Page images
PDF
EPUB

Entre un grand nombre d'ouvrages qu'il a laissés, il n'y a personne qui ne connaisse ses Fables et ses Contes, et les particu larités de sa vie sont écrites en cent endroits.

Il mourut le 16 mars 1695 (1).

Gardons le silence sur ses derniers instants, et craignons d'irriter ceux qui ne pardonnent point!

Ses concitoyens l'honorent encore aujourd'hui dans sa postérité. Longtemps après sa mort, les étrangers allaient visiter la chambre qu'il avait occupée.

Une fois chaque année, j'irai visiter sa tombe.

Ce jour-là je déchirerai une fable de La Motte, un conte de Vergier ou quelques-unes des meilleures pages de Grécourt.

Il fut inhumé dans le cimetière de Saint-Joseph, côté de Molière. Ce lieu sera toujours sacré pour les poëtes et pour les gens de goût.

(1) Ici Diderot se trompe en reproduisant une date consignée à tort par les biographes du XVIIe et du XVIIIe siècle. L'extrait du registre des sépultures de la paroisse Saint-Eustache, relevé par M. Walckenaer, fixe au 14 avril de cette même année (1695) l'inhumation de La Fontaine : il était mort la veille.

A

MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.

MONSEIGNEUR,

S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étaient pas inutiles. J'ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope (1). L'apparence est puérile, je le confesse; mais ces puérilités servent d'enveloppe à des vérités importantes.

Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables: car que peut-on souhaiter davantage que ces

(1) Le recueil des fables dont il est ici question parut en 1668. Le Dauphin à qui s'adresse l'épître dédicatoire est Louis, fils de Louis XIV et de MarieThérèse d'Autriche, né en 1661, mort en 1711.

deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre : la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très-heureusement celui (1) sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, MONSEIGNEUR, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Europe et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province (2) où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre (3) en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste : avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas,

(1) Le président de Périgni, premier précepteur du Dauphin.

(2) Allusion à la guerre de Flandre, en 1667.

(3) Allusion à la conquête de la Franche-Comté, en 1668.

Monseigneur, vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage, et de grandeur d'âme, que vous faites paraître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque, mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrais m'étendre sur ce sujet ; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très-humble, très-obéissant

et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

« PreviousContinue »