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Baucis sort à ces mots pour réparer l'erreur.
Dans le verger courait une perdrix privée,
Et par de tendres soins dès l'enfance élevée;
Elle en veut faire un mets, et la poursuit en vain :
La volatile échappe à sa tremblante main;

Entre les pieds des dieux elle cherche un asile.
Ce recours à l'oiseau ne fut pas inutile :
Jupiter intercède. Et déjà les vallons

Voyaient l'ombre en croissant tomber du haut des monts (1).

Les dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes.
De ce bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes :
Suivez-nous. Toi, Mercure, appelle les vapeurs.

O gens durs! vous n'ouvrez vos logis ni vos cœurs!
Il dit : et les autans troublent déjà la plaine.
Nos deux époux suivaient, ne marchant qu'avec peine;
Un appui de roseau soulageait leurs vieux ans :
Moitié secours des dieux, moitié peur, se hâtants,
Sur un mont assez proche enfin ils arrivèrent.
A leurs pieds aussitôt cent nuages crevèrent.
Des ministres du dieu les escadrons flottants
Entraînèrent, sans choix, animaux, habitants,
Arbres, maisons vergers, toute cette demeure;
Sans vestiges du bourg, tout disparut sur l'heure.
Les vieillards déploraient ces sévères destins.
Les animaux périr! car encor les humains,
Tous avaient dû tomber sous les célestes armes :
Baucis en répandit en secret quelques larmes.

Cependant l'humble toit devient temple, et ses murs
Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs.
De pilastres massifs les cloisons revêtues

En moins de deux instants s'élèvent jusqu'aux nues;
Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris (1).

(1) Majoresque cadunt altis de montibus umbræ. (2) Raceinte.

(VIRGILE.)

Tous ces événements sont peints sur le lambris.
Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d'Apelle!
Ceux-ci furent tracés d'une main immortelle.
Nos deux époux, surpris, étonnés, confondus,
Se crurent, par miracle, en l'Olympe rendus.
Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures:
Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures
Pour présider ici sur les honneurs divins,
Et prêtres vous offrir les vœux des pélerins!
Jupiter exauça leur prière innocente.

Hélas! dit Philémon, si votre main puissante
Voulait favoriser jusqu'au bout deux mortels,
Ensemble nous mourrions en servant vos autels.

Clothon ferait d'un coup ce double sacrifice;

D'autres mains nous rendraient un vain et triste office;
Je ne pleurerais point celle-ci, ni ses yeux

Ne troubleraient non plus de leurs larmes ces lieux.
Jupiter à ce vœu fut encor favorable.
Mais oserai-je dire un fait presque incroyable?
Un jour qu'assis tous deux dans le sacré parvis,
Ils contaient cette histoire aux pèlerins ravis,
La troupe à l'entour d'eux debout prêtait l'oreille;
Philémon leur disait: Ce lieu plein de merveille
N'a pas toujours servi de temple aux immortels :
Un bourg était autour, ennemi des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle (1) d'impies;
Du céleste courroux tous furent les hosties (2).
Il ne resta que nous d'un si triste débris :
Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris ;
Jupiter l'y peignit. En contant ces annales,
Philémon regardait Baucis par intervalles;
Elle devenait arbre, et lui tendait les bras;
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas.

(1) Ilabitation.

(2) Les victimes.

Il veut parler, l'écorce a sa langue pressée.
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée :

Le corps n'est tantôt (1) plus que feuillage et que bois.
D'étonnement la troupe ainsi qu'eux perd la voix.
Même instant, même sort à leur fin les entraîne;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
On les va voir encore, afin de mériter

Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre,
Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans.
Ah! si... Mais autre part j'ai porté mes présents.
Célébrons seulement cette métamorphose.
De fidèles témoins m'ayant conté la chose,
Clio me conseilla de l'étendré en ces vers,
Qui pourront quelque jour l'apprendre à l'univers.
Quelque jour on verra chez les races futures
Sous l'appui d'un grand nom passer ces aventures.
Vendôme, consentez au lôs (2) que j'en attends;
Faites-moi triompher de l'Envie et du Temps:
Enchaînez ces démons, que sur nous ils n'attentent,
Ennemis des héros et de ceux qui les chantent.
Je voudrais pouvoir dire en un style assez haut
Qu'ayant mille vertus vous n'avez nul défaut.
Toutes les célébrer serait œuvre infinie;
L'entreprise demande un plus vaste génie :
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer?
Sans parler de celui qui force à vous aimer.

Vous joignez à ces dons l'amour des beaux ouvrages;
Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages;
Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présents

Que nous font à regret le travail et les ans.
Peu de gens élévés, peu d'autres encor même,

(1) Tantôt synonyme de bientôt.

($) Louange.

Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.
Si quelque enfant des dieux les possède, c'est vous ;
Je l'ose dans ces vers soutenir devant tous.
Clio, sur son giron, à l'exemple d'Homère,
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire:
On dit qu'elle et ses sœurs, par l'ordre d'Apollon,
Transportent dans Anet (1) tout le sacré vallon;
Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages!
Puissent-ils tout d'un coup élever leurs sourcils,
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis (2) !

(1) Anet, château célèbre que Henri II, en 1552, fit construire pour Diane de Poitiers, par Philibert Delorme, son architecte. Ce château, situé près de Dreux, appartenait alors au duc de Vendôme.

(2) Qui a été aussi Grec que La Fontaine dans Philémon et Baucis, dans certains passages de la Mort d'Adonis, ou de Psyché? Lui, le Champenois qui savai si peu de grec, je pense! (J. J. ANPÈRE.)

LES FILLES DE MINÉE.

SUJET TIRÉ DES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE.

Je chante dans ces vers les filles de Minée,
Troupe aux arts de Pallas dès l'enfance adonnée,
Et de qui le travail fit entrer en courroux
Bacchus, à juste droit de ses honneurs jaloux.
Tout dieu veut aux humains se faire reconnaître :
On ne voit point les champs répondre aux soins du maître,
Si dans les jours sacrés, autour de ses guérets,

Il ne marche en triomphe à l'honneur de Cérès.

La Grèce était en jeux pour le fils de Sémèle.
Seules on vit trois sœurs condamner ce saint zèle:
Alcithoé, l'aînée, ayant pris ses fuseaux,

Dit aux autres: Quoi donc ! toujours des dieux nouveaux!
L'Olympe ne peut plus contenir tant de têtes,

Ni l'an fournir de jours assez pour tant de fêtes.
Je ne dis rien des vœux dus aux travaux divers
De ce dieu qui purgea de monstres l'univers :
Mais à quci sert Bacchus, qu'à causer des querelles,
Affaiblir les plus sains, enlaidir les plus belles,
Souvent mener au Styx par de tristes chemins?
Et nous irons chômer la peste des humains!
Pour moi, j'ai résolu de poursuivre ma tâche.
Se donne qui voudra, ce jour-ci, du relâche;
Ces mains n'en prendront point. Je suis encor d'avis
Que nous rendions le temps moins long par des récits:
Toutes trois, tour à tour, racontons quelque histoire.
Je pourrais retrouver sans peine en ma mémoire

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