Tremblez, humains ! faites des væux : Voilà le maître de la terre! L'artisan (1) exprima si bien Le caractère de l'idole, Qu'on trouva qu'il ne manquait rien A Jupiter que la parole : Même l'on dit
que
l'ouvrier Eut à peine achevé l'image, Qu'on le vit frémir le premier, Et redouter son propre ouvrage. A la faiblesse du sculpteur Le poëte autrefois n'en dut guère (), Des dieux dont il fut l'inventeur Craignant la haine et la colère. Il était enfant en ceci ; Les enfants n'ont l'âme occupée Que du continuel souci Qu'on ne fâche point leur poupée. Le cœur suit aisément l'esprit : De cette source est descendue L'erreur paienne, qui se vit Chez tant de peuples répandue. Ils embrassaient violemment Les intérêts de leur chimère : Pygmalion devint amant De la Vénus dont il fut père. Chacun tourne en réalités, Autant qu'il peut, ses propres songes : L'homme est de glace aux vérités ; Il est de feu pour les mensonges.
(1) Dans le sens moderned'arliste. Nous avons déjà vu ce mot dans cette acception.
(2) Ne le céda en rien.
VII. La Souris métamorphosée en Fille ("). Une souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'eusse pas ramassée ; Mais un bramin le fit : je le crois aisément;
Chaque pays a sa pensée. La souris était fort froissée.
De cette sorte de prochain Nous nous soucions peu; mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête
Que notre âme, au sortir d'un roi, Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête Qu'il plaît au Sort: c'est là l'un des points de leur loi. Pythagore chez eux a puisé ce mystère. Sur un tel fondement, le bramin crut bien faire De prier un sorcier qu'il logeât la souris Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille, Que le fils de Priam pour elle aurait tenté Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté (?). Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux : Vous n'avez qu'à choisir ; car chacun est jaloux
De l'honneur d'être votre époux. En ce cas je donne, dit-elle, Ma voix au plus puissant de tous.
(1) Livre des lumières, ou la Conduite des roys, p. 279. – Les contes indiens et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, II, p. 385, la Souris changée en Fille. Dans le Panlcha-tantra (l'original, écrit en langue sanscrite, des Fables de Bidpaï), la souris changée en fille par un brahmane, trouve des objections à tous les partis qu'on lui propose, jusqu'au moment où elle aperçoit un rat; alors le naturel la porte à prie? son père adoptif de le lui donner en mariage.
(2) C'est-à-dire pour Hélène,
Soleil, s'écrie alors le bramin à genoux,
C'est toi qui seras notre gendre.
Non, dit-il, ce nuage épais Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits :
Je vous conseille de le prendre. Hé bien, dit le bramin au nuage volant, Es-tu né pour ma fille? Hélas ! non; car le vent Me chasse à son plaisir de contrée en contrée : Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée.
Le bramin fâché s'écria : O vent donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle! Il accourait ; un mont en chemin l'arrêta.
L'éteuf (1) passant à celui-là, Il le renvoie, et dit : J'aurais une querelle
Avec le rat; et l'offenser Ce serait être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat, la damoiselle Ouvrit l'oreille: il fut l'époux. Un rat! un rat: c'est de ces coups Qu'Amour fait; témoin telle et telle. Mais ceci soit dit entre nous.
On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable Prouve assez bien ce point; mais, à la voir de près, Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits : Car quel époux n'est point au Soleil préférable, En s'y prenant ainsi ? Dirai-je qu'un géant Est moins fort qu'une puce ? Elle le mord pourtant. Le rat devait aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au chat, le chat au chien, Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire, Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;
(1) La balle. On numme éleuf la balle du jeu de longue paume.
Le Soleil eût joui de la jeune beauté. Revenons, s'il se peut, à la métempsycose: Le sorcier du bramin fit sans doute une chose Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté. Je prends droit là-dessus contre le bramin même;
Car il faut, selon son système, Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun Aille puiser son âme en un trésor commun:
Toutes sont donc de même trempe; Mais, agissant diversement, Selon l'organe seulement,
L'une s'élève, et l'autre rampe. D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse De s'unir au Soleil ? Un rat eut sa tendresse.
Tout débattu, tout bien pese, Les âmes des souris et les âmes des belles
Sont très-différentes entre elles. Il en faut revenir toujours à son destin, C'est-à-dire à la loi par le ciel établie:
Parlez au diable, employez la magie, Vous ne détournerez nul être de sa fin.
VIII. Le Fou qui vend la Sagesse (1). Jamais auprès des fous ne te mets à portée: Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil A celui-là de fuir une tête éventée.
On en voit souvent dans les cours : Le prince y prend plaisir ; car ils donnent toujours Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules.
(1) Abstemius, 184, de Insano sapientiam vendente.
Un fol allait criant par tous les carrefours Qu'il vendait la sagesse; et les mortels crédules De courir à l'achat; chacun sut diligent.
On essuyait force grimaces ;
Puis on avait pour son argent, Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses. La plupart s'en fâchaient; mais que leur servait-il ? C'étaient les plus moqués : le mieux était de rire,
Ou de s'en aller sans rien dire Avec son soufflet et son fil.
De chercher du sens à la chose, On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.
La raison est-elle garant De ce que fait un fou? Le hasard est la cause De tout ce qui se passe en un cerveau blessé. Du fil et du soufflet pourtant embarrassé, Un des dupes un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage, Lui dit : Ce sont ici hiéroglyphes tout purs. Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire, Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire, La longueur de ce fil; sinon, je les tiens sûrs
De quelque semblable caresse. Vous n'êtes point trompé; ce fou vend la sagesse
IX. — L'Huitre et les Plaideurs.
Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent Une huitre, que le flot y venait d'apporter: Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent; A l'égard de la dent il fallut contester. L'un se baissait déjà pour amasser (1) la proie;
(1) L'Académie française, dans la remière édition de son Dictionnaire, dé
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