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Notre curé suit son seigneur;
Tous deux s'en vont de compagnie ().

Proprement, toute notre vie
Est le curé Chouart qui sur son mort comptait,

Et la fable du Pot au lait.

(1) Il y a dans tout cela va ton de plaisanterie cynique et cruelle qui ne rappelle pas l'auteur des ceux Pigeons.

(C. NODIER.)

XII. - L'Homme qui court après la Fortune, et l'Homme

qui l'attend dans son lit. Qui ne court après la Fortune ? Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément

Contempler la foule importune

De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du Sort de royaume en royaume,
Fidèles courtisans d'un volage fantôme.

Quand ils sont près du bon moment,
L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe.
Pauvres gens ! Je les plains; car on a pour les fous

Plus de pitié que de courroux.
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux;

Et le voilà devenu pape!
Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux;

Mais que vous sert votre mérite?

La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos ? le repos, trésor si précieux (1),

(1) La Fontaine, qui avait voué à la paresse un culte particulier, a dit dans son opéra de Daphné:

Ce qui fait le bonheur des dieux,
C'est de o'avoir aucune affaire,

Qu'on en faisait jadis le partage des dieux !
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.

Ne cherchez point cette déesse,
Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi.

Certain couple d'amis, en un bourg établi,
Possédait quelque bien. L'un soupirait sans cesse
Pour la Fortune; il dit à l'autre un jour :

Si nous quittions notre séjour?

Vous savez que nul n'est prophète
En son pays : cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre ami : pour moi, je ne souhaite

Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous ; suivez votre humeur inquiète :
Vous reviendrez bientôt. Je fais vou cependant

De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare,

S'en va par voie et par chemin.

Il arriva le lendemain
En un lieu que devait la déesse bizarre
Fréquenter sur tout autre; et ce lieu, c'est la cour.
donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures

Que l'on sait être les meilleures;
Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.
Qu'est ceci ? se dit-il : cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures;
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,

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Ne point mourir

Et ne rien faire.
Il dit aussi dans son épitaphe :

Quant à son temps, bien sut le dispenser:
Deux parts en fit, dont il soulait passer

L'une à dormir et l'autre à ne rien faire. Dans Psyché, il revient encore sur cette pensée, en s'élevant toutefois beaucoup plus haut. Il ne s'agit plus de la paresse, mais de la tranquillité, et l'homme de génie se retrouve tout entier dans ces lignes : « Les philosophes la cherchent avec grand soin, les morts la trouvent sans nulle peine. »

Chez celui-là : d'où vient qu'aussi Je ne puis héberger cette capricieuse ? On ne l'avait bien dit, que

des

gens de ce lieu L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse. Adieu, messieurs de cour; messieurs de cour, adieu : Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte. La Fortune a, dit-on, des temples à Surate : Allons là. Ce fut un de dire et s'embarquer. Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute Armé de diamant qui tenta cette route, Et le premier osa l'abîme défier (1)!

Celui-ci, pendant son voyage,

Tourna les yeux vers son village
Plus d'une fois, essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme et des rochers,
Ministres de la Mort : avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt sans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol : on lui dit qu'au Japon
La Fortune pour lors distribuait ses grâces.

Il y court. Les mers étaient lasses
De le porter; et tout le fruit

Qu'il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages:
Demeure en ton pays, par la nature instruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme

Que le Mogol l'avait été:

Ce qui lui fit conclure en somme Qu'il avait à grand tort son village quitté.

Il renonce aux courses ingrates,

(1) Illi robur et æs triplex
Circa pectus erat, qui fragilem truci

Commisit pelago ratem
Primus, nec timuit præcipitem Africum

Decertantem aquilonibus, etc.

(HORACB.)

Ce

que

Revient en son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit : Heureux qui vit chez soi (1),
De régler ses désirs faisant tout son emploi!

Il ne sait que par ouï-dire que

c'est la cour, la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux
Des dignités, des biens que jusqu'au bout du monde
On suit, sans que l'effet aux promesses réponde.
Désormais je ne hots

Naise, et ferai cent fois mieux.
En raisonnant de cette sorte,
Et contre la Fortune ayant pris ce conseil,

Il la trouve assise à la porte
De son ami plongé dans un profond sommeil.

(1) ... qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs.

(Racan.)

XIII. Les deux Coqs (1).
Deux coqs vivaient en paix : une poule survint,

Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ! et c'est de toi que vint-

Cette querelle envenimée
Où du sang des dieux même (2) on vit le Xanthe teini!
Longtemps entre nos coqs le combat se maintint.
Le bruit s'en répandit par tout le voisinage :
La gent qui porte crête au spectacle accourut;

Plus d'une Hélène au beau plumage
Ful le prix du vainqueur. Le vaincu disparut :

(1) Æsop., 119, Galli et Aquila ; 145, Galli, Aph’ən., 12, Fabula Gallio

naceorum.

(2) Même, pris adjectivement, devrait être au pluriel; cette licence exagérée est une faute grammaticale.

Il alla se cacher au fond de sa retraite,

Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu’un rival, tout fier de sa défaite,
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage;
Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs,

Et, s'exerçant contre les vents,

S'armait d'une jalouse rage.
Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S'alla percher, et chanter sa victoire.

Un vautour entendit sa voix :

Adieu les amours et la gloire!
Tout cet orgueil périt sous l'ongle du vautour.

Enfin, par un íatal retour,
Son rival autour de la poule
S'en revint faire le coquet.
Je laisse à penser quel caquet;
Car il eut des femmes en foule.

La Fortune se plaît à faire de ces coups :
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du Sort, et prenons garde à nous

Après le gain d'une bataille.

XIV. – L'ingratitude et l'injustice des Hommes envers

la Fortune (1).

Un trafiquant sur mer, par bonheur, s'enrichit.
· Il triompha des vents pendant plus d'un voyage:
Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage
D'aucun de ses ballots; le Sort l'en affranchit
Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune

(1) Abstemius, 198, De Viro, qui se felicilalis suæ causam, infelicilalis vero Forlunam esse dicebat.

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