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Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés

Devant sa majesté fourrée.

Grippeminaud (1) leur dit : Mes enfants, approchez,
Approchez; je suis sourd, les ans en sont la cause.
L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,

Grippeminaud, le bon apôtre,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportants (2) aux rois.

(1) Nom emprunté de Rabelais, Pantagruel, liv. V, chap. 11, intitulé « Comment nous passasmes le guischet habité par Grippeminaud, archiduc des chats fourrez, » c'est-à-dire, suivant les commentateurs de Rabelais, le premier président du parlement de Paris.

(2) VAR. Se rapportant. Nous avons suivi l'orthographe des éditions originales, orthographe conforme à l'usage du temps.

M. Villemain a dit avec bonheur à propos des charmants détails qui se trouvent au début de cette fable: «De tous les écrivains du siècle de Louis XIV, La Fontaine semble presque le seul qui ait regardé la nature ailleurs que dans les poëmes des anciens, et qui ait joint à l'étude une observation minutieuse et naïve. Les beautés du spectacle de la nature qu'il a décrites étaient simples et vulgaires, comme il pouvait les rencontrer dans ses promenades....... La Fontaine décrivant un printemps de France, un printemps ordinaire, loin du ciel de la Grèce ou de l'Italie, La Fontaine montrant le lapin qui trotte à travers le thym et la rosée, est aussi poëte que les anciens le furent jamais. VILLEMAIN, Cours de Littérature française, 3 partie. Tableau du xvIIe siècle. Paris, 1829, in-8, p. 246.

XVII.- La Tête et la Queue du Serpent (1).

Le serpent a deux parties
Du genre humain ennemies,
Tête et queue; et toutes deux
Ont acquis un nom fameux
Auprès des Parques cruelles :
Si bien qu'autrefois entre elles
Il survint de grands débats
Pour le pas.

La tête avait toujours marché devant la queue.
La queue au ciel se plaignit,

Et lui dit :

Je fais mainte et mainte lieue
Comme il plaît à celle-ci :

Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi?
Je suis son humble servante.

On m'a faite, Dieu merci,
Sa sœur, et non sa suivante.
Toutes deux de même sang,
Traitez-nous de même sorte:
Aussi bien qu'elle je porte
Un poison prompt et puissant (2).
Enfin, voilà ma requête :
C'est à vous de commander
Qu'on me laisse précéder,
A mon tour, ma sœur la tête.
Je la conduirai si bien,

Qu'on ne se plaindra de rien.

(1) Plutarque, Vie d'Agis et de Cléomène, t. VII, p. 511 de la traduction d'Amyot, edit. de Clavier, 1802, in-8°. Plutarque fait l'application de cette fable aux hommes appelés à gouverner qui se laissent dominer par le caprice des multitudes.

(2) La Fontaine a été trompé ici par le proverbe in cauda venenum. Il n'y a point de poison dans la queue des serpents.

Le ciel eut pour ces vœux une bonté cruelle.
Souvent sa complaisance a de méchants effets.
Il devrait être sourd aux aveugles souhaits.
Il ne le fut pas lors (1); et la guide (2) nouvelle,
Qui ne voyait, au grand jour,

Pas plus clair que dans un four,
Donnait tantôt contre un marbre,
Contre un passant, contre un arbre:
Droit aux ondes du Styx elle mena sa sœur.

Malheureux les États tombés dans son erreur!

(1) Pour alors.

(2) Du temps de La Fontaine ce mot n'était déjà plus employé au féminin que pour rappeler les titres d'anciens ouvrages ascétiques, tels que la Guide des pécheurs, etc. Cependant ce changement d'usage était, à cet égard, assez récent; car le dictionnaire de Nicot, imprimé en 1606, fait encore guide féminin. (WALCK.)

XVIII.

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Un Animal dans la Lune (1).

