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Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.
Là, sous d'âpres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des vents, ignoré du soleil,

Ils trouvent l'autre saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui, mieux que vous, sait vos besoins?

Apprendre à se connaître est le premier des soins (1)
Qu'impose à tout mortel la majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité:
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l'eau vous y voyez-vous ?

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Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous?
La vase est un épais nuage

Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer.
Mes frères, dit le saint, iaissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.

Pour vous mieux contempler, demeurez au désert.
Ainsi parla le solitaire.

Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire.

Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert.

Puisqu'on plaide et qu'on meurt, et qu'on devient malade,
Il faut des médecins, il faut des avocats;

Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas :
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s'oublie en ces communs besoins.
O vous, dont le public emporte lous les soins,
Magistrats, princes, et ministres,

Vous que doivent troubler mille accidents sinistres,

(4) Γνῶθι σεαυτον.

Inscription du temple de Delphcs.

Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne.
Quelque flatteur vous interrompt.

Cette leçon sera la fin de ces ouvrages:
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir!

Je la présente aux rois, je la propose aux sages:
Par où saurais-je mieux finir?

FIN DES FABLES.

PHILÉMON ET BAUCIS.

SUJET TIRÉ DES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE.

A MONSEIGNEUR

LE DUC DE VENDOME ().

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
Ces deux divinités n'accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille :

Des soucis dévorants c'est l'éternel asile;

Véritables vautours, que le fils de Japet

Représente, enchaîné sur son triste sommet (*).
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste.
Le sage y vit en paix et méprise le reste :
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois;

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne
Que la Fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,
Rien ne trouble sa fin: c'est le soir d'un beau jour.

Philémon et Baucis nous en offrent l'exemple :
Tous deux virent changer leur cabane en un temple.

(1) Louis-Joseph, duc de Vendôme, arrière-petit-fils de Henri IV, naquit le 1er juillet 1654, et mourut le 11 juin 1712 en Catalogne. Il fut, ainsi que son frère le grand prieur, un des amis et un des protecteurs les plus généreux de notre poëte.

(2) Prométhée enchaîné sur le Caucase.

Hyménée et l'Amour, par des désirs constants,

Avaient uni leurs cœurs dès leur plus doux printemps: Ni le temps ni l'hymen n'éteignirent leur flamme; Clothon prenait plaisir à filer cette trame.

Ils surent cultiver, sans se voir assistés,

Leur enclos et leur champ par deux fois vingt étés.
Eux seuls ils composaient toute leur république :
Heureux de ne devoir à pas un domestique

Le plaisir ou le gré des soins qu'ils se rendaient!
Tout vieillit sur leur front les rides s'étendaient;
L'amitié modéra leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d'amour sut encor se produire.

Ils habitaient un bourg plein de gens dont le cœur
Joignait aux duretés un sentiment moqueur.
Jupiter résolut d'abolir cette engeance.

ll part avec son fils, le dieu de l'éloquence (1);
Tous deux en pèlerins vont visiter ces lieux.
Mille logis y sont, un seul ne s'ouvre aux dieux.
Prêts enfin à quitter un séjour si profane,
Ils virent à l'écart une étroite cabane,
Demeure hospitalière, humble et chaste maison.
Mercure frappe: on ouvre. Aussitôt Philémon
Vient au-devant des dieux, et leur tient ce langage:
Vous me semblez tous deux fatigués du voyage,
Reposez-vous. Usez du peu que nous avons ;
L'aide des dieux a fait que nous le conservons :
Usez-en. Saluez ces pénates d'argile :
Jamais le ciel ne fut aux humains si facile
Que quand Jupiter même était de simple bois ;
Depuis qu'on l'a fait d'or, il est sourd à nos voix.
Baucis, ne tardez point: faites tiédir cette onde:
Encor que le pouvoir au désir ne réponde,
Nos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus

(1) Mercure.

Quelques restes de feu sous la cendre épandus
D'un souffle haletant par Baucis s'allumèrent:
Des branches de bois sec aussitôt s'enflammèrent.
L'onde tiède, on lava les pieds des voyageurs.
Philémon les pria d'excuser ces longueurs :
Et pour tromper l'ennui d'une attente importune,
Il entretint les dieux; non point sur la fortune,
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des rois;
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare.
Cependant par Baucis le festin se prépare.
La table où l'on servit le champêtre repas
Fut d'ais non façonnés à l'aide du compas:
Encore assure-t-on, si l'histoire en est crue,
Qu'en un de ses supports le temps l'avait rompue.
Baucis en égala les appuis chancelants

Du débris d'un vieux vase, autre injure des ans.
Un tapis tout usé couvrit deux escabelles :
Il ne servait pourtant qu'aux fêtes solennelles.
Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tout mets,
D'un peu de lait, de fruits, et des dons de Cérès.
Les divins voyageurs, altérés de leur course,
Mêlaient au vin grossier le cristal d'une source.
Plus le vase versait, moins il s'allait vidant.
Philémon reconnut ce miracle évident;

Baucis n'en fit pas moins : tous deux s'agenouillèrent;
A ce signe d'abord leurs yeux se dessillèrent.
Jupiter leur parut avec ces noirs sourcils

Qui font trembler les cieux sur leurs pôles assis.
Grand dieu! dit Philémon, excusez notre faute.
Quels humains auraient cru recevoir un tel hôte?
Ces mets, nous l'avouons, sont peu délicieux :
Mais, quand nous serions roi, que donner à des dieux?
C'est le cœur qui fait tout : que la terre et que l'onde
Apprêtent un repas pour les maîtres du monde;
Ils lui préfèreront les seuls présents du cœur.

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