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Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avaient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'était un très-bon plat:

Ils n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L'on ne s'en prenait point aux gens du voisinage:
Bertrand dérobait tout; Raton, de son côté,
Était moins attentif aux souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.

Les escroquer était une très-bonne affaire;
Nos galants y voyaient double profit à faire:
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton: Frère, il faut aujourd'hui

Que tu fasses un coup de maître;

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes, marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,
D'une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;

Puis les reporte a plusieurs fois;

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque:

(1) REGNERII Apologi Phædrii. Divione, 1643, in-12, pars II, fab. xxvIII, p. 77, Felis et Simius. Ce sujet même paraît plus ancien que Regnier; car les Italiens ont un vieux proverbe: Cavar le castagne dal fuoco con le zampe del gallo. (WALCK.)

Sur un missel de la bibliothèque royale de la fin du xve siècle, on voit un chat pêchant à la ligne, ce qui rappelle Renart faisant pêcher Isangrin à son profit, idée renouvelée par La Fontaine au moyen du chat qui tire les marrons du feu. Ainsi Renart et Isangrin sont les véritables pères de Bertrand et Raton.

A. DUCHALAIS. Le rat employé comme symbole dans la sculpture du moyen åge. Biblioth. de l'École des Chartes, 2e série, t. 1, p. 229 et suiv.

Et cependant Bertrand les croque:
Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'était pas content, ce dit-on.

Aussi nè le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces

Pour le profit de quelque roi (1).

(1) Madame de Sévigné disait de cette fable: Cela peint. Pourquoi n'écritil pas toujours de ce style?

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Après que le milan, manifeste voleur,
Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfants du village,
Un rossignol tomba dans ses mains par malheur.
Le héraut du printemps lui demande la vie.
Aussi bien, que manger en qui n'a que le son?
Écoutez plutôt ma chanson:

Je vous raconterai Térée et son envie..

Qui, Térée ? est-ce un mets propre pour les milans?
Non pas; c'était un roi dont les feux violents

(1) Abstemius, 92, de Luscinia cantum accipitri pro vita pollicente, et dans Ésope, 2, Luscinia et Accipiter; 3, Philomela et Accipiter. Hésiode, Opera et Dies, v. 202, 212. M. Géruzez a cité une traduction inédite d'Hésiode que nous croyons devoir reproduire ici : cette gracieuse et fidèle traduction est de M. Patin:

Voici ce que disait un jour l'épervier à l'harmonieux rossignol, qu'il emportait au sein des nuages entre ses ongles recourbés. Comme l'infortuné, percé des serres cruelles du ravisseur, se plaignait en gémissant, cel ci lui adressa ces dures paroles: «Malheureux! pourquoi ces plaintes ? Da plus fort que toi te tient en sa puissance. Tu vas où je te conduis, quelle que soit la douceur de tes chants. Je puis, si je le veux, faire de toi mon repas; je puis te laisser échapper.» Ainsi parla l'épervier rapide, aux ailes étendues. Insensé qui voudrait résister à la volonté du plus fort! il serait privé de la victoire et ne recueillerait que la honte et le malheur. »

Me firent ressentir leur ardeur criminelle (1).
Je m'en vais vous en dire une chanson si belle,
Qu'elle vous ravira: mon chant plaît à chacun.
Le milan alors lui réplique:

Vraiment, nous voici bien! lorsque je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique ! –

J'en parle bien aux rois. Quand un roi te prendra,
Tu peux lui conter ces merveilles:
Pour un mika, il s'en rira.

Ventre affamé n'a point d'oreilles (2).

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Quoi! toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !
Toujours le loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter! Ils étaient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin!

Robin monton, qui par la ville

Me suivait pour un peu de pain,

Et qui m'aurait suivi jusques au bout du monde !
Hélas! de ma musette il entendait le son;

Il me sentait venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton !

Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,
harangua tout le troupeau,

(1) Abstemius, 127, de Pastore gregem suum adversus Lupum hortante; et dans les Heures de récréation de Louys Guicciardin, traduites de l'italien en français, par Belle-Forest; Anvers, 1605, in-18, p. 143.

Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau,

Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffirait pour écarter les loups.
Foi de peuple d'honneur, ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu'un terme.
Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton.

Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il fût nuit,
Il arriva nouvel encombre:

Un loup parut; tout le troupeau s'enfuit.
Ce n'était pas un loup, ce n'en était que l'ombre.

Haranguez de méchants soldats;

Ils promettront de faire rage:

Mais, au moindre danger, adieu tout leur courage; Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

I.

LIVRE DIXIÈME.

- Les deux Rats, le Renard, et l'OEuf (1).

DISCOURS A MADAME DE LA SABLière.

Iris, je vous louerais: il n'est que trop aisé;
Mais vous avez cent fois notre encens refusé:
En cela peu semblable au reste des mortelles,
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles.
Pas une ne s'endort à ce bruit si flatteur.

Je ne les blâme point; je souffre cette humeur:
Elle est commune aux dieux, aux monarques, aux belles.
Ce breuvage vanté par le peuple rimeur,

Le nectar, que l'on sert aux maîtres du tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre,
C'est la louange, Iris. Vous ne la goûtez point;
D'autres propos chez vous récompensent ce point:
Propos, agréables commerces,

Où le hasard fournit cent matières diverses,
Jusque-là qu'en votre entretien

La bagatelle a part: le monde n'en croit rien.
Laissons le monde et sa croyance.

La bagatelle, la science,

Les chimères, le rien, tout est bon: je soutiens
Qu'il faut de tout aux entretiens :

C'est un parterre où Flore épand ses biens;

Sur différentes fleurs l'abeille s'y repose,

(1) Dans l'édition originale de 1679, cette pièce ne porte pas le titre de fable, mais celui de discours.

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