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Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien, qu'avez-vous fait?
Comment passiez-vous votre vie?

L'innocence des champs est-elle votre fait ? -
Assez, dit-elle: mais ma peine

Était de voir les gens plus paresseux qu'ici;
Ils n'ont des troupeaux nul souci

Je leur savais bien dire, et m'attirais la haine
De tous ces gens si peu soigneux.

Eh! madame, reprit son époux tout à l'heure (1),
Si votre esprit est si hargneux

Que le monde qui ne demeure

Qu'un moment avec vous, et ne revient qu'au soir,

Est déjà lassé de vous voir,

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée?
Et que pourra faire un époux

Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous?
Retournez au village: adieu. Si de ma vie

Je vous rappelle, et qu'il m'en prenne envie,
Puissé-je chez les morts avoir, pour mes péchés,
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés !

(1) C'est-à-dire sur-le-champ. Cette expression n'est plus usitée dans ce

sens.

III.

Le Rat qui s'est retiré du monde (1).

'Les Levantins en leur légende

Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas,

(1) Nic. de Pergame, Dial. des Escatures. Dans cet ouvrage c'est un chardonner bien nourri dans la maison d'un riche qui refuse l'aumône à de pauvres oiseaux mourant de faim et de froid.

(GÉRUZEZ.)

Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde,
S'étendant partout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistait là dedans.
ll fit tant, de pieds et de dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage (1) ?
Il devint gros et gras (2): Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat;
Ratopolis était bloquée :

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que le secours
Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus :
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? que peut-il faire

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?

(1) Dans la fable des Deux Pigeons (liv. 1x, fab. 11), le pigeon, outre le vivre et le couvert, demande quelque chose encore:

Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

Bon souper, bon gîte, et le reste?

Le rat, en sa qualité d'ermite, doit se contenter du gîte et du souper. Que faut-il davantage ! La Fontaine a évidemment sous-entendu à un ermite.

(9) Exactement comme Tartufe:

Gros et gras.

Il se porte à merveille,

(Acle I, scène 5.)

J'es ère qu'il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui désigné-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis:

Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

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Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où (1),
Le héron au long bec emmanché d'un long cou (1):
Il côtoyait une rivière.

L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours;
Ma commère la carpe y faisait mille tours

Avec le brochet son compère.

Le héron en eût fait aisément son profit:

Tous approchaient du hord; l'oiseau n'avait qu'à prendre.
Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau

Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas; il s'attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le rat du bon Horace. (1)

Moi! des tanches! dit-il; moi, héron, que je fasse
Une si pauvre chère ! Et pour qui me prend-on?
La tanche rebutée, il trouva du goujon.
Du goujon! c'est bien là le dîner d'un héron!

Ces vers ont été très-injustement critiqués par Voltaire, et défendus contre lui par tous les commentateurs.

19

(1) Satires, la 6ème du livre second, dems la première partie de son dernier tiers, c'est la satire qui commence par

(1)

J'ouvrirais pour si peu le bec! aux dieux ne plaise!
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon (1).

Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles,
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.

Gardez-vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons
Que je parle écoutez, humains, un autre conte:
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

(1) On n'a jamais remarqué que ces deux vers jouaient d'une manière piquante avec ceux qui terminent l'histoire de la Fille, qui n'est, comme on sait que la fable du Héron transportée au sens propre :

Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse

De rencontrer un malotru.

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Certaine fille, un peu trop fière,

Prétendait trouver un mari

Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière,
Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci.
Cette fille voulait aussi

Qu'il eût du bien, de la naissance,

De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir?
Le Destin se montra soigneux de la pourvoir:
Il vint des partis d'importance.

La belle les trouva trop chétifs de moitié :

Qui (1)! moi! quoi! ces gens-là! l'on radote, je pense.
A moi les proposer! hélas! ils font pitié:

Voyez un peu la belle espèce !

L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse;
L'autre avait le nez fait de cette façon-là:
C'était ceci, c'était cela;

C'était tout, car les précieuses

Font dessus tout les dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.

Elle de se moquer. Ah! vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne:

Grâce à Dieu, je passe les nuits

Sans chagrin, quoique en solitude.

La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants.
Un an se passe, et deux, avec inquiétude :
Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour;
Puis ses traits choquer et déplaire;

Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron.

Les ruines d'une maison

Se peuvent réparer : que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage (2)!

Sa préciosité (3) changea lors de langage.

(1) Toutes les éditions portent:

Quoi! moi! quoi !

Ch. Nodier écrit qui, sur la foi, dit-il, d'un exemplaire de l'édition originale chargé de notes manuscrites qu'il regarde comme autographes. Nous avons suivi cette leçon plus conforme au sens et à l'harmonie.

(2) On retrouve dans Psyché cette analogie si comique et si hardie d'une vieille fille à un monument délabré. « L'aînée de ses sœurs avait dans sa personne des réparations à faire de tous côtés. » (CH. NODIER.)

(3) Ce mot, employé pour la première fois par Ménage, et si heureusement appliqué ici par La Fontaine, n'a jamais été adopté par l'Académie française.

(WALCK.)

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