têtonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tous moments, de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,

Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les belles,
Qui m'avez si bien tondu.

J'ai plus gagné que perdu ;

Car d'hymen point de nouvelles.

(1) Phædr., II, 2;

Esop., 199, 165, Homo semicanus et Amasiæ ejus; -Saint-Vincent Ferrier, Serm. 3, De luxuria, cité dans Guillaume, Recherches, etc., p. 9-12.

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Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.

Il n'est tête chauve qui tienne :
Je vous suis obligé, belles, de la leçon.

XVIII. Le Renard et la Cigogne (1).

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cicogne.

Le régal fut petit, et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
A l'heure dite, il courut au logis
De la cicogne son hôtesse;
Loua très-fort sa politesse;
Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,

(1) Phædr., I, 26, Vulpes et Ciconia

Serrant la queue et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

XIX.

L'Enfant et le Maître d'école (1).

Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.

Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école;
L'enfant lui crie: Au secours ! je péris!
Le magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avise
De le tancer: Ah ! le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!

Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connaître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l'engeance.

En toute affaire, ils ne font que songer

(1) Lokman, 25, L'Enfant. Rabelais, liv. I, 42.

Au moyen d'exercer leur langue. Eh! mon ami, tire-moi de danger: Tu feras après ta harangue.

XX.

Le Coq et la Perle (1).

Un jour un coq détourna (!)
Une perle, qu'il donna
Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il ;

Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire.

Un ignorant hérita

D'un manuscrit, qu'il porta
Chez son voisin le libraire.

Je crois, dit-il, qu'il est bon;

Mais le moindre ducaton

Serait bien mieux mon affaire.

-

(1) Phædr., III, 1, Pullus ad Margaritam. Anonymi Neveleti, I, De Gallo et Jaspide.

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Les Frelons et les Mouches à miel (1).

A l'œuvre on connaît l'artisan (2).

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent:

Des frelons les réclamèrent;

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.

(1) Phædr., III, 13, Apes et Fuci, Vespa judice.

(2)

Opus artificem probat.

On connaît au fait que vaut l'homme.

PHEDRE.

BAÏF.

(1) retourna

en

grattant?

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