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VII.

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· Le Paysan du Danube (1).

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon; mais il n'est pas nouveau.
Jadis l'erreur du souriceau

Me servit à prouver le discours que j'avance :
J'ai, pour le fonder à présent,

Le bon Socrate, Ésope, et certain paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
Nous fait un portrait fort fidèle.

On connaît les premiers : quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci.

Son menton nourrissait une barbe touffue;
Toute sa personne velue

(1) Cassandre, Parallèles historiques, 1680, in-12, p. 433-470, le Paysan du Danube. Guevarra, el Relox de principi. —L'Horloge des princes, traduit du castillan en français par R. B. de Grise; Lyon, 1575, liv. III, ch. 1, p. 386-398.-Recueil mémorable d'aucuns cas merveilleux, par Jean de Marcouville; Paris, Dallier, 1564, in-8°. Histoires prodigieuses, extraites de plusieurs auteurs, par P. Boaistuau, Paris, Macé; 1576, in-8°.

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L'indication de ces deux derniers ouvrages a été faite, pour la première fois, par Ch. Nodier: Mélanges tirés d'une petite bibliothèque; Paris, 1829, in-8°, chap. xvIII. — SOURCES PEU CONNUES D'UNE DES PLUS BELLES FABLES DE LA FONTAINE, p. 161. Marc-Aurèle, cité à tort par La Fontaine, n'ayant point dit un seul mot qui ait trait au Paysan du Danube, tous les commentateurs se sont mis en quête pour savoir où notre auteur avait pu prendre le sujet de sa fable. On découvrit d'abord ce sujet dans Cassandre et dans Guevarra; mais Ch. Nodier, en indiquant comme source directe les Histoires prodigieuses de Boaistuau, nous paraît avoir rencontré juste. Les lecteurs penseront comme nous en lisant les extraits de Boaistuau, que nous plaçons, d'après Ch. Nodier, en regard des passages correspondants de La Fontaine; extraits qui sont ici signalés pour la première fois dans une édition de notre poëte.

Représentait un ours, mais un ours mal léché :
Sous un sourcil épais il avait l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portait sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins (').

Cet homme ainsi bâti fut député des villes
Que lave le Danube. Il n'était point d'asiles
Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors, et ne portât les mains.
Le député vint donc, et fit cette harangue:
Romains, et vous sénat assis pour m'écouter,
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris (2)!
Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice :

Faute d'y recourir, on viole leurs lvis.
Témoin nous que punit la romaine avarice :
Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,
Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour (3).

(1) Le visage petit, les lèvres grosses, les yeux profonds, la couleur aduste les cheveux hérissés, la teste découverte, les souliers de cuir de porc-épic, le saye de poil de chèvre, la ceinture de joncs marins, la barbe longue et espoisse, les sourcils qui luy couvroient les yeux, l'estomach et le col couvert de poil comme un ours, et un baston en la main. » (BOAISTUAC.)

(2) « Je prie aux dieux immortels qu'ils vous inspirent à bien gouverner la république à laquelle vous présidez, et qu'ils reiglent aujourd'hui ma langue, afin que je die ce qui est nécessaire pour mon pays.» (Idem.)

(3) « Tenez-vous asseurez que, tout ainsi que vous autres sans raison jettez les autres hors de leurs maisons, terres et possessions, autres viendront qui avec raison vous chasseront de Rome et d'Italie.. (Idem.)

Et pourquoi sommes-nous les vôtres? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains
Étaient propres aux arts, ainsi qu'au labourage.
Qu'avez-vous appris aux Germains?
Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avaient eu l'avidité,

Comme vous, et la violence,

Peut-être en votre place ils auraient la puissance,
Et sauraient en user sans inhumanité.
Celle que vos préteurs ont sur nous exercée
N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,

D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome:

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La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.

Retirez-les on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes ;
Nous laissons nos chères compagnes (1);

Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,

(1) Tous ceux de notre misérable royaume avons juré ensemble de jamais n'habiter avec noz femmes, et de tuer noz propres enfans pour ne pas les laisser tomber és mains de si cruelz et iniques tyrans comme vous estes; car nous desirons plus qu'ils meurent avec la liberté, que non qu'ils vivent avec servitude et captivité..... Je me détermine me bannir de ma maison et de ma douce compagne. »

(BOAISTUAU.)

Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime. Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés : Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime. Retirez-les ils ne nous apprendront

Que la mollesse et que le vice;

Les Germains comme eux deviendront

Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner; c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois : encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours, un peu fort,
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère.

A ces mots, il se couche; et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritait. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avait dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas longtemps à Rome

Cette éloquence entretenir.

VIII. Le Vieillard et les trois jeunes Hommes (1).

Un octogénaire plantait.

Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage :

(1) Abstemius, 167, de Viro decrepito arbcres inserente.

Assurément il radotait.

Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir
A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées;
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-mêmes,
Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement (1) ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage (2):
Eh bien, défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui:
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore;
Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique ;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés;
Le troisième tomba d'un arbre

(1) Chaque jour est un bien que du ciel je reçoi;

Je jouis aujourd'hui de celui qu'il me donne:
Il n'appartient pas plus aux jeunes gens qu'à moi,
Et celui de demain n'appartient à personne.

Carpent tua poma nepotes.

(REGNIER DESMARAIS).
(VIRGILE.)

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