Pendant qu'un philosophe (2) assure

Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés,
Un autre philosophe (3) jure

Qu'ils ne nous ont jamais trompés.

Tous les deux ont raison; et la philosophie
Dit vrai quand elle dit que les sens tromperont,
Tant que sur leur rapport les hommes jugeront;

Mais aussi, si l'on rectifie

L'image de l'objet sur son éloignement,

(1) Le chevalier Paul Neal, de la Société royale de Londres, crut, en se servant du télescope, voir dans la lune un animal, qui n'était autre qu'un insecte caché dans l'objectif de la lunette. C'est cette anecdote qui a fourni à La Fontaine le sujet de cette fable, comme elle a fourni au poëte anglais Butler le sujet d'une excellente satire contre la Société royale de Londres, qui venait de se former, satire intitulée: L'Éléphant dans la Lune.

(2) Démocrite.

(3) Épicure.

Sur le milieu qui l'environne,

Sur l'organe et sur l'instrument,

Les sens ne tromperont personne.
La nature ordonna ces choses sagement:

J'en dirai quelque jour les raisons amplement.
J'aperçois le soleil : quelle en est la figure?

Ici-bas ce grand corps n'a que trois pieds de tour;
Mais si je le voyais là-haut dans son séjour,

Que serait-ce

mes yeux que l'œil de la nature (')? Sa distance me fait juger de sa grandeur; Sur l'angle et les côtés ma main la détermine. L'ignorant le croit plat; j'épaissis sa rondeur: Je le rends immobile; et la terre chemine. Bref, je démens mes yeux en toute sa machine : Ce sens ne me nuit point par son illusion.

Mon âme, en toute occasion,

Développe le vrai caché sous l'apparence;

Je ne suis point d'intelligence

Avecque mes regards peut-être un peu trop prompts, Ni mon oreille, lente à m'apporter les sons.

Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse: La raison décide en maîtresse.

Mes yeux, moyennant ce secours,

Ne me trompent jamais en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une tête de femme est au corps de la lune.
Y peut-elle être? non. D'où vient donc cet objet?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La lune nulle part n'a sa surface unie :
Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie,
L'ombre avec la lumière y peut tracer souvent
Un homme, un bœuf, un éléphant

(1) Il voit ce beau soleil, l'œil de Dieu et du monde.

Cet astre, àme du monde, œil unique des cieux.

(REMI BELLEAU.)

(REGNIER DESMARÊTS.

Naguère l'Angleterre y vit chose pareille.
La lunette placée, un animal nouveau
Parut dans cet astre si beau;

Et chacun de crier merveille.

Il était arrivé là-haut un changement

Qui présageait sans doute un grand événement.
Savait-on si la guerre (1) entre tant de puissances
N'en était point l'effet? Le monarque accourut:
Il favorise en roi ces hautes connaissances.
Le monstre dans la lune à son tour lui parut.
C'était une souris cachée entre les verres :
Dans la lunette était la source de ces guerres.

On en rit. Peuple heureux! quand pourront les François
Se donner, comme vous, entiers à ces emplois !
Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire:
C'est à nos ennemis de craindre les combats,

A nous de les chercher, certains que la Victoire,
Amante de Louis, suivra partout ses pas.

Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire.
Même les Filles de Mémoire

Ne nous ont point quittés; nous goûtons des plaisirs
La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs.
Charles (2) en sait jouir : il saurait dans la guerre
Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre
A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui.
Cependant s'il pouvait apaiser la querelle,
Que d'encens! Est-il rien de plus digne de lui?
La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des Césars?
O peuple trop heureux! quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre, comme vous, tout entiers aux beaux-arts

(1) Allusion à la guerre que la France soutenait contre la Hollande, l'Espagne et l'Empire.

(2) Charles II, roi d'Angleterre, qui, étant resté neutre, entre la France et ses ennemis, fut, aux négociations de Nimègue, invoqué comme médiateur par les parties belligérantes.

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