Page images
PDF
EPUB

N'importe, rien n'arrête un si noble projet :
Chacun se met en équipage;

Chacun met dans son sac un morceau de fromage;
Chacun promet enfin de risquer le paquet.

Ils allaient tous comme à la fête,

L'esprit content, le cœur joyeux.
Cependant le chat, plus fin qu'eux,
Tenait déjà la souris par la tête.
Ils s'avancèrent à grands pas
Pour secourir leur bonne amie:
Mais le chat, qui n'en démord pas,
Gronde, et marche au-devant de la troupe ennemie.
A ce bruit, nos très-prudents rats
Craignant mauvaise destinée,

Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas,
Une retraite fortunée.

Chaque rat rentre dans son trou;

Et si quelqu'un en sort, gare encor le matou (1)!

(1) Nous n'avons admis cette fable dans notre édition que sous toutes réserves, et pour nous conformer à l'usage adopté par tous les éditeurs. Nous croyons avec Ch. Nodier, qu'elle n'est point de La Fontaine. Cet éminent écrivain nous paraît avoir résolu cette question d'authenticité avec la double autorité du bibliographe et de l'homme de goût. Nous ne pouvons mieux faire que de le citer :

«Quant à la Ligue des Rats, qui est, par bonheur, une des pièces apocryphes de la première édition posthume, il n'y a que le plus impudent des contrefac teurs qui ait pu glisser ce pitoyable bout rimé parmi les Fables de La Fontaine :

C'étoit un maître rat,

Dont la rateuse seigneurie

S'étoit logée en bonne hôtellerie.

Ce mot forgé n'est pas dans le goût du peuple souriquois, ni de la gent trolle-menu. Quiconque, au reste, a un peu d'habitude du rhythme de ce grand poëte, ne seroit pas la dupe d'une supposition de ce genre, même quand la fable seroit aussi bonne d'ailleurs qu'elle est plate et mal tournée. Il n'y a point d'autre exemple dans ses ouvrages de vers de sept et de six syllabes jetés isolément, sans quelque puissant intérêt d'harmonie. Il n'a jamais employé le mot rates, qui n'est pas françois, quelque besoin qu'il en eût, et ce mot défigure ici le seul vers passable que l'auteur ait recontré :

Quelques rales, dit-on, répandirent des larmes.

Qui pourroit, enfin, attribuer à La Fontaine des lignes rimées aussi misérables que celles-ci :

Il arrive les sens troublés

Et tous les poumons essoufflés?

Mélanges de littérature et de critique, par CH. NODIER, mis en ordre par BARGINET, de Grenoble. Paris, 1820, in-8°, t. I, p. 332.

[blocks in formation]

A qui seule aujourd'hui mille cœurs font la cour,
Sans ceux que l'amitié rend soigneux de vous plaire,
Et quelques-uns encor que vous garde l'Amour,
Je ne puis qu'en (3) cette préface

Je ne partage entre elle et vous

Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse,
Et que j'ai le secret de rendre exquis et doux.
Je vous dirai donc... Mais tout dire,
Ce serait trop; il faut choisir,

Ménageant ma voix et ma lyre,

Qui bientôt vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit :
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit (“).

(1) Théocrite, idylle xviii.

(2) Madame de La Mésangère était la fille de madame de La Sablière. C'est elle que Fontenelle désigne sous le nom de la Marquise dans son ouvrage intitulé de la Pluralité des mondes.

(3) Latinisme : Non possum quin. (4) C'est-à-dire sans votre mère.

(WALCK.)

Gardez d'environner ces roses

De trop d'épines, si jamais

L'Amour vous dit les mêmes choses:
Il les dit mieux que je ne fais;
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l'oreille
A ses conseils. Vous l'allez voir.

Jadis une jeune merveille

Méprisait de ce dieu le souverain pouvoir :
On l'appelait Alcimadure :

Fier et farouche objet, toujours courant aux bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure
Et ne connaissant autres lois

Que son caprice; au reste, égalant les plus belles,
Et surpassant les plus cruelles;

N'ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs :
Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs!
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L'aima pour son malheur : jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,

Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,

Il ne songea plus qu'à mourir.

Le désespoir le fit courir

A la porte de l'inhumaine.

Hélas! ce fut aux vents qu'il raconta sa peine;
On ne daigna lui faire ouvrir

Cette maison fatale où, parmi ses compagnes,
L'ingrate, pour le jour de sa nativité,

Joignait aux fleurs de sa beauté

Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
J'espérais, cria-t-il, expirer à vos yeux;

Mais je vous suis trop odieux,

Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort (et je l'en ai chargé),

Doit mettre à vos pieds l'héritage
Que votre cœur a négligé.

Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
Tous mes troupeaux, avec mon chien ;
Et que du reste de mon bien

Mes compagnons fondent un temple
Où votre image se contemple,

Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment.
J'aurai près de ce temple un simple monument:
On gravera sur la bordure:

« Daphnis mourut d'amour. Passant, arrête-toi,
« Pleure, et dis: Celui-ci succomba sous la loi
« De la cruelle Alcimadure. »

A ces mots, par la Parque il se sentit atteint :
Il aurait poursuivi; la douleur le prévint.
Son ingrate sortit triomphante et parée.

On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment
Pour donner quelques pieurs au sort de son amant :
Elle insulta toujours au fils de Cythérée,

Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses compages danser autour de sa statue.

Le dieu tomba sur elle. et l'accabla du poids :
Une voix sortit de la nue;

Écho redit ces mots dans les airs épandus:

« Que tout aime à présent : l'insensible n'est plus. » Cependant de Daphnis l'ombre au Styx descendue Frémit, et s'étonna la voyant accourir.

Tout l'Érèbe entendit cette belle homicide
S'excuser au berger, qui ne daigna l'ouïr
Non plus qu'Ajax Ulysse, et Didon son perfide.

XXVII. Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire (1).

Trois saints, également jaloux de leur salut,
Portés d'un même esprit, tendaient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses:
Tous chemins vont à Rome; ainsi nos concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses,
Qu'en apanage on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune.
Depuis qu'il est des lois, l'homme, pour ses péchés,
Se condamne à plaider la moitié de sa vie :
La moitié, les trois quarts et bien souvent le tout.
Le conciliateur crut qu'il viendrait à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos saints choisit les hôpitaux.
Je le loue; et le soin de soulager les maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnaient de l'exercice au pauvre hospitalier;
Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse :
<< Il a pour tels et tels un soin particulier,

« Ce sont ses amis; il nous laisse. »
Ces plaintes n'étaient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'appointeur de débats :
Aucun n'était content; la sentence arbitrale
A nul des deux ne convenait :

Jamais le juge ne tenait

A leur gré la balance égale :

De semblables discours rebutaient l'appointeur:

(1) Arnauld d'Andilly, Vies des saints Pères du désert, 1653, 2 vol. in-40 t. II, p. 496.

« PreviousContinue »