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Que pour le métier de mouton
Jamais aucun loup ne soupire?

Ce qui m'étonne est qu'à huit ans
Un prince en fable ait mis la chose,
Pendant que, sous mes cheveux blancs.
Je fabrique à force de temps

Des vers moins sensés que sa prose (1).

Les traits dans sa fable semés
Ne sont en l'ouvrage du poëte
Ni tous ni si bien exprimés:
Sa louange en est plus complète.

De la chanter sur la musette,
C'est mon talent; mais je m'attends
Que mon héros, dans peu de temps,
Me fera prendre la trompette.

Je ne suis pas un grand prophète,
Cependant je lis dans les cieux
Que bientôt ses fait glorieux
Demanderont plusieurs Homères:
Et ce temps-ci n'en produit guères.
Laissant à part tous ces mystères,
Essayons de conter la fable avec succès.

Le renard dit au loup: Notre cher, pour tout mets
J'ai souvent un vieux coq, ou de maigres poulets:
C'est une viande qui me lasse.

Tu fais meilleure chère avec moins de hasard:
J'approche des maisons; tu te tiens à l'écart.

(1) On regrette de voir La Fontaine, l'écrivain quia osé dire, sous Louis XIV, notre ennemi c'est notre maître, pousser la flatterie jusqu'à humilier sou talent devant celui d'un enfant aussi jeune que le duc de Bourgogne; flatterie d'autant plus exagérée, qu'il n'ignorait pas que c'était Fénelon qui avait mis la chose en fable, et que le jeune duc n'avait fait que traduire en latin le sujet donné par son précepteur.

Apprends-moi ton métier, camarade, de grâce;
Rends-moi le premier de ma race

Qui fournisse son croc de quelque mouton gras:
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.
Je le veux, dit le loup: il m'est mort un mien frère;
Allons prendre sa peau, tu t'en revêtiras.

Il vint; et le loup dit: Voici comme il faut faire,
Si tu veux écarter les mâtins du troupeau.

Le renard, ayant mis la peau,

Répétait les leçons que lui donnait son maître. D'abord il s'y prit mal, puis un peu mieux, puis bien; Puis enfin il n'y manqua rien.

A peine il fut instruit autant qu'il pouvait l'être, Qu'un troupeau s'approcha. Le nouveau loup y court, Et répand la terreur dans les lieux d'alentour.

Tel, vêtu des armes d'Achille,

Patrocle mit l'alarme au camp et dans la ville:
Mères, brus, et vieillards, au temple couraient tous.
L'ost (1) du peuple bêlant crut voir cinquante loups:
Chien, berger, et troupeau, tout fuit vers le village,
Et laisse seulement une brebis pour gage.
Le larron s'en saisit. A quelques pas de là
Il entendit chanter un coq du voisinage.
Le disciple aussitôt droit au coq s'en alla,
Jetant bas sa robe de classe,

Oubliant les brebis, les leçons, le régent,
Et courant d'un pas diligent.

Que sert-il qu'on se contrefasse ?
Prétendre ainsi changer est une illusion:
L'on reprend sa première trace
A la première occasion.

De votre esprit, que nul autre n'égale,
Prince, ma muse tient tout entier ce projet :

(1) L'armée.

Vous m'avez donné le sujet,
Le dialogue, et la morale.

X.-L'Écrevisse et sa Fille (").

Les sages quelquefois, ainsi que l'écrevisse,
Marchent à reculons, tournent le dos au port.
C'est l'art des matelots : c'est aussi l'artifice
De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,
Envisagent un point directement contraire,
Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.
Mon sujet est petit, cet accessoire est grand :
Je pourrais l'appliquer à certain conquérant
Qui tout seul déconcerte une ligue à cent têtes.
Ce qu'il n'entreprend pas, et ce qu'il entreprend,
N'est d'abord qu'un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l'on a les yeux sur ce qu'il veut cacher,
Ce sont arrêts du sort qu'on ne peut empêcher :

Le torrent à la fin devient insurmontable.

Cent dieux sont impuissants contre un seul Jupiter.
Louis et le Destin me semblent de concert
Entraîner l'univers. Venons à notre fable.

Mère écrevisse un jour à sa fille disait:

Comme tu vas, bon Dieu ! ne peux-tu marcher droit?
Et comme vous allez vous-même ! dit la fille :
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu?
Elle avait raison: la vertu
De tout exemple domestique

Est universelle, et s'applique

En bien, en mal, en tout; fait des sages, des sots;

(1) Esop,, 205, Cancer et Mater. Aphton. XI, fabula Cancri, monens na suadeantur impossibilia.

Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j'y reviens; la méthode en est bonne,
Surtout au métier de Bellone :

Mais il faut le faire à propos.

XI. — L'Aigle et la Pie (1).

L'aigle, reine des airs, avec Margot la pie,
Différentes d'humeur, de langage, et d'esprit,
Et d'habit,

Traversaient un bout de prairie.

Le hasard les assemble en un coin détourné.
L'agasse (2) eut peur; mais l'aigle, ayant fort bien dîné,
La rassure, et lui dit : Allons de compagnie;

Si le maître des dieux assez souvent s'ennuie,

Lui qui gouverne l'univers,

J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers.
Entretenez-moi donc, et sans cérémonie.

Caquet-bon-bec (3) alors de jaser au plus dru,
Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme d'Horace,
Disant le bien, le mal, à travers champs, n'eût su
Ce qu'en fait de babil y savait notre agasse.
Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe,
Sautant, allant de place en place,
Bon espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu,
L'aigle lui dit tout en colère :

Ne quittez point votre séjour,
Caquet-bon-bec, ma mie: adieu; je n'ai que faire
D'une babillarde à ma cour:

(1) Abstemius, 26, De Aquila et Pica.

(2) Vieux mot, pour désigner la pie. On dit encore en Picardie agache, et en provençal agasso.

(3) Mot créé par La Fontaine et devenu populaire.

C'est un fort méchant caractère.

Margot ne demandait pas mieux.

Ce n'est pas ce qu'on croit que d'entrer chez les dieux :
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.
Rediseurs, espions, gens à l'air gracieux,

Au cœur tout différent, s'y rendent odieux :
Quoique ainsi que la pie il faille dans ces lieux
Porter hábit de deux paroisses (1).

(1) C'est-à-dire manifester souvent les sentiments les plus opposés, par allusion au plumage de la pie, qui est noir et blanc. Ce vers a été critiqué par Voltaire comme étant de mauvais goût.

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A. S. A. S. MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI (1).

Comme les dieux sont bons, ils veulent que les rois
Le soient aussi : c'est l'indulgence

Qui fait le plus beau de leurs droits,

Non les douceurs de la vengeance :

Prince, c'est votre avis. On sait que le courroux
S'éteint en votre cœur sitôt qu'on l'y voit naître.
Achille, qui du sien ne put se rendre maître,
Fut par là moins héros que vous.

Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes
Qui, comme en l'âge d'or, font cent biens ici-bas.

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Peu de grands sont nés tels en cet âge où nous sommes : L'univers leur sait gré du mal qu'ils ne font pas.

Loin que vous suiviez ces exemples

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(1) François-Louis, prince de La Roche-sur-Yon et de CONTI, né à Paris en 1664, et mort le 22 février 1709, l'un des amis et des protecteurs de notre poëte.

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