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Le maître d'Epicure en fit l'apprentissage.
Son pays le rut fou. Petits esprits ! Mais quoi!
Aucun n'est prophète chez soi.

Ces gens étaient les fous; Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère (1) députa
Vers Hippocrate, et l'invita,
Par lettres et par ambassade,

A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit; la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite (2) :
Peut-être même ils sont remplis

De Démocrites infinis.

Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats:
Maintenant il parle à lui-même.

Venez, divin mortel; sa folie est extrême.
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie

Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens

Cherchait, dans l'homme et dans la bête,
Quel siége a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
Les labyrinthes d'un cerveau

L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,

Attaché selon sa coutume.

(1) Abdère, ville de Thrace.

(2) Démocrite avait transmis à Épicure le système des atomes et du viac qu'il tenait de Leucippe.

Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser:
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
Ils tombèrent sur la morale.

Il n'est pas besoin que j'étale
Tout ce que l'un et l'autre dit.

Le récit précédent suffit

Pour montrer que le peuple est juge récusable.
En quel sens est donc véritable

Ce que j'ai lu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu:

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Fureur d'accumuler, monstre de qui les yeux
Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux,
Te combattrai-je en vain sans cesse en cet ouvrage !
Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons?
L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage,
Ne dira-t-il jamais : C'est assez, jouissons?
Hâte-toi, mon ami, tu n'as pas tant à vivre (2).
Je te rebats ce mot; car il vaut tout un livre :
Jouis. Je le ferai. Mais quand donc? — Dès demain.
Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin:
Jouis dès aujourd'hui ; redoute un sort semblable

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A celui du chasseur et du loup de ma fable.

Le premier de son arc avait mis bas un daim.

Contes indiens

(1) Livre des lumières, ou la Conduite des roys, p. 216. et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, t. II, p. 292, le Chasseur

1

Camerarius, fab. CCLIV, p. 289.

le Loup.
(2) Carpe diem.

(HORAGE

Un faon de biche passe, et le voilà soudain
Compagnon du défunt : tous deux gisent sur l'herbe.
La proie était honnête, un daim avec un faon;
Tout modeste chasseur en eût été content:
Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe,
Tente encor notre archer, friand de tels morceaux
Autre habitant du Styx : la Parque et ses ciseaux
Avec peine y mordaient; la déesse infernale
Reprit à plusieurs fois l'heure au monstre fatale.
De la force du coup pourtant il s'abattit.

C'était assez de biens. Mais quoi! rien ne remplit
Les vastes appétits d'un faiseur de conquêtes.
Dans le temps que le porc revient à soi, l'archer
Voit le long d'un sillon une perdrix marcher;
Surcroît chétif aux autres têtes :

De son arc toutefois il bande les ressorts.
Le sanglier, rappelanī ies restes de sa vie,
Vient à lui, le découd (1), meurt vengé sur son corps;
Et la perdrix le remercie.

Cette part du récit s'adresse aux convoiteux:
L'avare aura pour lui le reste de l'exemple.

Un loup vit en passant ce spectacle piteux:
O Fortune! dit-il, je te promets un temple.
Quatre corps étendus! que de biens! mais pourtant
Il faut les ménager; ces rencontres sont rares.
(Ainsi s'excusent les avares.)

J'en aurai, dit le loup, pour un mois, pour autant:
Un, deux, trois, quatre corps; ce sont quatre semaines,
Si je sais compter, toutes pleines.

Commençons dans deux jours, et mangeons cependant
La corde de cet arc: il faut que l'on l'ait faite
De vrai boyau; l'odeur me le témoigne assez.
En disant ces mots, il se jette

(1) C'est-à-dire, le blesse avec ses crocs.

Sur l'arc, qui se détend, et fait de la sagette
Un nouveau mort: mon loup a les boyaux percés.
Je reviens à mon texte. Il faut que l'on jouisse;

Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun:
La convoitise perdit l'un;

L'autre périt par l'avarice

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Grâce aux Filles de mémoire,

J'ai chanté des animaux;
Peut-être d'autres héros

M'auraient acquis moins de gloire.
Le loup, en langue des dieux,
Parle au chien dans mes ouvrages:
Les bêtes, à qui mieux mieux,
Y font divers personnages,
Les uns fous, les autres sages;
De telle sorte pourtant
Que les fous vont l'emportant:
La mesure en est plus pleine.
Je mets aussi sur la scène
Des trompeurs, des scélérats,
Des tyrans et des ingrats,
Mainte imprudente pécore,
Force sots, force flatteurs;
Je pourrais y joindre encore
Des légions de menteurs:
Tout homme ment, dit le sage.
S'il n'y mettait seulement
Que les gens du bas étage,
On pourrait aucunement

Souffrir ce défaut aux hommes;

(1) Livre des lumières, ou la Conduite des roys, 1644, in-8°, p. 137 140. Contes indiens et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, t. II, p. 186, les deux Marchands.

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