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Envoyant un songe lui dire

Qu'un tel trésor était en tel lieu. L'homme au vœu
Courut au trésor comme au feu.

Il trouva des voleurs; et, n'ayant dans sa bourse
Qu'un écu pour toute ressource,

Il leur promit cent talents d'or,
Bien comptés, et d'un tel trésor:
On l'avait enterré dedans telle bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs; de façon
Qu'à notre prometteur l'un dit: Mon camarade,
Tu te moques de nous; meurs, et va chez Pluton
Porter tes cent talents en don.

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Le chat et le renard, comme beaux petits saints,
S'en allaient en pèlerinage.

C'étaient deux vrais tartufs (2), deux archipatelins,
Deux francs patte-pelus (3) qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S'indemnisaient à qui mieux mieux.

Le chemin étant long, et partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils disputèrent.

La dispute est d'un grand secours:
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s'égosillèrent.

Ayant bien disputé, l'on parla du prochain.

Le renard au chat dit enfin:

Tu prétends être fort habile;

En sais-tu tant que moi ? J'ai cent ruses au sac.

-

(1) REGNERII Apologi Phædrii, pars I, fab. xxvIII, p. 34: Catus agrestis et Vulpes.

(2) Au lieu de tartufes. L'e est retranché pour la mesure du vers, et par licence poétique.

(3) Patespelues, dans Rabelais. Ce mot avait le sens de trompeur.

Non, dit l'autre: je n'ai qu'un tour dans mon bissac;
Mais je soutiens qu'il en vaut mille.

Eux de recommencer la dispute à l'envi.

Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,

Une meute apaisa la noise.

Le chat dit au renard: Fouille en ton sac, ami;
Cherche en ta cervelle matoise

Un stratagème sûr: pour moi, voici le mien.
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,

Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.

Partout il tenta des asiles,

Et ce fut partout sans succès;

La fumée y pourvut (1), ainsi que les bassets.
Au sortir d'un terrier deux chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.

Le trop d'expédients peut gâter une affaire:

On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire. N'en avons qu'un, mais qu'il soit bon.

(1) C'est-à-dire : on enfume le terrier du renard pour le forcer à sortir.

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Un mari fort amoureux,

Fort amoureux de sa femme,

Bien qu'il fût jouissant, se croyait malheureux.

Jamais œillade de la dame,

Propos flatteur et gracieux,

Mot d'amitié, ni doux sourire,

(1) Contes indiens et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, t. II, p. 355: le Marchand, la Femme et le Voleur. Camerarius, fab. ccLv, p. 287.

Déifiant le pauvre sire,

N'avaient fait soupçonner qu'il fût vraiment chéri.

Je le crois; c'était un mari.
Il ne tint point à l'hyménée
Que, content de sa destinée,
Il n'en remerciât les dieux.

Mais quoi! si l'amour n'assaisonne
Les plaisirs que l'hymen nous donne,
Je ne vois pas qu'on en soit mieux.
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n'ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisait sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doléance.

La pauvre femme eut si grand' peur,
Qu'elle chercha quelque assurance
Entre les bras de son époux.

Ami voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux
Me serait inconnu ! Prends donc en récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance;
Prends le logis aussi. Les voleurs ne sont pas
Gens honteux, ni fort délicats:

Celui-ci fit sa main.

J'infère de ce conte

Que la plus forte passion

C'est la peur; elle fait vaincre l'aversion,

Et l'amour quelquefois: quelquefois il la dompte (");
J'en ai pour preuve cet amant
Qui brûla sa maison pour embrasser sa dame,
L'emportant à travers la flamme.

J'aime assez cet emportement;

Le conte m'en a plu toujours infiniment:
Il est bien d'une âme espagnole,

Et plus grande encore que folle (2).

(1) C'est-à-dire, quelquefois c'est l'amour qui dompte la peur.

(2) Allusion à l'aventure du comte de Villa-Medina avec Élisabeth de Fr

fille de Henri IV, et femme de Philippe IV, roi d'Espagne. Pour attirer Élisabeth chez lui, le comte de Villa-Medina imagina de donner à toute la cour un spectacle à machines, qu'il fit monter à grands frais. Pendant la représentation, il fit mettre le feu à son propre palais: puis, profitant du désordre et de la frayeur causés par les flammes qui s'élevaient de toutes parts, il s'empara de la reine, et satisfit ainsi, par la perte de la moitié de sa fortune, et au risque de sa vie, le désir qu'il avait d'embrasser celle qu'il aimait, e de l'enlever dans ses bras. Voyez le Voyage d'Espagne, par Aarsen de Sommerdick, Cologne, 1666, in-18, p. 49. (WALCK.)

XVI.

- Le Trésor et les deux Hommes (1).

Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,
Et logeant le diable en sa bourse (2),
C'est-à-dire n'y logeant rien,
S'imagina qu'il ferait bien

De se pendre, et finir lui-même sa misère,
Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire:
Genre de mort qui ne duit (3) pas

A gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention, une vieille masure
Fut la scène où devait se passer l'aventure:
Il y porte une corde, et veut avec un clou

(1) Auson., épigr. xx11 et xx111. Les deux épigrammes d'Ausone sont ellesmêmes la traduction de deux distiques sur le même sujet, tirés de l'Anthologie grecque. Voyez Ausonii Opera, édit. 1730, in-4o, p. 20.

(2) Cette expression proverbiale a fourni à Mellin de Saint-Gelais le petit conte voici :

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que

Un charlatan disoit en plein marché

Qu'il montreroit le diable à tout le monde :

Si n'y eust nul, tant fut-il empesché,
Qui ne courust pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde

Il leur desploie, et leur dit : « Gens de bien,
Ouvrez vos yeux, voyez, y a-t-il rien? »

Non,» dit quelqu'un des plus près regardans.
- Et c'est, dit-il, le diable, oyez-vous bien,
Qu'ouvrir sa bourse et ne rien voir dedans. >>

Qui ne convient pas. Duire, plaire.

Au haut d'un certain mur attacher le licou.

La muraille, vieille et peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor. Notre désespéré le ramasse, et l'emporte,

Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,

Sans compter: ronde ou non, la somme plut au sire Tandis que le galant à grands pas se retire,

L'homme au trésor arrive, et trouve son argent

Absent.

Quoi! dit-il, sans mourir je perdrai cette somme!
Je ne me pendrai pas ! Et vraiment si ferai,

Ou de corde je manquerai.

Le lacs était tout prêt; il n'y manquait qu'un homme: Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.

Ce qui le consolapeut-être,

Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau.
Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs;
Il a le moins de part au trésor qu'il enserre,
Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses parents, ou pour la terre.
Mais que dire du troc que la Fortune fit?
Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit:
Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.

Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit

De voir un homme se pendre;

Et celui qui se pendit

S'y devait le moins atendre.

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