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1.

LIVRE HUITIÈME.

- La Mort et le Mourant (1).

La Mort ne surprend point le sage :

Il est toujours prêt à partir,

S'étant su lui-même avertir

Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage.
Ce temps, hélas! embrasse tous les temps:
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n'en est point qu'il ne comprenne

Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière

Est celui qui vient quelquefois

Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous par la grandeur;
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse;
La Mort ravit tout sans pudeur:

Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n'est rien de moins ignoré;

Et, puisqu'il faut que je le die,
Rien où l'on soit moins préparé.

Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie,
Se plaignait à la Mort que précipitamment

Elle le contraignait de partir tout à l'heure,

Sans qu'il eût fait son testament,

(1) Abstemius, 99, De Sene mortem differre volente. Guicciardini, Delli et Falli piacevoli, etc., in Venetia, 1596, in-8°, p. 155, Rinaldo Tornaquinci. Heures de récréation et après-disnées de Louys Guicciardin, Anvers, 1605, in-18, p. 159. La Mort ne pardonne à personne, ains nous admoneste bien souvent de sa venue.

Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meure
Au pied levé? dit-il : attendez quelque peu;
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ;
Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile (1).
Que vous êtes pressante, ô déesse cruelle!
Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point surpris;
Tu te plains sans raison de mon impatience
Eh! n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France.
Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te disposât à la chose:

J'aurais trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait.
Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause
Du marcher et du mouvement,

Quand les esprits, le sentiment,

Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'ouïe;
Toute chose pour toi semble être évanouie;
Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus :
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus.
Je t'ai fait voir tes camarades,

Ou morts, ou mourants, ou malades:
Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement?
Allons, vieillard, et sans réplique.

Il n'importe à la république

Que tu fasses ton testament.

La Mort avait raison: je voudrais qu'à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d'un banquet (2),

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(1) Il n'est donc plus ce ministre puissant et superbe (Louvois). O mc Dieu! encore quelque temps! Je voudrais humilier le duc de Savoie, écraser le prince d'Orange; encore un moment. Non, vous n'aurez pas ce moment, pas un seul moment, il faut partir.... »

(2) Cur non ut vitæ plenus conviva recedis?

Ut conviva satur.

(Mme de SÉVIGNÉ.) (LUCRE CE.)

(HORACK.)

Remerciant son hôte, et qu'on fît son paquet:
Car de combien peut-on retarder le voyage?
Tu murmures, vieillard! vois ces jeunes (1) mourir
Vois-les marcher, vois-les courir

A des morts, il est vrai, glorieuses et belles,
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles.
J'ai beau te le crier; mon zèle est indiscret :
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.

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Un savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveilles (2) de le voir,

Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages, (1)

Plus content qu'aucun des sept sages. (2)
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor :
C'était un homme de finance.

Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait;
Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,

Comme le manger et le boire.

(1) Bonaventure des Periers, nouvelle xx1, t. I, p. 211, Du savetier Blondeau, qui ne fut oncques en sa vie mélancholique deux fois; et comment ily pourveul, et de son épitaphe.

(2) Ce pluriel se trouve dans les éditions originales.

(1) contades, vocalisations.

(2) contents

tous les décrets du sort?

parce qu'ils se soumettaient à

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit: Or çà, sire Grégoire,

Que gagnez-vous par an?

Dit avec un ton de rieur

Par an! ma foi, monsieur,

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année;

Chaque jour amène son pain.

Eh bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée? -
Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes (1):
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône.
Le financier, riant de sa naïveté,

Lui dit: Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin.

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre
L'argent, et sa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis:

(1) Le savetier fait ici d'excellente économie politique. La stricte observation des jours fériés, imposée par les règlements des corporations ou les édits royaux, fut sous l'ancienne monarchie une cause de ruine et de souffrances. Dans certaines professions, les ouvriers étaient même forcés de se reposer un certain nombre de jours après les fêtes de Noël, de Pâques et de la Pentecôte. On ne pouvait déroger à cette loi du repos que dans le cas où le travail était pour le roi, l'église ou les morts. L'abus fat poussé si loin, que le clergé prit souvent, dans l'intérêt des classes pauvres, l'initiative de la suppression des jours fériés.

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l'œil au guet; et la nuit,

Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent (1). A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'ii ne réveillait plus:
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

(1) Ainsi, dans Molière, Harpagon apercevant La Flèche, qui l'a à peine entrevu: « Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent; ▸ et plus loin, voyant Élise et Cléante qui se font des signes : « Je crois, ditil, qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse. »

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Le Lion, le Loup et le Renard (1).

Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse.
Alléguer l'impossible aux rois, c'est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce

Manda des médecins : il en est de tous arts (2).
Médecins au lion viennent de toutes parts;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,

Le renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi,
Son camarade absent. Le prince tout à l'heure

Contes in

(1) Esop., 233, Leo, Lupus, et Vulpes; 72, Leo et Lupus. diens et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, 1778, in-12, t. II. p 87, le Corbeau, le Loup, le Renard, le Lion, et ie Chameau.

a

(2) De toutes les professions, de toutes les classes,» dit M. Walckenaër, parce qu'alors une foule de gens se mêlaient de médecine; « qui ont des secrets différents, des arts divers pour soigner les malades, » dit M. Géruzez. Les deux explications sont très-plausibles; et, vu l'obscurité de l'hémistiche de notre auteur, il paraît difficile de se décider pour l'une plutôt que pour

l'autre.

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